Parmi les nombreuses et exceptionnelles qualités de Benoît XVI, je voudrais rappeler ici un point particulier, mais essentiel : son travail pour maintenir et approfondir les liens entre la foi et la raison. Pour être précis et complet, il faut ajouter la raison théologique et la raison philosophique. L’articulation sans confusion de ces deux aspects de la raison implique pour la vocation des laïcs des conséquences importantes.
Sans être « thomiste », d’ailleurs l’Église ne l’est pas au sens strict (1) [elle est surtout fidèle à la tradition synthétisée et perfectionnée par son Docteur commun, saint Thomas d’Aquin], Benoît XVI a su remonter aux sources de cette complémentarité foi et raison, notamment dans ce que l’on a retenu comme ses sept discours principaux sur le sujet (2).
Dans son très beau et noble « testament spirituel » (3), je retiendrai cette phrase qui illustre ce travail : « Il semble souvent que la science – d’une part les sciences naturelles, d’autre part la recherche historique (en particulier l’exégèse des Saintes Écritures) – ait des vues irréfutables qui s’opposent à la foi catholique. J’ai assisté de loin aux transformations des sciences naturelles et j’ai pu voir comment des certitudes apparentes fondées contre la foi, ne se révélaient pas être des sciences, mais des interprétations philosophiques appartenant seulement en apparence à la science – tout comme la foi a appris, dans le dialogue avec les sciences naturelles, la limite de la portée de ses affirmations et ainsi à mieux comprendre ce qu’elle est. »
Ainsi, Benoît XVI, tout comme Jean-Paul II, avait saisi l’importance de la philosophie, particulièrement délaissée par les catholiques ou au contraire empreinte de nouveautés qui empêchent d’accéder à la foi dans la longue tradition réaliste du catholicisme.
Ainsi, par exemple, dans une interview de 2014 (4), Benoît XVI rappelait, à propos de l’encyclique Veritatis Splendor de Jean-Paul II, l’importance de retrouver le sens authentique et philosophique de la morale bien comprise face à « (…) une morale fondée sur le principe de l’équilibre des biens, dans laquelle il n’y a plus ce qui est vraiment mal et ce qui est vraiment bien, mais seulement ce qui, du point de vue de l’efficacité, est mieux ou moins bien ». Cette encyclique est empreinte directement et explicitement de tout ce que Thomas d’Aquin a donné comme principes de l’agir humain.
Autre exemple, dans son fameux discours de Ratisbonne, Benoît XVI manifestait la nécessité de comprendre que le christianisme implique « la concordance parfaite entre ce qui est grec, dans le meilleur sens du terme, et la foi en Dieu, fondée sur la Bible (…) La rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’était pas le fait du hasard. »
Ainsi, le Pape s’opposait à une tendance moderne, très présente aujourd’hui et source des contestations internes à l’Église contre Jean-Paul II également : « La revendication de déshellénisation du christianisme, qui, depuis le début de l’époque moderne, domine de façon croissante le débat théologique, s’oppose à la thèse selon laquelle l’héritage grec, purifié de façon critique, appartient à la foi chrétienne. »
Les deux papes, Jean-Paul II puis Benoît XVI, ont eu un souci commun, le second étant par ailleurs devenu le collaborateur éminent du premier par sa nomination en 1981 comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Deux grandes figures intellectuelles en fait inséparables dans leur complémentarité.
La Tradition de l’Église réside dans cet apport des liens entre la raison et la foi, entre la sagesse humaine ancrée dans l’expérience des choses et la Sagesse divine révélée dans les Écritures. Si Benoît XVI a été un grand théologien c’est aussi, au-delà de ses apports « originaux » et de son style personnel, parce qu’il a été fidèle au magistère authentique et qu’il a laissé la juste place à l’humble sagesse philosophique, insuffisante mais bien nécessaire pour l’explicitation du dépôt de la foi jusque dans les questions anthropologiques, éthiques et politiques, sources du travail et du devoir d’état des laïcs (5).
1. Il y aurait beaucoup à dire, car les mots en « isme » d’apparition moderne ont l’inconvénient majeur de renvoyer à un système intellectuel et non à une pensée vivante nourrie de la recherche du vrai et du bien à partir de l’expérience de ce qui est.
2. Discours au monde : Ratisbonne, La Sapienza, l’Onu, Paris, Prague, Londres, Berlin, Artège, 2013, présentation de l’abbé Éric Iborra.
3.https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2022/12/31/0966/02044.html (consulté le 2 janvier 2023).
4. http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/135074475af.html?fr=y (consulté le 2 janvier 2023).
5. On se souviendra de sa Note doctrinale à propos de questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, du 24 novembre 2002.