Grégorien : Introit Laetare du 4e dimanche de Carême

Publié le 05 Mar 2016
Grégorien : Introit Laetare du 4e dimanche de Carême L'Homme Nouveau

« Réjouis-toi Jérusalem, rassemblez-vous, vous tous qui l’aimez. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, vous qui étiez dans la tristesse. Que vous exultiez et que vous soyez rassasiés dans l’abondance de votre consolation. Ps. : J’étais heureux quand on m’a dit : nous irons dans la maison du Seigneur ».

Voilà à coup sûr un des sommets dans l’expression de la joie liturgique de l’Église. Il n’est pas difficile d’aimer ce chant d’entrée du quatrième dimanche de Carême. Il respire le bonheur et le bonheur du ciel, le bonheur de l’éternité, celui qui ne finira pas, celui vers lequel nous allons et auquel nous participons déjà dans l’intime de notre prière et de notre vie spirituelle comme dans la joie de nos moments communautaires. L’ébauche que représentent nos joies terrestres nous dit un peu ce qui nous attend et nous serons toujours en-deçà de la réalité, cette réalité céleste que nous ne pouvons pas imaginer, mais à laquelle nous croyons et en laquelle nous espérons, sur la promesse du Seigneur ressuscité.

La Joie, le bonheur, nous sommes faits radicalement, totalement, pour cela. Nous cherchons le bonheur de toutes nos forces, nous nous trompons parfois, souvent même, nous nous précipitons dans le plaisir d’un instant, dans la fascination qu’exercent sur nous les créatures, avec leur beauté éphémère qui vient pourtant de Dieu, mais qui n’est pas la beauté de Dieu. Nous vivons dans l’immédiateté de notre sensibilité et nous sommes souvent déçus et blessés du coup. Le Seigneur nous a créés pour le bonheur, mis ce bonheur il a voulu que nous le cherchions, que nous le désirions, et il permet que notre désir s’aiguise et s’avive à l’expérience parfois amère de nos échecs. Le bonheur se cache bien souvent au fond de nos détresses, il creuse son lit dans le ravin de nos souffrances. Dieu est Esprit, il nous faut passer par cette nuit de sens et même de la foi qui nous conduit sûrement vers sa lumière et vers la joie, sa joie, la joie qu’il est lui-même. Dieu est joie parce que Dieu est Amour. C’est un abîme, ce thème, c’est un mystère, mais nous essayons juste de le dévoiler un peu ensemble, et le chant que nous venons d’entendre peut nous y aider.

Le contexte biblique, ce sont les deux derniers chapitres du prophète Isaïe (65 et 66) qui décrivent les cieux nouveaux et la terre nouvelle. Isaïe, c’est la noblesse du style, c’est la beauté des images et tout cela culmine à la fin de l’ouvrage. On est en pleine splendeur. Et au cœur de cette vision prophétique, il y a Sion, la Jérusalem nouvelle, la cité sainte, transfigurée, placée sur la montagne de Dieu et illuminée par les reflets éclatants de la divinité. Qu’est-ce que cette Jérusalem ? C’est une ville et donc c’est une communauté. C’est donc l’Église, l’assemblée des saints, le Peuple de Dieu. Mais c’est aussi une femme, une fiancée ravissante ou une jeune épouse rayonnante de beauté. Ces deux thèmes seront repris dans l’Apocalypse, le dernier livre de la Révélation qui se termine lui aussi sur une vision prophétique sur la vie éternelle et son bonheur absolu dans Jérusalem.

« Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu; elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. J’entendis alors une voix clamer, du trône : “Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé.” »

Voilà pour le contexte biblique. Quant au contexte liturgique il est aussi extrêmement riche. On ne peut que l’évoquer ici, mais il y aurait beaucoup à dire. D’abord, on peut constater que ce n’est pas seulement l’introït qui  nous parle de Jérusalem, mais c’est toute la messe qui nous en parle. Tous les chants sont empruntés aux psaumes graduels qu’on récitait en pèlerinage vers la ville sainte. Image de notre pèlerinage terrestre vers l’éternité, image aussi de notre pèlerinage du Carême vers Pâques. Aujourd’hui, ce dimanche Lætare comme on l’appelle (nom qui vient du premier mot de notre chant d’entrée) est situé en plein Carême. C’est un chant d’allégresse au milieu de l’austérité de nos pénitences, et on peut le vivre ainsi, mais sans perdre cette dimension eschatologique de marche vers l’éternité. Le Carême est d’ailleurs un résumé de toute notre vie terrestre qui débouche sur le mystère pascal, c’est-à-dire sur le passage de la mort à la vie, réalisé d’abord dans le Christ, mais qui doit aussi se réaliser en chacun de nous.

