Ce que veulent les femmes Entretien avec Anne Girault, présidente de Femina Europa

Publié le 06 Mar 2015
Ce que veulent les femmes Entretien avec Anne Girault, présidente de Femina Europa L'Homme Nouveau

Femina Europa présentera ce 8 mars à Bruxelles, avec d’autres associations européennes de défense de la famille et de la vie, la Déclaration des femmes. Elles veulent faire entendre, à l’occasion de la journée de la femme, une autre voix. Reconnaissance du travail invisible et non marchand de la femme, complémentarité des sexes… Un discours peu courant au sein des institutions européennes.

Entretien avec Anne Girault, présidente de Femina Europa.
Propos recueillis par Adélaïde Pouchol.

Que demande la Déclaration des Femmes que Femina Europa porte avec d’autres associations européennes ?

Nous demandons aux économistes et aux politiques la reconnaissance de la valeur du travail invisible et non marchand effectué par la femme par l’inclusion dans les indicateurs économiques du PIB de la catégorie « gestionnaires de famille ». Les décisions politiques sont en train d’étouffer le champ du gratuit et du bénévolat, alors que la culture du don et de l’engagement est nécessaire pour la vie en société. Le vivre ensemble ne s’impose pas, ne se décrète pas, il se vit d’abord dans la famille, cellule de base de la société, petite entreprise reposant sur le don, l’engagement durable, la responsabilité, la solidarité et le partage.

Nous demandons également le respect du principe de non marchandisation des corps. La Gestation pour autrui (GPA) est une pratique mauvaise pour la femme qui loue son utérus, parce qu’elle est dangereuse pour sa santé et qu’elle exploite la pauvreté. Elle est mauvaise pour l’enfant qui a le droit d’être conçu par ses parents et non pas acheté comme une marchandise.

Les Droits de l’homme se sont retournés contre la femme, discriminée du fait d’être mère. Le travail invisible et non marchand effectué par les femmes au sein de la famille est méprisé, elles ne sont plus valorisées qu’en fonction de leur autonomie financière et de leur poids économique.

L’Europe se veut pionnière en matière de droits mais les droits se retournent contre la femme : marchandisation des corps avec la GPA, vente des ovules pour payer ses études,  congélation des ovules par l’employeur, avortement sélectif des filles, euthanasie à la demande, eugénisme embryonnaire,  avortement forcé par chantage du compagnon ou du mari, travail du dimanche, divorce et fuite des pères, déresponsabilisation des parents au profit de l’État. La femme n’est plus respectée comme celle qui porte la vie, éduque les enfants, accueille son mari,  transmet la culture et entretient l’art de vivre en général, elle est maltraitée, instrumentalisée, réduite à mettre ses enfants à la crèche et à travailler comme caissière pour pouvoir payer les factures. Où est le progrès ? 

Qu’attendez-vous de cette Déclaration ?

Nous faisons cette Déclaration pour que les idéologues qui parlent à notre place sachent qu’ils ne représentent pas les femmes. Si nous allons physiquement sur le terrain, présenter notre Déclaration à Bruxelles, c’est pour être visibles et audibles car les médias nous ignorent et ne reflètent pas la réalité et les outils démocratiques ont été détournés si bien que les Droits de l’homme sont interprétés de manière arbitraire. Nous faisons donc un appel à la raison, au bon sens !

Face à une menace globale telle que la disparition de la féminité, les femmes de tous pays s’organisent et se coordonnent pour être plus crédibles et pour s’encourager car elles n’ont pas l’habitude de se mettre en avant. La mère au foyer est tellement dévalorisée qu’elle est complexée. Alors elle se tait et elle garde pour elle ses trésors.

Enfin les limites ont été franchies avec la légalisation de la GPA qui s’annonce. Nous pensons que trop c’est trop et nous voulons que les politiques nous respectent.

Comment est né ce projet et avez-vous eu les relais et soutiens escomptés ?

C’est Leonor Tamayo, de l’ONG espagnole Profesionales por la Etica, qui nous a proposé de faire partie des organisateurs. C’est elle qui a eu l’idée et qui a écrit la Déclaration qui reprend en fait la plupart des thèmes que nous avions déjà développés. Sa proposition est donc venue comme une évidence. Et justement, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, les médias sont à la recherche de quelque chose à dire d’intéressant sur les femmes ! Les organisations internationales prévoient traditionnellement des célébrations pour s’autocongratuler et se féliciter de l’avancée des droits des femmes. Mais cette année nous allons un peu troubler le discours consensuel…

Plus de 110 ONG nous soutiennent, c’est un très beau résultat pour une première fois. Nous avons eu des contacts très prometteurs avec une ONG de femmes indiennes, très concernées par la question de la GPA. Nous sommes en lien également avec des ONG de femmes africaines qui savent que les programmes de l’Onu, et donc de l’UE, sont porteurs de l’idéologie du Gender et qui sont victimes d’un chantage aux aides au développement. Nous sommes soutenues par une ONG irakienne des Droits de l’homme « Hammurabi » et des catholiques américaines nous ont écrit leur accord.

