Il y avait ce 21 mars dans les bâtiments du Conseil économique, social et environnemental (CESE) une inhabituelle densité de chromosomes surnuméraires. Au grand étonnement de certains visiteurs, plusieurs adolescents ou jeunes adultes trisomiques serraient des mains et embrassaient à qui mieux mieux, heureux de témoigner de leur joie de vivre à l’occasion de la troisième Journée internationale de la trisomie 21. De nombreuses associations européennes de défense des personnes atteintes de trisomie 21 étaient mobilisées ce jour-là et pour la France, la cause était portée par la Fondation Jérôme Lejeune et le Collectif des amis d’Éléonore. Écrivains, philosophes, journalistes, éducateurs spécialisés, parents d’enfants trisomiques : ils étaient nombreux à parler de ce handicap encore méconnu.
Un triple objectif
L’objectif de cette journée était triple, il résumait l’ensemble du combat que portent quotidiennement ces associations. L’homme du XXIe siècle moque facilement ses aïeux qui parlaient des trisomiques comme de « mongoliens » en raison de leurs yeux bridés et de leur teint parfois jaunâtre. Pourtant, nos contemporains en savent généralement bien peu sur cette maladie et c’est l’une des premières missions des associations comme la Fondation Lejeune : faire connaître la réalité du handicap.
Autre défi, permettre à la recherche d’avancer pour qu’un traitement puisse un jour être proposé aux malades. C’est redonner à la médecine ses lettres de noblesse en travaillant pour supprimer la maladie plutôt que le malade lui-même. Aujourd’hui, les résultats des recherches sont très encourageants, notamment ceux d’une équipe de chercheurs de Barcelone qui mène l’essai clinique TesDAD sur des patients trisomiques adultes traités durant un an par un extrait de thé vert. Il inhibe un enzyme spécifique du chromosome 21 qui participe au retard mental de la trisomie 21.
Le troisième défi, enfin, des associations de défense des personnes porteuses du fameux chromosome surnuméraire, c’est de dénoncer publiquement, de faire savoir le plus largement possible le scandale que constitue l’éradication de 96 % des enfants dépistés trisomiques. La généalogie de l’idéal eugéniste remonte au XIXe siècle, à Charles Darwin et Francis Galton, un idéal qui se pare aujourd’hui d’un visage souriant et émancipateur. « Quand j’entends que “malheureusement” 96 % des grossesses pour lesquelles la trisomie 21 est repérée se terminent par une interruption de grossesse, la vraie question que je me pose c’est pourquoi il en reste 4 % », déclarait le professeur Jean-Didier Vincent sur France Inter, le 5 octobre 2012. Car en France, il est acquis que la quasi-totalité d’une population soit supprimée en raison de ses caractéristiques chromosomiques. L’avortement de ces enfants n’est pas encore obligatoire mais la pression et la culpabilité qui pèsent sur les parents qui attendent un enfant trisomique est lourde à porter.
Des paroles dures à entendre
« Il ne sera jamais heureux », « tu ne peux pas faire ça, c’est irresponsable », « ce sera un poids pour la société »… Ces paroles, plusieurs parents, présents ce 21 mars avec la Fondation Lejeune et les Amis d’Éléonore, ont déclaré les avoir entendues. Avec la possibilité, largement encouragée par le corps médical, de recourir au diagnostic prénatal, le dépistage de la trisomie 21 est devenu un jeu d’enfant. Ainsi que l’a rappelé la philosophe Danielle Moyse, Hitler qui avait en son temps mis en place « Aktion T4 », un programme d’éradication des personnes handicapées, n’aurait pu espérer de tels résultats (cf. article ci-contre).
La comparaison peut choquer et elle n’a pas manqué de susciter de vives réactions lors des débats de la Journée internationale de la trisomie 21. Les 96 % dérangent plus qu’on ne voudrait l’admettre, car ils posent de manière impérieuse la question de l’avortement lui-même. Ainsi, le président du CESE, Jean-Paul Delevoye, intervenait-il ce jour-là pour dénoncer l’eugénisme et devait faire preuve d’une véritable adresse intellectuelle pour dénoncer ce fléau sans utiliser une seule fois le terme d’avortement. De même la philosophe Danielle Moyse, auteur de travaux sur la question du diagnostic prénatal et l’eugénisme, affirmait en même temps être scandalisée par l’éradication des enfants trisomiques mais favorable à la loi de 1975 sur l’avortement. Les bébés dont le seul handicap est de n’être pas désirés sont-ils moins humains que les autres ? En réalité, la défense de la vie n’est pas d’abord fondée sur le respect et le droit à la différence mais sur le respect de toute personne en raison même de sa nature humaine.