La campagne électorale en vue du premier tour de l’élection présidentielle s’achève. De tous bords, les commentateurs sont unanimes : ce premier round aura été inédit, pas tant par le nombre de candidats que pour les rebondissements qui n’ont cessé de l’émailler.
On a beaucoup parlé de morale, d’emplois fictifs, de costumes offerts puis rendus. On a beaucoup vu s’époumoner un jeune candidat, soutenu par tous les caciques du système, et capable d’affirmer qu’il faisait jour quand il faisait nuit et réciproquement. Les coups bas, les attaques personnelles, les petites phrases assassines, les caricatures n’ont évidemment pas manqué. Le système médiatique et les réseaux dits sociaux n’ont fait qu’amplifier – c’est-à-dire aggraver – un phénomène aussi vieux que le système électoral.
Et la politique ?
La politique en ressort-elle grandie ? Il y a déjà longtemps que l’électoralisme a tué la politique. On ose à peine rappeler sérieusement, aujourd’hui, que celle-ci vise le bien commun de la société par l’exercice de la justice.
L’électoralisme, comme nous venons d’en avoir une nouvelle démonstration, a seulement pour but la victoire d’une faction sur une autre, à une courte majorité, ce qui implique de séduire une partie de l’électorat qui n’est pas a priori acquis en lui faisant miroiter que l’on prendra en compte certains de ses désirs. Nous ne sommes pas seulement à l’heure des rhéteurs, nous sommes à celle des sophistes. Ceux que Platon qualifiait de « faiseurs de prestiges » (Le Sophiste)
Le bien commun ? Il n’en est nullement question. L’électoralisme ne repose pas seulement sur l’existence des partis. C’est par nature la victoire de la partie sur le tout, une inversion logique en action.
Le peuple ? Ce n’est qu’une chimère rhétorique. Il suffit de voir comment le système qui régit notre société s’est auto-renouvelé en mettant sur le marché politique le produit Macron.
Quid ?
Les vraies questions ont-elles été abordées ? Pas vraiment ou, alors, quand ce fut le cas, en surface.
Quid par exemple de la question démographique dont le bon niveau français, par rapport à nos voisins européens, est principalement dû à l’apport des nombreuses naissances de populations étrangères ou fraîchement naturalisées ?
Quid encore de la permanence de la famille, que des décennies de politique anti-familiale n’ont cessé de détruire par une déstructuration programmée dont la légalisation des unions homosexuelles n’a été que la dernière grande étape ?
Quid de la revitalisation de nos campagnes, de la volonté de redonner place à une agriculture qui échapperait à la fois à la logique du marché et de l’industrie tout en visant à une autosuffisance du pays et à la stabilisation des populations ?
Quid de la désertification médicale qui touche de nombreuses régions françaises et où se soigner relève souvent du parcours du combattant ?
Quid de la revitalisation de l’artisanat, dans toutes ses composantes, non seulement pour juguler en partie le chômage, mais aussi pour qu’une autre société apparaisse, pour que la vie quotidienne ne soit pas sous la coupe des grands groupes industriels, de la grande distribution, des lois sans limite du marché ?
Il ne s’agit là que d’exemples que l’on peut augmenter à l’envi.
« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés » (La Fontaine)
Il serait trop rapide et trop facile de penser que nos « élites » politiques ne répondent pas à ces problèmes parce qu’elles sont déconnectées du réel. Certes, elles le sont dans la grande majorité des cas. Elles le sont d’ailleurs comme nous le sommes, sauf qu’elles en tirent mieux profit.
Comme nous, elles sont enfermées dans le système de pensée qui régit notre vie sociale et politique. Ce n’est pas par hasard si l’immigration a pris une telle place dans l’organisation des vieux pays occidentaux ? Ce n’est pas par hasard si également la famille est déstructurée, si les petits métiers, le petit commerce, l’agriculture sont détruits. Ce n’est pas non plus par hasard si nous sommes confrontés à la marchandisation du corps ou si nous subissons une véritable crise écologique.
Il n’y a pas ici de complots pour expliquer cette réalité et l’absence de prise en compte par les politiques de ces maux. Nous sommes seulement confrontés à la logique d’un renversement dans la conception de l’homme et de la société qui s’est opérée avec la révolution protestante, la « Renaissance » et les Lumières, réduisant l’homme à l’individu et la politique à juguler la confrontation de leurs intérêts divergents. Vision pessimiste, désespérée et qui est obligée de recourir à des artifices pour vivre. Au contraire, pour l’Antiquité païenne comme pour le christianisme, l’être humain est un être éminemment social. Aristote allait jusqu’à écrire : « Nous estimons que l’amitié est le plus grands des biens de la cité. » (Politique, L2, chap. 4). La société moderne ne connaît pas l’amitié politique. Elle l’ignore, la craint et en refuse même jusqu’à l’idée tout comme elle ignore, craint et refuse l’idée même d’un bien objectif.
Dans la logique moderne, le travailleur est interchangeable et le moins cher est le plus intéressant. Dans cette logique, la famille n’existe que comme rebut d’une vision archaïque, limitant la liberté de l’individu et, à l’instar des sociétés intermédiaires, empêchant Léviathan de régner sur ce conglomérat d’individualités. Dans cette logique, il n’y a plus d’ordre naturel, plus de finalité et plus de politique.
Nous avons manqué d’air pendant cette campagne électorale. Nous respirons difficilement. Il serait peut-être temps de retrouver juste le sens de ce que sont l’homme et la vie sociale. Mais il faudra autre chose qu’une campagne électorale.