Que dire à ceux qui souffrent de ne pouvoir accueillir la vie ? Comment les porter dans la prière ? Du 31 mai, jour de la visitation, au 7 juin, jour de la fête des mères, le site Hozana.org propose de prier pour les couples en espérance d’enfant. Cette semaine de prière a été pensée par Clémence Delorme, conseillère conjugale qui accompagne des couples touchés par un deuil périnatal et a elle-même vécu cette épreuve.
Entretien avec Clémence Delorme
Propos recueillis par Adélaïde Pouchol
Comment vous est venu le désir de porter une communauté de prière pour les couples en espérance d’enfant ?
Pour être tout à fait honnête, le site Hozana.org m’a proposé de construire et de porter cette communauté de prière par l’intermédiaire d’une amie qui nous a mis en relation. Cette amie sait que c’est un sujet qui me touche particulièrement. Avec mon mari, nous avons eu quatre filles. Deux d’entre elles sont décédées à la naissance car elles étaient porteuses d’une maladie génétique rare et dans une forme sévère. La découverte de cette maladie génétique a compromis nos rêves d’avoir sur terre une famille nombreuse. Par ailleurs je suis conseillère conjugale et familiale et bénévole dans une association d’accompagnement au deuil périnatal. Je peux entendre la souffrance des couples confrontés à la difficulté de porter et d’accueillir la vie.
Professionnellement, je ne propose pas d’accompagnements spirituels. Mon écoute n’est jamais déconnectée de ma foi mais elle n’en témoigne pas. J’ai donc un peu hésité à me lancer dans la création et l’animation de cette communauté de prière, à cause de « ce mélange des genres »! Mais pour ce projet dans ce contexte, ça avait du sens il me semble.
Comment avez-vous pensé et construit cette semaine de prière ?
J’ai dans le cœur que chaque couple blessé dans son désir de procréation, de donner la vie, puisse être rejoint par cette communauté de prière, que nous puissions prier largement pour les couples en souffrance, peu importe leur expérience de vie (infertilité, infertilité secondaire, fausses-couches à répétition, maladies génétiques incurables affectant la procréation, deuils périnataux… ). On entend souvent à ce sujet des comparaisons maladroites et offensantes à propos de situations certes différentes mais toutes douloureuses. Chaque histoire est unique mais ces couples peuvent se retrouver dans l’épreuve de ne pas pouvoir fonder la famille initialement désirée.
Ces huit jours de prière sont proposés entre le 31 mai, fête de la Visitation qui coïncide cette année avec le dimanche de Pentecôte, et le 7 juin, jour de la fête des mères. Mais cette communauté de prière restera accessible ensuite pour tous ceux qui voudraient prier à cette intention dans l’année. Ceux qui souhaitent s’unir à cette semaine de prière recevront chaque jour :
– la demande d’une grâce particulière pour le couple ou pour la femme, associée à une parole tirée de la Prière pour la vie de Sainte Mère Teresa ;
– une méditation audio de quelques minutes, écrite et lue par moi sur le thème de la grâce du jour et appuyée sur un verset de la Bible ;
– le témoignage écrit d’un couple qui est ou qui a été en espérance d’enfant ;
– le lien vers un chant pour un temps de méditation ;
– une prière écrite pour cette semaine de prière et que nous dirons chaque jour.
Il est difficile d’écrire pour des couples qui sont en souffrance, le sujet est tellement sensible ! Chaque mot doit être pesé pour ne pas blesser. J’y veille mais je tiens à m’excuser par avance si certains se sentent heurtés par une parole ou une des méditations proposées.
On dit souvent aux couples qui ne peuvent avoir d’enfant qu’ils peuvent avoir une « fécondité spirituelle ». N’est-ce pas donner du vinaigre à qui demande de l’eau ? Et cette fécondité spirituelle est-elle différente de celle que tout homme de bonne volonté, marié ou non, est appelé à avoir ?
