Benoît XVI : le pape de l’Amitié de Dieu

Publié le 09 Jan 2023
pape

© Bistum Regensburg

Le pape Benoît XVI a rejoint le Christ le 31 décembre 2022 à l’âge de 95 ans, près de dix ans après avoir renoncé au gouvernement pétrinien. C’était le plus grand esprit de notre temps, un érudit, un sage et un grand théologien. « Un maître de la foi », selon l’expression employée jadis publiquement à son propos par le cardinal Burke.

Benoît XVI aura quitté ce monde quatre cents ans presque jour pour jour après la mort de saint François de Sales. « Saint François de Sales est un témoin exemplaire de l’humanisme chrétien […] il rappelle que l’homme porte inscrite en lui la nostalgie de Dieu et que ce n’est qu’en Lui que se trouvent la vraie joie et sa réalisation la plus totale », enseignait Benoît XVI lors de l’audience du 2 mars 2011. Comme saint François de Sales, Benoît XVI recherchait ardemment l’amitié du Christ.

Au moment de rendre le dernier souffle, il aurait murmuré : « Jésus, je t’aime ! ». Il fut un pape salésien, nourri de la spiritualité du docteur de l’Amour, il fut le pape de l’Amitié avec Dieu, le pape de l’Amitié en Dieu, le pape de l’Amitié de Dieu. C’était un pasteur affectionné. Il aimait son troupeau. Il en prenait soin, avec douceur, avec humilité, avec cette délicatesse toute bénédictine qui le caractérisait, offrant à chaque fidèle son amitié afin de l’inviter à découvrir et à cultiver l’amitié du Christ. Deus caritas est.

C’était un géant de prière. Le savoir, au milieu de la tempête que nous traversons, veillant sur nous, par la prière, comme une sentinelle, la nuit, sur la dentelle du rempart, était d’un grand réconfort. Le savoir intercédant pour nous à la cour céleste nous est aujourd’hui une consolation. Spe salvi.

Il serait vain de prétendre résumer en quelques lignes la vie et l’œuvre de Benoît XVI. Son pontificat si rapidement écoulé aura été un grand pontificat, malgré les traverses multiples, les entraves et les obstacles que lui opposèrent opiniâtrement « les loups » qu’il redoutait le soir de son élection ; loups dont les manœuvres réussirent ultimement à paralyser son action, ce qui aura contribué à sa renonciation.

Cet augustinien aura été d’abord le pape de « la véritable paix », une paix fondée sur la justice et la vérité, une paix fondée sur le Christ. Paix avec la chrétienté d’Orient, par le dialogue engagé avec les patriarches orientaux. Paix avec ceux qui sont étrangers au Christ auprès desquels il témoigna de l’Amour du Christ avec douceur et respect, sans jamais transiger avec les exigences de la Vérité. Caritas in Veritate.

Paix au sein de l’Église romaine par l’apaisement des divisions nées du concile, en invitant, le 22 décembre 2005, à cultiver une « herméneutique de la continuité » grâce à laquelle s’effaceraient toutes les interprétations contraires à la tradition de l’Église.

Paix liturgique, par le motu proprio Summorum Pontificum, qui restaura la liberté de la messe, donnant à tout prêtre la pleine liberté de célébrer « la forme extraordinaire du rit romain », rendant à des fidèles violemment ostracisés depuis plus de trente ans leur place à la table familiale. En affirmant que la messe de Paul VI et celle de saint Pie V étaient les deux formes d’un même rit romain, Benoît XVI ramena non seulement la paix mais l’unité au sein de la catholicité, invitant à considérer la messe de Paul VI non pas comme une assemblée locale du peuple de Dieu mais comme le renouvellement non sanglant du Sacrifice du Christ.

Benoît XVI fut un pape eucharistique, comme le souligne son enseignement sur la réalité de la Présence réelle dans l’Hostie consacrée et sur les marques de dévotion qui lui sont dues lors de la communion.

Paix avec la Fraternité Saint-Pie X par la poursuite des échanges théologiques commencées sous saint Jean-Paul II, par la levée unilatérale des sanctions qui frappait les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1988, ce qui lui attira bien des inimitiés, par la ténacité généreuse avec laquelle il offrit, à plusieurs reprises, à la Fraternité Saint-Pie X, et ce jusqu’à la veille de sa renonciation, un statut canonique stable.

Ce bénédictin aura été le défenseur de la civilisation chrétienne menacée, plaçant ses pas dans ceux de saint Grégoire le Grand.

Lors de la leçon magistrale prononcée par lui le 13 septembre 2008 à Paris, au collège des Bernardins, devant le monde de la culture, il rappela ce que sont les racines de notre civilisation, que la civilisation européenne est née de l’œuvre discrète et tenace de transmission menée par les moines, dont l’« objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum », moines qui constituèrent des bibliothèques, des scriptoria et des écoles, collectionnant les manuscrits antiques, les recopiant, les diffusant : « En considérant les fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu’au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle ».

Ainsi, « l’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur la base de laquelle l’homme apprend à percevoir au milieu des paroles, la Parole ». Grâce à eux, à Boèce, à Cassiodore, à saint Benoît, à saint Grégoire le Grand, à saint Isidore de Séville, à saint Colomban, à Théodore de Tarse, à saint Bède le Vénérable, à Alcuin, et à quelques autres de ces grands esprits auxquels Benoît XVI devait, ultérieurement, consacrer ses catéchèses du mercredi, l’héritage de l’antiquité gréco-latine fut en grande partie sauvegardé et transmis.

