« Hommes de Galilée, pourquoi regardez-vous avec étonnement vers le ciel ? Alléluia ! Comme vous l’avez vu monter au ciel, ainsi il reviendra, alléluia, alléluia, alléluia ! Tous les peuples, battez des mains, jubilez pour Dieu avec des voix de fête. » (Actes 1, 11 ; psaume 46, 1)
Commentaire spirituel
Le mystère de l’Ascension, selon la forme ordinaire, est relaté dans deux des lectures de la messe : la première qui est tirée du chapitre premier des Actes des Apôtres et l’Évangile, emprunté chaque année à l’un des trois synoptiques. La deuxième lecture, tirée de l’Épître aux Éphésiens ou de l’Épître aux Hébreux, est davantage une réflexion théologique sur le mystère du jour. Il n’y a donc pas de lecture de l’Ancien Testament. Par ailleurs, l’ancien lectionnaire (forme extraordinaire) ne proposant que deux lectures (tirées du livre des Actes et de l’Évangile selon saint Marc) ne bénéficie donc pas de cette réflexion paulinienne sur le mystère. C’est certainement la raison pour laquelle les pièces de cette messe privilégient quant à elles les textes vétéro-testamentaires, en l’occurrence des versets de psaumes. C’est le cas des deux alléluias, de l’offertoire et de la communion, dans l’ancien formulaire, qui nous proposent une méditation de l’accomplissement des Écritures par le Christ. Ces pièces appliquent au Seigneur Jésus ce que le psalmiste affirmait de Dieu. Seul l’introït fait exception en se référant au Nouveau Testament et plus précisément au livre des Actes. Notons juste que l’offertoire et les deux communions (A et B) du nouveau formulaire reviennent eux aussi à l’Évangile ou aux Actes.
Mais observons de près maintenant le texte de l’introït, car il a été modifié de façon assez significative. Voici le texte latin du verset 11 du chapitre 1er des Actes, selon la vulgate :
Viri Galilaei, quid statis aspiciéntes in caelum ? Hic Jesus qui assúmptus est a vobis in cælum, sic véniet quemádmodum vidístis eum eúntem in caelum.
Voici maintenant le texte de l’introït :
Viri Galilæi, quid admirámini aspiciéntes in cælum ? Alleluia ! Quemádmodum vidístis eum ascendéntem in cælum, ita véniet, alléluia, alléluia, alléluia !
Deux verbes et une conjonction ont été modifiées :
Sic est devenu ita, modification insignifiante.
Eúntem est devenu plus précisément ascendéntem.
Statis est devenu admirámini.
C’est surtout cette dernière mutation qui est importante. Le compositeur a donné dans son texte cette note admirative et contemplative que ne rend pas directement le récit des Actes, ni d’ailleurs ceux de Marc ou de Luc, extrêmement sobres (Luc mentionne tout de même la joie des apôtres à leur retour du mont des Oliviers).
Mais la modification du texte la plus expressive est certainement la place faite à ita véniet, mis en rejet intentionnellement à la fin du texte, alors que l’expression est située au milieu de la phrase dans le récit des Actes. L’intention du compositeur, rendue explicite par le traitement mélodique de ce passage, était de mettre en valeur le second avènement du Christ à la fin des temps, et par là d’orienter le regard des disciples du Christ vers cette venue plénière du Messie qu’attend l’Église avec tout son amour. On a là, s’il ne s’agit pas d’une version plus ancienne du texte sacré, un exemple assez typique de la liberté et du bonheur avec lesquels les anciens citaient l’Écriture.
Retenons la note admirative de ce texte, qui colore toute cette célébration de l’Ascension ; et le thème de l’attente qui caractérise toute l’histoire de l’Humanité en face du Messie : il est vraiment Celui qui vient. Durant trois années seulement, le temps de sa vie publique, il a été présent aux hommes de son époque. Mais soit avant, soit après ces années privilégiées mais si courtes à l’échelle de la grande histoire, il demeure celui qu’on attend. Admiration et vigilance sont donc les maîtres-mots de cet introït, traduisant les deux attitudes du chrétien sevré de la présence visible du Sauveur.
