Créé cardinal en 2010 par le pape Benoît XVI, considéré comme l’un de ses proches, Mgr Walter Brandmüller a été président du Conseil pontifical des sciences historiques de 1998 à 2009. C’est à l’aune du droit et de l’histoire qu’il s’interroge sur la situation inédite née de la renonciation du pape Benoît XVI.
Le concept de « pape émérite » appartient-il à la Tradition de l’Église au moins à titre de possibilité ?
Cardinal Walter Brandmüller : Le fait qu’un pape puisse se retirer de sa fonction est depuis la décrétale Quoniam de Boniface VIII (1296) un élément du droit canonique.
Pour quelles sortes de raisons un pape peut-il renoncer ?
Le droit canonique affirme seulement que le retrait d’un pape est possible. Le Corpus aussi bien que le Codex Iuris Canonici dans ses éditions tant de 1917 que de 1983 est muet sur les raisons ou les motifs qui peuvent y conduire.
L’abdication de Grégoire XII lors du concile de Constance a servi à mettre fin au Grand Schisme d’Occident (1378-1417). Il faut remarquer qu’aux yeux de la majorité des contemporains aussi bien Grégoire que Jean XXIII (Il s’agit ici de l’antipape Jean XXIII [1410-1415]) et Benoît XIII avaient vu leur légitimité très contestée et que par conséquent ils ne pouvaient être considérés comme « papes ». L’abdication antérieure de Célestin V ne fut, d’après les circonstances et les faits, que la correction d’une décision manifestement erronée tant des électeurs que de celui qui fut alors élu. Dans les deux cas, il y avait des raisons institutionnelles légitimes. La même chose vaut de la rédaction très probable des actes d’abdication que Pie VII et Pie XII avaient prévus pour le cas où leur liberté aurait été mise en danger par Napoléon et par Hitler.
Peut-on considérer de ce fait qu’il y a aujourd’hui réellement « deux papes », l’un, pour reprendre le vocabulaire de Mgr Gänswein, étant un pape « actif » et l’autre « contemplatif » ?
La figure du « pape émérite » n’a aucune existence dans toute la tradition juridique de l’Église.
Vous avez estimé nécessaire une législation supplémentaire définissant le statut d’un ex-pape. Est-ce à dire que la renonciation et la coexistence de « deux papes » vont devenir ou peuvent devenir une chose habituelle dans la vie de l’Église ?
Cette construction n’a jamais été considérée comme possible aussi bien sur le plan ecclésiologique que sur le plan canonique au cours des deux mille ans d’Histoire de l’Église.
Vous avez avancé cinq points à ce sujet (cf. ci-dessous) ?
Pour se prémunir de telle ou telle situation dangereuse pour l’unité de l’Église il faut de manière urgente mettre fin aux lacunes qui existent encore dans la législation.
Traduction de l’abbé Éric Iborra.
5 points à respecter
1. Le statut de l’ex-pape. On peut retrouver dans l’Histoire, sinon des précédents à proprement parler, tout au moins des cas analogues aidant à trouver une solution. Les antipapes Jean XXIII (Baldassare Cossa) et Félix V (Amédée de Savoie) furent créés cardinaux immédiatement après leur réconciliation. De la même manière, un ex-pape pourrait être créé cardinal tout de suite après sa renonciation, mais certainement sans droit électoral actif ou passif.
2. La dénomination du démissionnaire doit également être définie. Pour éviter de donner l’impression qu’il y a deux papes, il paraît commode de reprendre le nom de famille. La manière de s’habiller devrait être réglée selon le même principe.
3. La question du logement à assigner au démissionnaire et de ses moyens de subsistance à lui attribuer est également d’une grande importance.
4. Un problème particulier est celui de la réglementation de ses éventuels contacts sociaux et médiatiques, qui doit d’une part respecter sa dignité personnelle et d’autre part exclure tout danger pour l’unité de l’Église.
5. Enfin il faudrait également un cérémonial pour le démissionnaire défunt, qui ne peut pas être celui qui est prévu pour un pape.
(Extrait de l’article « Une loi définissant le statut des ex-papes est nécessaire », publié par Sandro Magister sur son blog)
Lire sur le même sujet l’éditorial de Philippe Maxence et l’article de l’abbé Claude Barthe.