Le Verbe se fait chair dans la mangeoire des animaux à Bethléem. Tout ici éclabousse de lumière : Dieu s’invitant chez nous de façon si inattendue.
Bethléem, le simple nom de la localité mettait saint François d’Assise en extase ; il le prononçait, dit son biographe (Thomas de Celano, I, n. 86), « à la manière d’un agneau qui bêle… passant sa langue sur les lèvres comme pour déguster avec délices et savourer la douceur de ce mot. » Bethléem, trois syllabes pour désigner une bourgade au sud de Jérusalem, et « pas la moindre », au dire du prophète Michée (5, 2), à cause du rôle qu’elle a joué dans l’Histoire Sainte, avant même la venue de Jésus.
Le livre de Ruth a mis Bethléem à l’honneur, avec l’histoire charmante des grands-parents de David, né lui aussi à Bethléem. Ruth, sa grand-mère, y rencontra le grand-père, Booz, « père de Jessé, père de David ». Le Livre sacré décrit l’heureuse rencontre avec un art consommé, « au temps de la moisson des orges », lorsque la jeune femme fut invitée « au repas des moissonneurs » (Ruth 2, 14).
Après la bourgade, voici la grotte. Elle fait penser encore à David, traqué par la persécution de Saül, puis par la révolte de son propre fils Absalon (1 Sam. 24, 4s & 2 Sam. 15, 16ss) : il dut alors se cacher lui-même dans des grottes. Et voilà Jésus, le vrai fils de David, qui naît caché dans la grotte à Bethléem, traqué lui aussi, mais par les tracasseries administratives d’un recensement (Luc 2, 2), puis par les soldats d’Hérode pourchassant les Innocents (Mt. 2, 16). La grotte et Bethléem, voilà la merveilleuse « mise en scène » qui fait entrer le Bon Dieu chez nous, en ce roncier de soucis oppressants qui est notre lot maudit à tous. Un chant liturgique use de l’analogie du théâtre pour vanter ce réalisme de l’Incarnation : « Devant Marie, chantons les doux accents du grand drame ».
Car Dieu commença par créer sa Mère de façon immaculée, et il y a là plus grand que Ruth ; et en portant neuf mois le Verbe Incarné, elle le fit passer de son sein virginal à la mangeoire des animaux, « la crèche », après qu’elle ait été elle-même son premier berceau. Toute vie humaine, aussi perturbés que soient son apparition ou son développement, tisse sa dignité et sa noblesse du premier contact merveilleux de la gestation maternelle ; notre temps a bien du mal à l’honorer, à le respecter pour aimer cette joie primordiale dont il a un si urgent besoin s’il veut s’ouvrir à la noblesse de l’amour intégral. Mais à la Noël 2017, la vie entière de Marie Immaculée, pleine de grâce et pleine d’amour, supplée à tous les défauts d’amour dont pâtissent les enfants.
La mauvaise fortune du recensement, puis le refus vexatoire des hôteliers de la petite ville firent naître Jésus dans l’extrême précarité décrite en saint Luc, avant d’échapper au meurtre conduit par Hérode : Jésus est d’abord le roi des rescapés. Mais en son sourire, on voit Dieu se jouant des contrariétés, cat « il aime jouer », dit l’Écriture (Prov. 8, 30s).
Dans l’étymologie de Bethléem (Maison du pain), les Pères trouvent une règle de ce jeu divin. Saint Thomas, le sérieux docteur angélique, cite saint Grégoire qui fait sienne cette étymologie, puis il écrit : « N’est-ce pas le Christ lui-même qui a dit : Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel (Jn 6, 41). Aussi le lieu où est né le Seigneur devait-il s’appeler auparavant Maison du pain, car en apparaissant ainsi dans la condition de la chair, il montrait qu’il devait un jour rassasier les âmes des élus. » Plus proche de nous, le bienheureux Charles de Foucauld voit dans le « nom de Bethléem comme la manne, une figure, une annonce, une douce prédiction du bienfait incomparable par lequel Notre Seigneur reste avec nous jusqu’à la consommation des siècles, pour ne pas nous laisser orphelins. Il fait durer sa présence corporelle parmi nous toujours, jusqu’à la fin des temps, transformant tous les jours de la terre en autant de jours de Noël, d’Emmanuel, Dieu à nous, Dieu avec nous » (sur saint Matthieu, c.2, édition Nouvelle Cité, t. V, p. 68).