Le monde s’est réveillé cete fin 2014 face à un Califat déterminé dans sa volonté de conquête et d’islamisation. Pourtant, cette émergence avait déjà été envisagée.
En 2004, le National Intelligence Council (NIC) publiait « Cartographie du futur global », un document envisageant plusieurs scénarii pour le monde en 2020. L’un deux était intitulé Le Califat. L’on ne peut qu’être frappé par la justesse des prévisions faites il y a dix ans. Quelques intuitions se sont révélées particulièrement pertinentes :
« En 2020, Al-Qaïda aura été détrônée par des groupes islamistes extrémistes d’inspiration similaire, qui s’opposeront à la mondialisation (…). Le cœur d’Al-Qaïda faiblira, toutefois d’autres groupes, inspirés par Al-Qaïda et fondés sur des bases régionales pourront continuer à mener des attaques terroristes (…). Le Nouveau Califat nous donne un exemple de la façon dont un mouvement global, nourri par le radicalisme religieux pourrait constituer un défi aux normes et valeurs occidentales (…). Une prise de pouvoir radicale dans un pays musulman du Moyen-Orient pourrait aiguillonner le terrorisme dans la région et redonner la confiance aux populations en leur montrant que le nouveau Califat n’est pas simplement un rêve ».
En effet, poursuit le rapport « les terroristes auront besoin d’un quartier général fixe afin de planifier et de mener leurs opérations ».
Deux erreurs
Toutefois, le NIC s’était trompé sur deux points. En premier lieu, le Califat avait été imaginé comme une insurrection transnationale inspirée des stratégies d’Al-Qaïda. Or, même s’il revendique l’effacement des frontières entre la Syrie et l’Irak, l’État islamique a bien pour objectif de créer une entité territoriale stable. Il ne dilue pas sa tactique sur de vastes espaces, mais concentre ses activités terroristes. En second lieu, la puissance d’un Califat global avait été surestimée. S’il s’était réalisé, il aurait interrompu le processus de mondialisation en accroissant les coûts liés à la sécurisation du commerce, ce qui n’est évidemment pas advenu. Après tout, les organisations criminelles n’ont jamais empêché les grands empires de commercer : ce n’est pas la piraterie qui a empêché l’Empire romain de continuer à commercer avec la Chine. Enfin, le scénario omet deux aspects essentiels : tout d’abord l’importance dans la région des fractures confessionnelles entre sunnites et shiites, qui n’ont pas du tout la même approche de l’intégrisme. Le second oubli n’est pas sans ironie, puisque le scénario néglige les responsabilités des États-Unis dans l’avènement du Califat qu’ils avaient pourtant anticipé. Même si le Nouveau Califat n’était qu’une hypothèse parmi d’autres, force est de constater que les prévisions s’avèrent en partie exactes. Mais les Irakiens regretteront sans doute que le NIC n’ait pas su prévoir de solutions…
Olivier Hanne est chercheur à l’Université d’Aix-Marseille. Thomas Flichy de La Neuville est spécialiste du monde iranien. Tous les deux interviennent régulièrement dans l’Homme Nouveau. Ils viennent de publier L’endettement ou le crépuscule des peuples aux éditions de l’Aube, (112 p., 12 euros.).