La Déclaration des Femmes évoque la question de la GPA, quelle est la position des institutions européennes à ce sujet ?

Pour l’instant dans l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni et la Grèce sont les seuls pays à autoriser la GPA. Mais l’UE cherche à harmoniser les droits au nom de la libre circulation et tout ce qui est possible dans un pays deviendra possible dans les autres. De plus la Cour européenne des Droits de l’homme, dont les arrêts sont contraignants pour les États membres, fait du forcing en faveur de la GPA. Elle ne statue plus sur le fond mais sur la forme, elle fait du légalisme et tout cela est incohérent et très inquiétant. À la Cour, 95 % des demandes ne sont pas traitées ; vu leur grand nombre, il faut aussi évidemment faire des choix parmi les dossiers recevables. Le sujet des affaires finalement sélectionnées laisse un peu rêveur. Difficile de croire qu’il y ait une telle proportion d’affaires concernant les discriminations de personnes homosexuelles ou la GPA. Nous sommes à un moment charnière, car chacun essaie de prendre l’avantage et de démontrer son pouvoir. Il existe un rapport de force entre les différents acteurs, l’UE, les États, le Conseil de l’Europe et c’est le moment de nous montrer fermes et convaincants, nous la société civile.

Normalement l’UE n’a pas compétence en ce qui concerne la politique familiale, mais elle outrepasse régulièrement ses droits par différents biais : la législation du travail ou par le droit à l’éducation. L’UE finance les recherches sur l’embryon et des campagnes d’avortement dans des pays tiers. Ses valeurs ne sont plus claires. Elle n’a pas été capable d’entendre l’initiative européenne « Un de nous » qui reconnaissait la protection de l’enfant à naître, elle est devenue sourde, muette et aveugle en ce qui concerne le respect de la vie humaine, qui est à la base des Droits de l’homme. C’est le retour de l’eugénisme. Nous voulons que l’État cesse de s’ingérer dans la vie des familles et respecte la loi de subsidiarité. Sans familles stables, pas de société stable. Nous voulons que les familles aient du temps pour vivre ensemble et que les parents aient la responsabilité de l’éducation et du style de vie qu’ils souhaitent pour eux et leurs enfants. Nous voulons que l’économie reconnaisse le travail invisible qui est effectué par les femmes dans la famille et que cette catégorie apparaisse dans les paramètres du PIB comme les « gestionnaires de famille ».

Vous présentez, à rebours de la société contemporaine, un féminisme alternatif. Comment le définissez-vous ?

Peut-on parler de féminisme alternatif ? Il est difficile de trouver les mots justes pour définir la femme, mystère insondable ! Elle a toujours inspiré les créateurs, les artistes, a un lien avec la beauté du monde. Des milliers d’œuvres d’art représentent la femme et la mère : la femme et son enfant, cela a un sens. La femme la plus connue au monde, Marie, est à la fois Mère et Vierge. Elle a inspiré des chefs-d’œuvre dans tous les domaines, littéraire, architectural, musical… Remarquons que ces œuvres ont été créées en majorité par des hommes, ce qui fait réfléchir sur la complémentarité réciproque entre l’homme et la femme. Sur le regard que nous portons mutuellement sur l’autre sexe, sur la fécondité. Notre idée du féminisme repose sur la femme tout simplement.

« Notre féminisme » prépare l’avenir. Nous sommes tournées vers l’autre, vers le futur, dans l’après-Gender, car toutes les idéologies passent mais les valeurs que nous portons sont éternelles, elles resteront tant qu’il y aura des hommes et des femmes. La femme éternelle est celle qui aime la vie et la donne aux autres. Elle aime et se tient à côté de l’homme sans qui elle ne serait pas féconde. Tous les deux s’accomplissent mutuellement. La femme est la vigile de la vie, la « sentinelle de l’invisible ».

Femina Europa veut porter un message au sein des institutions européennes, pourquoi ?

