Salut, sainte Mère, qui as mis au monde le Roi qui gouverne le ciel et la terre pour les siècles des siècles.
D’heureuses paroles jaillissent de mon cœur ; je dédie mes œuvres au Roi. (Sedulius ; Psaume 44, 2)
Thème spirituel
Voici un des petits joyaux du répertoire marial grégorien. Œuvre du poète latin Sedulius qui vécut au Ve siècle, cet introït chante Marie dans son tout premier privilège, celui de sa maternité divine. Au-delà de son caractère poétique, le texte de ce chant témoigne de la richesse du vocabulaire latin. Trois mots sont employés pour désigner l’acte même de la naissance, envisagé du point de vue de la mère : parens, eníxa, puerpéra. Ces trois mots veulent dire littéralement celle qui accouche ou celle qui engendre, et le français, dans le langage courant, est pratiquement obligé de traduire à chaque fois par le mot mère.
Notre introït est un des premiers témoins de la grande louange mariale de la liturgie dans l’occident chrétien. La proclamation du dogme de la maternité divine de Marie, la Théotokos, au concile d’Éphèse en 431, a libéré l’inspiration des poètes et des liturgistes. À partir de cette date, les églises vont rivaliser pour célébrer la sainte Mère de Jésus. La louange mariale va se développer autour de trois thèmes principaux : la maternité divine, privilège premier et fondateur de tous les autres ; la virginité (avant, dans, après l’enfantement) et la sainteté. Marie, la Mère de Dieu, fut aussi et très tôt appelée la Sainte Vierge, et c’est toujours ainsi qu’on l’appelle de préférence, en occident du moins.
L’art byzantin exalte Marie en manifestant surtout sa transcendance, sa nature privilégiée et sa grâce propre qui l’établissent bien au-dessus de toutes les autres créatures, même angéliques. Cultivant le thème très oriental de la divinisation, l’art byzantin l’applique à Marie avec d’autant plus de facilité. L’art grégorien, art qui correspond davantage à la théologie occidentale, met davantage Marie à notre portée. Sans ignorer la louange somptueuse, celle du chevalier pour sa dame, il affectionne davantage la louange toute simple et toute pure de l’enfant pour sa mère, ce qui nous la rend très proche. Les textes des pièces mariales grégoriennes sont souvent d’une grande simplicité, ils ont nourri pendant des siècles la dévotion des fidèles. Et on peut les comparer à la merveilleuse floraison des sculptures romanes ou gothiques qui représentent la Vierge Mère avec l’Enfant Jésus sur ses genoux ou dans ses bras. C’est le même esprit qui a présidé aux compositions musicales et sculpturales. Puisque Marie est d’abord célébrée comme la Sainte Mère de Dieu, il est naturel que le mystère de l’Incarnation soit la véritable origine du culte de Notre-Dame. Notre introït pourrait être considéré comme un chant de Noël. On n’y définit Marie que comme Mère, une mère que l’on salue comme sainte. La fin du texte chante les louanges du Fils dont la grandeur rejaillit sur cette mère : il est roi et il gouverne le ciel et la terre pour l’éternité. Marie est mère d’un tel fils (sous-entendu elle est Mère de Dieu). Cet introït est donc davantage centré sur le Fils que sur la Mère. Les compositeurs aiment d’ailleurs à souligner le contraste qui existe entre la transcendance du Fils (ici il est représenté comme gouvernant le ciel et la terre pour l’éternité) et la simplicité la plus humaine de sa relation avec Marie : contraste extrêmement touchant pour nous qui sommes invités à devenir d’autres christs, d’autres enfants de Marie. La Sainte Vierge est celle qui nous enfante à la vie de la grâce, celle qui nous conduit à son Fils. Elle est notre Mère et c’est comme telle que nous la saluons dans ce chant.
