Gare aux abstractions !

Publié le 04 Nov 2023
abstractions
Certains tics de langage sont en réalité des pièges philosophiques, induisant en erreur ceux qui les emploient et ceux qui les lisent ou les entendent. Ainsi l’abstraction, nécessaire au raisonnement, peut devenir source de confusion si elle ne distingue pas l’essentiel de l’accidentel et est utilisée pour créer des généralisations frappantes mais trompeuses.

  Attentif aux manières de parler et de raisonner, Marcel Clément appelait « mythologie des abstractions » (1) les abstractions approximatives où l’on préfère parler de la jeunesse (d’aujourd’hui), du monde (ouvrier), du travail (en équipe ou féminin), du projet (humain), etc. Il déplorait que ce jargon empêchât de rejoindre les choses réelles, bien identifiées et expérimentées : « les esprits ne rejoignent qu’une étrange et inconsciente projection intérieure, cocktail pénible de généralisation vague, d’affectivité impulsive (ou répulsive), d’un mélange de désarroi et d’importance (qui masque le désarroi) ».  

Singulier ou universel

Plus profondément, la conséquence en est qu’il n’y a plus de pensée rejoignant des « choses singulières » si chacune d’elles est immédiatement induite au niveau de l’universel. Dès lors, « il n’y a plus que des maux universels et le moindre perfectionnement suppose un chambardement universel… L’Église est riche, elle doit devenir servante et pauvre ! Les réformes concrètes et précises sont une moquerie… L’abstraction, telle qu’on la pratique aujourd’hui, conduit finalement à ce que Maurice Donnay appelait naguère le “toutourienisme”, c’est-à-dire à l’anarchie immédiate ou à la démission rageuse. »  Sur des thèmes voisins, la pratique de ce jargon sévit toujours. On peut lire par exemple que « le récit d’une transition écologique désirable et juste reste à écrire. Seule certitude, il doit privilégier l’encouragement plutôt que la culpabilité permanente » (2). Mais que met-on ici sous « transition écologique », « encouragement », « culpabilité » ? Ailleurs, il s’agit de « refaire société avec la terre » ou « d’aménager le monde pour la vie », etc., encore des injonctions abstraites et vagues. Il faut comprendre l’origine de cette manière de penser et d’écrire, pour la détecter, nous en protéger, voire éviter nous-mêmes d’y céder. Tout repose sur le fait que notre intelligence possède effectivement le pouvoir naturel d’abstraire, ce qui est à la fois sa force et sa limite. Penser par des notions abstraites nous permet de comprendre ce qui est essentiel dans les choses, leur être profond, en laissant de côté, pour un temps, ce qui n’est qu’accidentel : on peut concevoir ce qu’est « l’homme » en laissant de côté l’immense variété des caractères individuels, bien réels certes, mais qui…

Pour continuer à lire cet article
et de nombreux autres

Abonnez-vous dès à présent

Bruno Couillaud

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneSociétéÉducation

Écoles hors contrat : un modèle qui s’impose

Les écoles hors contrat n’ont jamais été aussi nombreuses qu’à la rentrée 2024 malgré les difficultés administratives et financières qu’elles peuvent rencontrer. Dans un contexte de crise de l’éducation, elles bénéficient notamment de leurs méthodes pédagogiques et de leurs bons résultats académiques.

+

hors contrat école
SociétéÉducation

Christian Espeso : un directeur injustement sacrifié au nom de la laïcité

Le 11 septembre 2024, Christian Espeso, directeur de l’établissement catholique Immaculée Conception à Pau, a été suspendu pour trois ans par l'Inspection académique des Pyrénées-Atlantiques. Accusé d'atteinte à la laïcité pour des pratiques religieuses au sein de son école, cette décision suscite de vives réactions. Soutenu par la communauté éducative, il se prépare à engager une bataille juridique contre cette sanction qu'il juge infondée.

+

directeur Christian Espeso
Société

Financement de l’idéologie « woke » : un fardeau injustifiable

Entretien | Aboutissement d’une enquête de deux ans dans les comptes des entreprises et des institutions françaises, l’ouvrage de Wandrille de Guerpel et Emmanuel Rechberg, Le Vrai Coût du progressisme, démontre comment les finances des entreprises et de l’État sont siphonnées au profit du progressisme, à l’insu des citoyens et à leur détriment. Un constat brutal. Entretien avec Wandrille de Guerpel.

+

financement progressisme
Société

Incendie dévastateur à l’église de Saint-Omer

Dans la nuit du 1er au 2 septembre 2024, un incendie a ravagé l'église de l'Immaculée-Conception à Saint-Omer, entraînant l'effondrement de son clocher et des dégâts importants. Un suspect a été arrêté, soulevant des inquiétudes sur la protection du patrimoine religieux en France. 

+

incendie saint-omer
SociétéLectures

Itinéraire vers la vérité

Dans le roman d’une vie retracée, le père Jean-François Thomas guide son personnage principal de la douleur du veuvage à sa propre fin, en suivant un chemin héroïque vers l’abandon.

+

itinéraire vers la vérité