Les institutions internationales sont en roue libre, elles ont perdu ce qui faisait leur moteur, une anthropologie fondée sur l’altérité et intégrant la dimension spirituelle de l’homme. Elles ont été infiltrées par des théoriciens de la déconstruction, je veux parler de l’idéologie du Gender. La parole là-bas est captive ; on vous la donne dans la mesure où le discours va « dans le bon sens ». Nous leur apportons donc notre vision de la société réelle, avec un futur, une espérance. Nous sommes des femmes libres.

La France a signé la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes (CEDEF/CEDAW) en 1983 et dans cette Convention a été introduit le mot « Gender » dont la définition est ambiguë à dessein et qui a été activé, comme un virus, bien plus tard avec le « Gender mainstreaming » (la mise en place du Gender). Le Gender nous est tombé dessus selon le mécanisme du « top-down », c’est-à-dire que l’Onu nous a imposé ce filtre d’en haut sans consultation, sans légitimité. Depuis des années l’Onu et l’UE dépensent des sommes énormes pour imposer le filtre du Gender à tous les niveaux, dans tous les domaines. C’est le nouveau petit livre rouge. Nous allons là où les décisions sont prises, nous voulons occuper le terrain.

Dans le préambule de l’Unesco il est écrit que les hommes sont à la recherche de la vérité objective. Redécouvrons ces textes fondateurs, revenons à ce qui a fait le génie de notre civilisation : aux racines judéo-chrétiennes, sources du vrai développement et de la culture, comme l’a rappelé le pape Jean-Paul II dans son célèbre discours à l’Unesco en juin 1980. Un retour en arrière n’est pas synonyme de régression quand on s’est trompé de chemin !

 Depuis combien de temps existe Femina Europa et quel bilan pouvez-vous dresser de ces années de travail ?

Femina Europa a été fondée en mai 2005 et travaille depuis presque dix ans dans le milieu des instances internationales. Nous travaillons en équipe, le bureau est composé de sept personnes très actives. Nous avons appris à travailler ensemble. Nous faisons partie d’une plateforme d’ONG à l’Onu (www.lifeisbeautiful.org) dont les représentants interviennent au quotidien pour amender les textes de l’Onu dans le sens du respect des vrais droits de l’homme et non de leur interprétation abusive. Nous sommes affiliées à l’Union Mondiale des Organisations Féminines Catholiques (UMOFC). Nous avons travaillé quatre ans au Conseil de l’Europe comme représentantes de l’UMOFC. Nous continuons à y être présentes à travers nos bénévoles. Nous faisons partie du réseau New Woman For Europe à Bruxelles (réseau alternatif au Lobby Européen des Femmes [LEF] qui milite pour l’avortement). Nous venons de rejoindre le réseau Europe For Family à Bruxelles et nous avons deux représentantes à l’Unesco pour l’UMOFC et des bénévoles à Genève et à Bruxelles qui interviennent ponctuellement. Nous faisons partie d’un réseau informel international qui soutient toutes les initiatives pro-vie et pro-famille dans le monde.

Nous proposons une réflexion de fond, à travers des articles, sur la dérive des Droits de l’homme, mais agissons également concrètement sur le plan politique. Nous avons par exemple soutenu l’action d’un parlementaire néerlandais contre une association pro-pédophile qui a été finalement dissoute après quatre ans de lutte.

Les choses ont beaucoup changé depuis le début parce qu’une nouvelle génération est arrivée avec des idées claires et des forces neuves et qu’à force de soutenir les évènements organisés par les autres, nous nous connaissons bien, nous avons appris à nous entraider. Maintenant nous sommes capables de coordonner nos actions et nous échangeons des informations et des idées, c’est très stimulant et très constructif.

À nos débuts, personne ne connaissait le Gender et il y avait très peu de Français sur le terrain international. On nous prenait pour des exaltées ou des excitées du complot. Maintenant les effets du Gender mainstreaming sont apparents. Nous ne cherchons cependant pas à être des experts du Gender, nous cherchons surtout à dépasser cette idéologie, à construire l’avenir.

Sur quelle anthropologie fondez-vous votre action politique ?

Nous pensons que l’Église a un rôle essentiel à jouer dans la formation des consciences car le pape Jean-Paul II a été le premier à voir les dangers du Gender (qui suggère que le bien et le mal n’existent pas) et il a laissé une œuvre prophétique : la théologie du corps ou l’amour sponsal, véritable outil à notre disposition. C’est une merveille pour notre temps, un approfondissement du sens de la Création et de la Vie. Nous sommes très reconnaissantes à l’Église qui a rendu sa dignité à la femme et qui est la seule entité internationale à respecter et promouvoir son identité intégrale dans toutes ses dimensions en complémentarité réciproque avec l’homme. Les textes du magistère à ce sujet nous sont très utiles. 

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