Mêlé à la pensée chrétienne, à son anthropologie exigeante, cet héritage engendra dans les monastères carolingiens la civilisation médiévale. Ce faisant, Benoît XVI nous invitait à nous réapproprier cette œuvre de transmission, à être à notre tour des chaînons de cette grande chaîne de la sagesse humaine, à nous jucher, nous qui ne sommes que des nains, sur les épaules des géants qui nous ont précédés, pour faire corps avec eux, à puiser dans ce passé d’une richesse inestimable la sève vitale qui doit nourrir notre avenir et nous conduire à l’amitié avec le Christ.

Benoît XVI aura été aussi un serviteur de la justice, enseignant les exigences d’un droit naturel aujourd’hui méconnu du plus grand nombre, dont l’autorité est pourtant indispensable au règne de la Justice. À plusieurs reprises, Benoît XVI insista sur l’autorité du droit naturel, l’enseignant aux puissants qui tiennent entre leurs mains les destinées des peuples.

Ainsi, le 30 mars 2006, il rappela aux parlementaires du Parti Populaire Européen que certains principes n’étaient pas négociables, à l’instar du respect de la vie humaine depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, de la famille fondée sur le mariage chrétien entre un homme et une femme et de la liberté d’éducation des enfants par leurs parents.

Le 5 octobre 2007, devant la commission théologique internationale, Benoît XVI rappelait les caractères fondamentaux du droit naturel, commençant par souligner que son caractère intelligible en rend la connaissance accessible à tous les hommes, indépendamment de leur foi religieuse, avant d’insister sur « la situation d’égarement et de confusion » dans laquelle se trouve la société civile contemporaine, réfutant la conception positiviste du droit, laquelle définit le droit comme la volonté de ceux qui exercent le pouvoir, c’est-à-dire, dans un système démocratique, comme l’expression de la volonté de la majorité : « La véritable rationalité n’est pas garantie par le consensus d’un grand nombre, mais seulement par la compréhension qu’a la raison humaine de la Raison créatrice et par l’écoute commune de cette Source de notre rationalité ».

Ainsi, soulignait-il : « Lorsque les exigences fondamentales de la dignité de la personne humaine, de sa vie, de l’institution familiale, de la justice, de l’organisation sociale, c’est-à-dire les droits fondamentaux de l’homme, sont en jeu, aucune loi faite par les hommes ne peut renverser la règle écrite par le Créateur dans le cœur de l’homme, sans que la société elle-même ne soit dramatiquement frappée dans ce qui constitue sa base incontournable ».

Quatre ans plus tard, lors du discours prononcé au Bundestag le 22 septembre 2011, Benoît XVI avait mis en garde les parlementaires allemands contre la menace totalitaire qui guette les sociétés qui « sépare[nt] le pouvoir du droit », qui mettent « le pouvoir contre le droit ». Il les invitait à « servir le droit », « le vrai droit », qui peut ne pas être le droit en vigueur lorsque celui-ci est « une injustice », à discerner « la loi de la vérité, ce qui est vraiment juste et peut devenir loi ».

Puis, après avoir dressé un panorama brillant de l’histoire du droit naturel, Benoît XVI, allant à l’essentiel, soulignait que le droit naturel implique que la volonté de l’homme respecte la nature : « L’homme […] possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. […] L’homme ne se crée pas lui-même. […] Sa volonté est juste quand il respecte la nature, l’écoute et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine ».

Et Benoît XVI de conclure en insistant sur la place essentielle qu’occupe dans la civilisation européenne la recherche du « vrai droit », la volonté constante de « servir la justice et la paix » : « La culture de l’Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome, de la rencontre entre la foi au Dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome ». Respecter le droit naturel, respecter la nature de l’homme et manifester un souci constant du Bien et du Juste était à ses yeux un moyen de cultiver l’amitié du Christ.

Benoît XVI aura connu, après sa renonciation, l’épreuve crucifiante de voir démantelé l’essentiel de ce qu’il avait entrepris au cours de son règne. Seules son humilité, sa foi et sa longue méditation des Écritures purent lui permettre de porter cette croix, de supporter l’amertume de cette terrible injustice : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (saint Jean, XII-24-25).

Vingt ans après la mort de saint Benoît, il ne restait rien de la communauté qu’il avait fondée au Mont Cassin, hormis le souvenir laissé à ses moines dispersés et le manuscrit de la Règle. Trois siècles plus tard, toute la vie monastique occidentale obéissait à la Règle de saint Benoît. Il en sera sans doute de même du pontificat de Benoît XVI. La grandeur et la fécondité de son règne résident dans la richesse exceptionnelle de l’enseignement qu’il laisse à nos méditations et dans la beauté de l’exemple donné. Cet ami du Christ aura été pour l’Église le « Saint Père », « serviteur des serviteurs de Dieu », soucieux, lui aussi, de « tout instaurer dans le Christ ».

Philippe Pichot-Bravard, Maître de conférences H.D.R. en histoire du droit

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