Chanter comme il est bon d’habiter ensemble… Graduel Ecce quam bonum

Publié le 04 Nov 2017
Chanter comme il est bon d'habiter ensemble… Graduel Ecce quam bonum L'Homme Nouveau

« Voici, qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble ! C’est comme un parfum qui descend de la tête sur la barbe, la barbe d’Aaron » (Psaume 133, 1 et 2). Graduel Ecce quam bonum (28ème dimanche ordinaire ou 22ème dimanche après la Pentecôte)

Commentaire spirituel

Le beau graduel de ce dimanche met en musique deux versets d’un des psaumes les plus courts, puisqu’il n’en compte que trois. Texte merveilleux qui parle de l’amour fraternel et le relie, par la double image très parlante du parfum et de la rosée, à l’amour divin, source embaumée de tout amour. On peut relire en entier ce poème de l’ancien Testament qui peut être repris à la lettre dans l’économie de la nouvelle alliance, et qui témoigne d’une valeur universelle déjà très présente dans la civilisation hébraïque : celle de la communion de l’homme avec Dieu et des hommes entre eux dans l’amour. Dieu est Amour, nous a dit saint Jean et cette vérité, point culminant de la Révélation, transforme radicalement les relations humaines, puisque les hommes sont appelés par Dieu à participer à cet amour qu’il est lui-même.

« Voici, qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble ! C’est comme un parfum qui descend de la tête sur la barbe, la barbe d’Aaron, qui descend sur le bord de son vêtement ; c’est comme la rosée de l’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion. Car c’est là que Yahvé donne sa bénédiction, la vie pour l’éternité. »

Le psaume exalte l’amour fraternel, c’est-à-dire non seulement l’amour familial entre frères de sang, mais tout amour qui unit les hommes entre eux, à quelque titre que ce soit. Tous sont frères en tant que fils d’un même Dieu. C’est l’amour dans sa dimension horizontale, sociale, et la plus universelle qui est chanté ici et cela se vérifie au niveau de la plus petite communauté possible, entre eux personnes seulement, comme à l’échelle mondiale, entre les différents peuples de la terre. Il n’y a d’exception pour personne. Aucun individu, aucune classe sociale ne saurait être exclu d’un tel amour puisque la fraternité radicale des êtres humains est antérieure aux distinctions de toutes sortes qui, historiquement, ont pu séparer les hommes en les dispersant sur la terre. Nous partageons tous cet idéal et tous en même temps nous le faisons grimacer par nos mésententes, par nos conflits. Nous rêvons tous d’une humanité en paix avec elle même, d’un monde meilleur où chacun et chacune puisse trouver son bonheur et nous savons concrètement ce qu’il en est. L’ennemi de l’amour fraternel est le péché, c’est-à-dire l’affirmation d’un amour propre qui prétend se soumettre toutes choses, fut-ce le bien même du prochain et de la collectivité et jusqu’au bien même de Dieu. L’individualisme ne date pas d’hier mais son histoire le révèle hélas toujours plus fort et celui de notre époque est forcené.

Le psalmiste décrit l’amour fraternel, l’amour du prochain, comme délicieux. Aujourd’hui, il faut faire effort, le plus souvent, pour témoigner de cet amour, comme s’il ne nous était plus naturel. Bien sûr nous avons nos amis avec lesquels il est facile d’être en harmonie. Nous les avons choisis ou ils nous ont été donnés et nous les recevons avec gratitude. Mais nous avons du mal à nous ouvrir plus largement à tous nos frères en humanité et à goûter concrètement cet amour universel. Mais il ne s’agit pas tant de ressenti, il s’agit d’un amour plus profond, vécu dans la foi, et une foi qui opère dans le don de soi-même. Cet amour là peut vivre éternellement car il n’est pas sujet aux fluctuations de la sensibilité, il a la solidité, la pérennité de l’esprit.

Pour exprimer à la fois ce caractère délicieux et aussi ce caractère spirituel, le psaume emploie deux images très subtiles et délicates : celle du parfum et celle de la rosée. C’est montrer aussi que cet amour fraternel authentique nous est donné d’en haut : il descend du haut de Dieu, il est participation à son propre amour. La mention d’Aaron est très belle aussi : il s’agit du grand-prêtre, il s’agit du Christ, finalement. L’onction, c’est-à-dire l’Esprit-Saint qui est Amour en Dieu, descend d’abord sur le Christ, sur son humanité, exprimée par sa barbe, puis de là jusqu’à la frange de son vêtement, c’est-à-dire l’Église, la demeure de Dieu, son habitation qu’elle pénètre et embaume. Ou bien l’Esprit, qui est Amour en Dieu est comparée à la rosée qui descend mystérieusement du ciel (l’Incarnation) pour se répandre sur les montagnes de Sion, et Sion, c’est encore l’Église. Vous voyez comme ce psaume est admirablement théologique, alliant la belle poésie à la vérité prophétique.

Une dernière idée, peut-être : c’est dans l’Église ainsi embaumée, ainsi fécondée par l’amour divin, que le Seigneur accorde sa bénédiction. L’amour fraternel chanté au début du psaume, hérité de Dieu et transmis par Dieu, devient le gage le plus sûr, l’indice évident de la bénédiction de Dieu. C’est en aimant tous nos frères que nous sommes sûrs d’aimer Dieu, que nous sommes sûrs aussi d’être aimés de lui, et c’est ça le plus important. Ce psaume nous parle de l’éternité et de ces relations délicieuses qui seront les nôtres, lorsque, dépouillés de tout amour propre, nous serons capables de nous ouvrir complètement aux autres, en Dieu.