Ce lien entre la messe de ce quatrième dimanche et particulièrement notre introït et le jour de Pâques est renforcé par l’ancienne signification liturgique de ce jour. Autrefois, en effet, aux tout premiers siècles, de l’ère chrétienne, le Carême ne durait que trois semaines. Du coup, le dimanche Lætare se trouvait être le premier dimanche de Carême. Ce n’était donc pas un jour de joie et de respiration, d’oasis au milieu du désert, mais un dernier jour d’allégresse avant d’entrer au désert. Et ce jour était alors en lien direct, plus explicite, avec le jour de Pâques. Deux jours de joie et de triomphe encadraient donc les trois semaines de pénitence, et le premier évoquait le dernier. Or on trouve dans un détail mélodique qui peut passer inaperçu aujourd’hui, une très suggestive illustration de ce lien entre ces deux jours de joie. Les premières notes de l’introït Lætare reprennent les dernières notes de l’alléluia de la vigile pascale. Ce retour solennel de l’alléluia avec sa triple élévation mélodique, dans la nuit de Pâques est certainement un des rites les plus expressifs de toute l’année liturgique. On peut écouter cet alléluia et retenir les 5 ou 6 dernières notes. Dans la foulée, on peut écouter l’intonation de l’introït Lætare, ce sont exactement les mêmes notes. C’est très beau de voir cet alléluia comme anticipé dans l’invitation à la joie de notre chant d’entrée. On était ainsi d’emblée orienté vers la joie pascale, expression la plus pure de ce que sera notre joie au ciel.

Voilà ce qu’on peut dire simplement au niveau du texte sur la richesse de ce chant. Une chose encore. Quand la liturgie évoque Jérusalem, à la fois cité, demeure de Dieu, femme, épouse, on ne peut pas ne pas penser à Marie qui est tout cela, qui est l’Église en sa réalisation la plus pure, qui est notre mère, celle dont le sein consolateur nous rassasie et nous protège. « Car ainsi parle Yahvé : Voici que je fais couler vers elle la paix comme un fleuve, et comme un torrent débordant, la gloire des nations. Vous serez allaités, on vous portera sur la hanche, on vous caressera en vous tenant les genoux. Comme celui que sa mère console, moi aussi, je vous consolerai, à Jérusalem vous serez consolés. » La Vierge Marie est présente durant notre Carême, même si la liturgie est discrète sur la Mère de Jésus, elle est là et elle fait notre joie.

Laetare

Que dire de ce chant enthousiaste au plan mélodique ? Il faut là aussi se limite parce qu’on n’en finirait pas de commenter une telle pièce. D’abord c’est un 5ème mode, le mode de la joie, précisément. La joie qui monte et s’élève dans les hauteurs, là où se situe Jérusalem, la ville sainte que l’on voit de loin, un peu comme la cathédrale de Chartres. Dès le début, l’introït, grâce à son premier mot bien sûr mais aussi par sa mélodie, est très joyeux. C’est une invitation faite par les fils et les filles que nous sommes à notre mère la sainte Église de se réjouir du spectacle auquel elle va assister, à savoir le rassemblement grandiose de ses enfants autour d’elle. Regardez le mot Jérusalem, il monte, de manière syllabique, à partir de la tonique jusqu’à la dominante du 5ème mode, comme pour nous indiquer que la ville sainte est placée sur les sommets, ce qui est vrai au plan géographique (la montagne de Sion) et au plan mystique (la vie spirituelle est un chemin vers les hauteurs). L’expression toute simple de cette montée est significative. Le chant grégorien fait merveille avec trois fois rien, de façon très discrète et très profonde. Toute la première phrase mélodique est pleine de joie, d’exultation (conventum facite ressemble à un bondissement d’agneau). La joie chrétienne a plusieurs expressions : il y a la joie plus intime, plus recueillie, du Gaudete. Et ici la joie est plus celle de l’allégresse d’un pèlerinage, une joie communautaire, un moment très fort avec l’expérience sensible de la présence de Dieu au milieu de nous, et non plus tellement en nous comme dans la liturgie de l’avent. Après le début de cette première phrase, la suite et la phrase suivante sont plus modérées et l’apparition de nombreux si bémols y est pour quelque chose. En fait ces si bémols sont sûrement des si naturels dans les éditions anciennes. Mais il faut prendre la mélodie comme elle se présente à nous et il n’est pas difficile de l’aimer telle quelle et de lui trouver une réelle beauté expressive. Il y a réellement une note plus intime sur tout ce passage avec l’évocation de l’amour de l’Église et l’invitation à la joie qui se fait sur le souvenir même de la tristesse passée. On exulte d’autant plus et d’autant mieux au sein généreux de la consolation de notre mère quand on se sait racheté et ramené sur le chemin du salut. La dernière phrase reprend sur ut exultetis la formule mélodique de conventum facite.

Pour écouter cet introit :

Laetare 1

Ce contenu pourrait vous intéresser

CultureLectures

Chroniques pour le passé, leçons pour l’avenir

Entretien | Le dernier livre de Jean-Pierre Maugendre, président de « Renaissance catholique », Quand la mer se retire*, rassemble ses chroniques des vingt dernières années. Loin de l’inventaire morose des difficultés du passé, il se veut un rappel des causes de la tragédie actuelle de la France et de l’Église, destiné aux jeunes générations, pour inspirer et guider leurs combats pour le salut des âmes et la survie de notre pays.

+

passé avenir Quand la mer se retire
CultureLectures

Au théâtre du Roi

Journaliste, critique de cinéma, spécialiste du rock, mais aussi féru de littérature et essayiste, Laurent Dandrieu a publié plusieurs ouvrages sur des artistes du passé. Après Fran Angelico, Le Bernin et les « peintres de l’invisible », il nous offre un essai sur Molière : Le Roi et l’Arlequin.

+

livres 1820

Vous souhaitez que L’Homme Nouveau poursuive sa mission ?