Commentaire musical
Le Salve sancta Parens est une adaptation musicale de l’introït Ecce advénit de la fête de l’Épiphanie. Les commentateurs soulignent le contraste qui existe entre les deux pièces, en fonction de leur texte différent : le chant royal (Ecce advénit) fait penser davantage à une procession grandiose ; il doit être chanté avec une certaine solennité, une certaine lenteur et une grande richesse vocale ; à l’inverse, le chant marial est tout simple, plein de fraîcheur et de grâce, et on peut lui appliquer ce que dom Gajard dit des mélodies grégoriennes en général, quand elles chantent Marie :
« C’est un fait que toutes les fois qu’il est question d’elle, l’âme de nos vieux compositeurs s’est émue et a trouvé des accents singulièrement pénétrants pour lui dire leur amour ou implorer son intercession. Non pas qu’il faille y chercher des traits pathétiques ou grandiloquents, ni des effusions purement sentimentales, toutes choses essentiellement contraires au génie grégorien. La ligne reste toujours sobre, l’âme toujours maîtresse d’elle-même ; et c’est ce qui fait peut-être l’un des plus grands charmes de ces mélodies, à la fois viriles et si pleines d’onction, toutes saturées de vérité… C’est quelque chose d’infiniment délicat et de très aimant, où la tendresse la plus filiale et la plus exquise, voire la plus ingénue, s’allie toujours très naturellement à un sens inné de la grandeur incomparable et de la toute puissance suppliante de Notre-Dame. »
Notre introït n’est constitué que de deux phrases musicales : l’une est consacrée à la Mère, et l’autre au Fils. Il s’agit d’un 2ème mode très modeste qui culmine, si l’on peut dire, sur le Sol, et se développe surtout autour du Fa et du Ré, les deux cordes privilégiées du 2ème mode.
L’intonation est toute gracieuse et simple : une montée mélodique faite de deux podatus, partant du La grave et atteignant le Mi, se repose doucement avec la finale du mot sur la tonique Ré. La mélodie évoque le salut enfantin qui s’adresse à la mère : un mouvement d’admiration qui s’élève tendrement et se pose en une sorte de révérence pleine d’amour et de respect. De ces deux podatus, le premier est plus ferme car il coïncide avec l’accent ; le second, lui, se chante dans le mouvement du premier, sans qu’aucune intensité vienne lui donner du relief : son rôle n’est que d’épanouir le premier. La suite de la phrase monte d’un degré, sur Parens, et atteint le Fa, dominante du 2ème mode. On doit bien soulever et épanouir l’accent au levé de sancta, poser doucement la finale du mot, puis redonner un petit élan sur l’attaque de l’accent de Parens. La mélodie de ce mot forme une nouvelle courbe bien épanouie et pleine d’admiration. Le mot se termine comme le premier salve sur une cadence en Ré. Tout est très paisible, très intime.
Le second membre de phrase renchérit encore en montant à nouveau d’un degré et en atteignant le Sol. L’élan de eníxa reste paisible mais s’affermit sur l’accent du mot. Parvenue au sommet, très relatif, de la corde dominante, la mélodie se maintient sur le Fa en un petit passage syllabique alerte, qui doit progresser en intensité et en vélocité vers l’accent de puérpera. La finale de ce même mot, s’élargit alors doucement en une belle courbe très liée qui assure la transition avec regem, la louange passant ainsi, insensiblement, de la Mère au Fils. Bien prendre au levé du rythme l’accent du mot regem, puis poser la cadence finale de cette première phrase avec une plus grande fermeté correspondant à la personne royale et divine qui est chantée. Tout est admirablement senti dans cette alliance de la mélodie avec le texte de Sédulius.
D’ailleurs, la seconde phrase qui s’occupe du Fils désormais, mais sans quitter vraiment la Mère, toutefois, introduit d’emblée une nouveauté avec l’intervalle initial de quarte Do-Fa qui donne une belle impulsion à tout ce passage qui va suivre. On peut noter l’accent au levé de cælum, ainsi que la finale du mot avec sa note longue qui évoque si bien le ciel et l’éternité. La mélodie progresse en intensité, revenant au grave au début de terram et de regit comme pour s’appuyer et mieux s’élancer vers les deux pressus accrochés au Fa, dont le second représente le pôle intensif de tout ce passage. Mais attention toutefois : les accents au levé de terram et de regit, quoique placés au grave, portent l’intensité davantage encore que les deux pressus qui doivent être pris avec douceur, même s’ils renchérissent ensuite grâce à la longueur de la double note qui doit donc être vivante. Après ce sommet de regit, la mélodie s’incurve à nouveau jusqu’au Do, vers une cadence ferme et solide.
Le dernier membre de phrase connaît un nouvel élan à partir de ce même Do, vers le double Fa très ferme puis le Sol de sæcula. La pièce se termine de façon très heureuse en associant mélodiquement dans l’éternité (sæculórum) le Fils et la Mère, puisque la mélodie qui enveloppe ce dernier mot reprend de façon très suggestive le motif de la fin de la première phrase (puérpera regem).
Cet introït plein de douceur apparaît donc bien construit et très expressif dans sa sobriété même. Il exprime à merveille la piété occidentale envers la Mère de Dieu, une piété enfantine éperdue d’admiration et remplie de tendresse.
Pour écouter cet introit :