Constitutionnalisation de l’avortement : remise en cause par un colloque politique et juridique

Publié le 01 Fév 2023
constitution

© François-Régis Salefran

Ce mercredi 1er février est présentée au Sénat une proposition de loi relative à la constitutionnalisation du droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Le 24 novembre dernier, l’Assemblée Nationale avait voté cette proposition à 337 voix contre 32.
Face à ce consensus de tous les partis, le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier a cependant décidé d’organiser le 21 janvier dernier un colloque au Sénat, reposant la question suivante : « Faut-il insérer un droit à l’IVG dans la constitution ? ».

« Cet événement je l’ai voulu pour de multiples raisons » Si le sénateur Reconquête souhaite réunir des auditeurs à cette conférence, c’est afin d’aller « plus loin que le débat interdit et en surface de l’hémicycle et des plateaux de télévision […] je voulais, continue-t-il, favoriser l’échange là où le wokisme cherche à supprimer et à faire taire ». C’est donc avec une volonté de réflexion profonde sur le sujet que ce colloque a été organisé : « je voulais que nous sortions de l’émotion pour tenter de parler à la lumière de la réflexion et de la bienveillance »

Quatre experts sur la question ont alors été invité à s’exprimer : Laurence Trochu, philosophe, Grégo Puppinck, docteur en droit et directeur de l’ECLJ, Anne-Marie le Pourhiet, professeur de droit public émérite de l’université de Rennes et Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.

L’avortement en France, grand tabou politique

C’est à Laurence Trochu qu’il revient d’introduire le propos, en analysant le débat autour de l’IVG depuis quelques années. Supériorité de l’émotion sur la raison, déni de la réalité scientifique, changement de définition des termes médicaux… voilà les différents outils qui cachent aujourd’hui la réalité de s’exprimer sur l’avortement. Derrière ce constat, Laurence Trochu montre alors la sacralisation qui est faite de ce droit à l’IVG, pourtant considéré comme une simple dérogation dans la loi Veil de 1975.
Laurence Trochu conclue que « cette proposition de loi signe un échec de la solidarité et de la fraternité ». « Ce n’est pas, termine-t-elle, en empêchant les mots qu’on ôte la douleur, les regrets ou la tristesse qui s’imposent à nous ».

Avortement, droit abstrait ou question sociale ?

Entrant plus en profondeur dans l’aspect juridique du sujet, et s’appuyant sur de nombreux chiffres, Grégor Puppinck cherche ensuite à montrer que l’avortement est un souci pour les femmes, les familles et la nation, et que sa constitutionnalisation ne fait qu’aggraver la chose, en limitant la liberté de conscience et la liberté d’expression : « placer l’IVG dans la Constitution en fait un dogme et empêche toute réflexion sur cette pratique ».

Toujours avec l’aide des statistiques, Grégor Puppinck cherche enfin à démontrer que l’on peut réduire le recours à l’avortement sans pour autant restreindre les conditions d’accès. Cela permettra ainsi d’éviter la chute démographique observable en France depuis des années. Mais cela n’écarte pas le fait que «  l’IVG sera toujours un acte violent qui met fin à la vie, même en l’inscrivant à la constitution ».
Grégor Puppinck demande ainsi de « considérer l’avortement pour ce qu’il est, un problème social, qu’il faut prévenir autant que possible ».

Les instrumentalisations idéologiques de la Constitution

Lorsqu’elle prend la parole, Anne-Marie Le Pourhiet souhaite préciser qu’elle n’a aucun parti-pris idéologique dans les recherches qu’elle a faites sur la constitutionnalisation de l’IVG. C’est dont uniquement sous le regard juridique qu’elle entend analyser ce projet de loi.

Elle se contentera de montrer que, malgré le fait que la Constitution soit le droit suprême de la République française, les propositions de loi à inscrire dans la constitution sont nombreuses et détériorent le pouvoir constituant.

Plus particulièrement concernant le projet de loi relatif à la constitutionnalisation de l’IVG, le professeur de droit public émérite pose plusieurs arguments critiquant la mise en place de cette loi : le hors-sujet par rapport à ce qu’il s’est passé au États-Unis, où le système juridique n’est pas du tout le même qu’en France, l’inutilité juridique de cette constitutionnalisation, le projet de loi mal formulé, et un emplacement dans la Constitution très ambigu, telles sont les critiques d’Anne-Marie le Pourhiet qui déplore ainsi les erreurs faites dans le processus de ce projet.

Réflexions sur la constitutionnalisation du droit

Guillaume Drago, concluant ce colloque, émet enfin une réflexion plus générale sur le processus de constitutionnalisation. L’étude est alors plus large, le professeur en droit publique à Assas s’attardant cependant quelques minutes sur la constitutionnalisation de l’IVG elle-même. Mais il s’intéresse plus particulièrement à différents épisodes où des lois ont pu prendre le statut de « constitutionnelles ». Cette réflexion, comme toutes les autres, vise à donner à l’auditeur les informations nécessaires à une réflexion plus profonde sur ce sujet peu débattu qu’est l’IVG.

Telle était la volonté du sénateur Stéphan Ravier lors de l’organisation de cette conférence : « les questions de fond et de forme vont de pair, comme celles d’ordre juridique et politique ; c’est l’intérêt de croiser les différents profils d’analyse ici ». Le but était donc simplement de partager des réflexions d’experts sur le sujet, en vue de mieux comprendre les enjeux quant à ce projet de loi. Le sénateur des Bouches-du-Rhône souhaite se dresser face au consensus politique qui entoure cette question : « la volonté de vous réunir aujourd’hui est enracinée dans une condition profonde: celle de faire advenir une nation unie, unie de la conception à la mort naturelle, même dans les situations difficiles, même dans les situations les plus douloureuses ».

Aymeric Rabany

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