Commentaire musical

Ecce quam bonum Partition

Ne soyons pas étonnés que ce graduel, qui met en musique, un texte aussi merveilleux, soit également très expressif au plan mélodique. C’est un 1er mode, un chant paisible donc, mais aussi un chant très contemplatif et très ardent. Il traduit la réalité éternelle de l’amour en Dieu à laquelle nous participons déjà, et en même temps, il exprime un désir véhément de parvenir dès ici bas à la perfection de cet amour. Le corps du graduel n’est constitué que d’une seule et longue phrase mélodique, tandis que le verset est découpé en trois phrases.

Dès l’intonation, on sent comme une grande dilatation de l’âme. La belle courbe de ecce, avec son premier intervalle de quinte Ré-La qui unit d’emblée la terre au ciel, si l’on peut dire, et avec son délicat mélisme par degrés conjoints qui semble vouloir éterniser cette relation essentielle, avec enfin la présence du Si bémol et sa cadence en La qui fait intervenir le demi-ton si doux, cette belle courbe annonce presque à elle seule tout le message du graduel. Alors que textuellement on n’a encore rien dit (ecce, tout seul, cela ne signifie rien), mélodiquement, a posteriori peut-être, on s’aperçoit que tout est en germe et que tout va se déployer à partir de là dans la suite. Il faut donner cette intonation avec légèreté et douceur et beaucoup de legato. L’âme est déjà plongée dans une atmosphère délicieuse. Et cela va se prolonger avec beaucoup de simplicité sur les deux adjectifs bonum et jucundum. Le premier, très sobre, avec son accent au levé et sa finale qui plonge doucement vers le grave ; et le second, plus développé, notamment sur son accent, mais qui suit le même schéma mélodique et qui nous maintient dans la plus absolue tranquillité, grâce à la première cadence en Ré de la pièce. Les deux quam, qui expriment l’admiration, sont également traités avec beaucoup de douceur et de délicatesse, le deuxième renchérissant très légèrement sur le premier. Une première incise ravissante, vraiment.

À partir de habitare, la mélodie s’élève subitement jusqu’au Do et atteint même le Ré en se campant résolument au-dessus du La, jusqu’à la cadence de fratres. Une façon d’exprimer que l’amour fraternel touche le ciel et vient du ciel. Il y a à la fois beaucoup d’élan et beaucoup de complaisance chaleureuse sur ce passage. C’est l’admiration de l’âme qui s’exprime, la reconnaissance aussi et la conscience de participer tous ensemble à l’Amour de Dieu. L’incise in unum, très chaude dans son développement, très large, très calme, conclut à merveille cette longue phrase avec l’idée d’unité qui est un attribut divin. La grâce des grâces, pour une communauté humaine, c’est bien l’unité, cette fusion des cœurs et des esprits dans un idéal commun, fusion qui exprime alors l’intimité absolue des trois personnes divines entre elles.

Le verset va formuler de manière poétique ce qui vient d’être chanté dans le corps du graduel. Le caractère délicieux de l’amour fraternel vécu en Dieu est comparable à un parfum précieux qui descend de la tête sur la barbe, puis sur le vêtement du grand-prêtre Aaron. On a déjà noté la signification profonde, ecclésiale, de cette image. Ici, il s’agit seulement de mettre en valeur l’apport musical que la mélodie confère au texte. Et d’abord on peut remarquer combien chaque mot est développé et bien souligné. C’est vrai déjà et surtout de unguentum. Avant même, là encore, que le texte ait exprimé l’action du parfum, la mélodie nous le décrit comme se répandant de lui-même, par son odeur et par sa liquidité. Ce début de verset est donc très joyeux, très léger, plein de charme dans cette ligne mélodique très ondulée mais dans la douceur, sans aucune arête vive.La dernière remontée doit s’accompagner d’un beau crescendo qui va amener tout naturellement la vocalise de in capite. Celle-ci se déploie à l’aigu, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il s’agit du chef, de la tête, c’est-à-dire du Christ, le parfum étant l’Esprit-Saint. Ce membre de phrase doit être donné de façon plus forte, plus rapide, avec des répercussions bien nettes.

Mais c’est la suite qui est plus surprenante. En effet, le sommet mélodique de toute la pièce va être atteint sur le mot descendit, qui signifie précisément l’action de descendre. Paradoxe qui ne rebute par l’art grégorien, car la signification de cette interprétation musicale est aisée si l’on considère que le chef que l’on vient de mentionner est Dieu, que le parfum qui est l’objet de toute la pièce est Dieu, que l’amour fraternel qui lui est assimilé prend sa source en Dieu. La descente de l’amour ne peut par conséquent se faire que d’en haut, et c’est ce que veut nous dire cet admirable descendit. En tout cas, il convient de le donner avec toute sa voix, de façon d’abord assez large, puis plus fluide une fois le sommet atteint.

Sur la mention de la barbe, la mélodie s’infléchit mais garde sa souplesse. Désormais et jusqu’à la fin, il n’y aura plus d’éclat, plus d’élan admiratif, c’est la pénétration douce et irrésistible du parfum qui s’opère. La mélodie d’abord légère et très legato sur barbam va s’élargir après la grande barre, sur la répétition du mot barbam et sur le dernier mot (Aaron) qui nous ramène à la contemplation du grand-prêtre, le Christ, en qui se complaît de façon définitive tout l’amour de Dieu et tout l’amour des hommes. La pièce se termine sur une longue vocalise classique des graduels du 1er mode, mais qui trouve ici une grâce particulière. C’est la paix qui s’établit et se fixe, la paix qui est le fruit béni de l’unité entre les enfants de Dieu, la paix qui ne fait pas de bruit mais s’affermit dans les profondeurs du mystère de Dieu. Que ce chant nous aide à faire la paix, en nous-mêmes et entre nous, sous le regard de Dieu.

Pour écouter ce graduel :

Ecce quam bonum

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