Il y a des vérités que l’on peut expérimenter mais qui ne sont pas forcément bonne à dire à un couple en grande souffrance de ne pas avoir d’enfant ! Peut-être que, plus tard, ce couple sera capable de témoigner de cette autre fécondité, mais chaque chose en son temps. Il faut avoir du tact sur ce sujet. C’est comme lorsque nous avons perdu notre première fille, l’ainée, et qu’on nous a dit dès le lendemain que ce serait source de nombreuses grâces… C’était si vrai ! Pourtant, à ce moment-là, je n’étais pas prête à l’entendre. Dans la douleur, il faut être capable de pleurer avec ceux qui pleurent, d’être dans le temps présent et ne pas vouloir prendre trop vite de la hauteur, donner son avis ou tout spiritualiser. Avant d’apercevoir la joie de la résurrection de Pâques, il faut passer par la croix du vendredi saint !
Il ne faudrait pas que la fécondité spirituelle puisse être évoquée ou considérée comme un lot de consolation pour les personnes sans enfant ! Porter du fruit dans notre monde est la mission de tout chrétien, marié ou non. Par le baptême, nous sommes appelés à vivre les trois charges de prêtre, prophète et roi, à la suite du Christ. D’ailleurs, le fameux « Soyez féconds et multipliez-vous » de la Genèse n’est pas à entendre dans le sens restrictif de la fertilité. Oui, les couples sans enfant peuvent témoigner d’une extraordinaire fécondité, pas seulement spirituellen dans leurs métiers, leurs engagements associatifs, auprès de leurs proches etc. Je crois que le désir est un lieu de créativité, le manque peut pousser à se dépasser et déployer de fabuleux talents. Ce désir de vie peut être si viscéral qu’il participe d’un élan de fécondité, d’un besoin de donner la vie autour de soi malgré tout. Mais cela demande du discernement à chaque couple.
Ce que j’ai moi-même vécu me fait partager la conviction de Jean Paul II quand il affirme dans sa lettre apostolique Salvifici Doloris : « A travers les siècles et les générations humaines, on a constaté que dans la souffrance se cache une force particulière qui rapproche intérieurement l’homme du Christ, une grâce spéciale. » Reste que, même si je peux en témoigner, je n’essaierai jamais d’en convaincre quiconque ! La souffrance est trop intime.
Il est souvent difficile de trouver les mots justes quand une personne ou un couple confie sa souffrance de n’avoir pas d’enfant. On est parfois indélicat sans le vouloir… Quelles sont les choses à dire ou à ne surtout pas dire ?
Je crois que la liste des conseils serait trop longue mais, finalement, chaque situation est particulière et tout le monde ne réagit pas de la même façon face aux possibles maladresses. Inévitablement, sont à proscrire en toute situation les exaspérants : « Et alors les amoureux c’est quand que vous vous y mettez ! » ou « Vous n’en avez qu’un, vous ne voulez pas lui faire un petit frère ou une petite sœur ? »
Pour les proches, il est souvent difficile de trouver la juste attitude pour soutenir sans être intrusif, rassurer sans minimiser, écouter sans conseiller, compatir sans se montrer éploré. Il me semble qu’il faut déjà avoir en tête que la situation est très douloureuse pour le couple et vécue souvent encore plus viscéralement par la femme. La révolte exprimée ou les silences du couple doivent être respectés. Inutile d’insister s’ils ne souhaitent pas momentanément participer aux fêtes de Noël en famille ou au baptême de la petite nièce. En revanche, il ne faut pas les isoler pour autant des nouvelles familiales et amicales dans le but de les « protéger ». Par exemple, éviter l’annonce d’une nouvelle grossesse dans la famille pour « ne pas en rajouter » peut être aussi très mal vécu par le couple. Dire les choses avec délicatesse, en n’occultant pas l’impact que cela peut avoir… Prendre des nouvelles pour exprimer sa préoccupation pour leur souffrance mais ne pas être intrusif… Et parfois il vaut mieux dire quelque chose avec un peu de maladresse qu’en faire un sujet tabou ! Enfin, évitons les « si j’étais toi… », car justement nous ne sommes à leur place, nous ne pouvons pas penser pour eux et envisager le quart de leur bouleversement. Gardons-nous de tous conseils ! C’est très pesant pour les couples qui ne se sentent alors pas vraiment écoutés.
Pour rejoindre la communauté de prière, cliquez ici.