Commentaire musical
Notre introït, emprunté au 7ème mode, le mode angélique, est très joyeux et même enthousiaste, soulevé par un souffle puissant. C’est une pièce très légère, filante, même, et très souple. Trois phrases mélodiques la composent : la première correspondant au reproche des anges ; la seconde à leur promesse ; et la troisième, aux trois alléluias qui concluent ce chant de joie.
L’intonation est typique du 7ème mode : on part de la tonique Sol et on atteint le Ré sur une première cadence à l’aigu qui oriente l’impulsion initiale vers ce qui va suivre. Les deux petits punctum de viri contribuent à donner beaucoup de légèreté dès le début de cette pièce. De même, le mot Galilæi est tout en élan vers son sommet, ou plus exactement vers son accent, car des deux clivis de l’accent, la seconde étant pourtant plus élevée mélodiquement, c’est la première, celle qui porte l’accent, qui est plus intensive, ce qui vaut, remarque dom Gajard, à chaque fois qu’on rencontre cette formule, surtout si elle affecte un accent tonique, comme c’est le cas ici.
Après l’intonation, le mouvement léger se concrétise, notamment sur le passage syllabique de quid admirámini, et même après, dans le beau balancement binaire de l’accent et des syllabes suivantes. On est monté très vite sur les cordes Do et Ré, et on s’y maintient, si bien qu’à part les trois Sol de l’intonation et un Si sur aspiciéntes, on ne descend pas au dessous du Do durant tout ce passage. C’est seulement la finale de aspiciéntes qui, en plongeant au Sol grave, rompt enfin le mouvement très léger qui nous emportait depuis le début sans relâche. Ce Sol doit être donné avec retenue, il sert de frein et il donne de l’étoffe à cette phrase, avant la brève remontée légère de in cælum. Paradoxalement, c’est l’alléluia calme et grave qui pose enfin cette première phrase interrogative, qu’il faut donc donner avec beaucoup de fluidité.
La seconde phrase qui relate la promesse redémarre dans la même atmosphère. Elle est même encore plus légère que la précédente. La ligne mélodique se déroule avec une grande rapidité, presque sans aucun appui, jusqu’à in cælum, expression qui ponctue les deux phases et précède dans les deux cas l’élément cadentiel, joué ici par les deux mots, ita véniet. Ceux-ci, en grand contraste avec ce qui a précédé, doivent être chantés de façon très large, très affirmative, avec un peu de retenue déjà sur les deux punctum de ita, et surtout sur la tristropha très puissante de l’accent de véniet qui demande un beau crescendo, juste avant la déposition douce de la cadence. Cette longueur vivante de véniet pourrait bien indiquer, dans l’esprit du compositeur, la longueur de l’attente du retour du Christ. L’unisson renforce cette idée. Pendant l’Avent, l’attente est celle d’une nouveauté absolue. Ici, l’attente n’a plus d’incertain que le moment de l’avènement. Celui qui vient, et la façon dont il vient nous sont déjà connus : quemádmodum, ita. Il y a une correspondance entre l’Ascension et le dernier avènement. Cette attente suppose simplement toute la perfection amoureuse de la vigilance chrétienne. Mais elle est pleine de joie car le Seigneur est déjà venu et il demeure dans nos cœurs. Alors, alléluia ! Et même trois fois alléluia ! Le premier alléluia est éclatant et tout en mouvement, le second est intime, grave, plus retenu, le troisième est très ferme et il nous fixe dans la certitude absolue du mode de Sol.
Le psaume, quant à lui, est une invitation universelle à la joie, adressée à tous les peuples de la terre.
Pour écouter cet introit :