Guy de Larigaudie, ou la « sainteté » scoute en acte

Publié le 02 Avr 2017
Guy de Larigaudie, ou la « sainteté » scoute en acte L'Homme Nouveau

Mort très jeune au début de la Seconde Guerre mondiale, Guy de Larigaudie (1908-1940) a marqué des générations entières qui, s’inspirant de ses écrits, entendent consacrer leur vie à servir Dieu et le prochain. Retour sur cette belle figure par le Père Alain Hocquemiller, prieur de l’Institut de la Sainte-Croix de Riaumont.

Vous avez récemment prêché une retraite sur le thème : « Guy de Larigaudie, un modèle de sainteté scoute ? » Qui était exactement celui que l’on a surnommé le « Routier de légende » ?

Père Alain Hocquemiller : Guy de Larigaudie est un scout de France de la première génération, qui a prononcé sa promesse en 1923, trois ans seulement après la fondation du mouvement par le Père Sevin et s’est fait connaître en 1937 par un exploit authentique : il a effectué avec son ami Roger Drapier la première liaison automobile entre Paris et Saïgon, traversant en particulier la chaîne birmane et le détroit du Gange dans des conditions extrêmement aventureuses. De ce raid, il a rapporté un récit de voyage : La Route aux aventures, qui met en lumière l’esprit dans lequel il a remporté ce défi. Il s’agissait pour lui de montrer à la jeunesse de France comment la foi catholique et l’idéal scout pouvaient transfigurer leur existence.

Comment a-t-il rendu son âme à Dieu et comment en avons-nous eu connaissance ?

Guy est tombé au champ d’honneur le 11 mai 1940, à la frontière luxembourgeoise. Les Allemands ont rendu les honneurs militaires à sa dépouille et ont renvoyé à sa famille les papiers personnels qu’il portait sur lui le jour de sa mort ; dont une lettre admirable, adressée à une religieuse carmélite qui depuis douze ans priait à ses intentions. Cette lettre, écrite à la hâte à la veille du combat est un testament spirituel particulièrement émouvant. Qu’il ait échappé à la destruction doit être considéré comme une délicate attention de la Providence ; c’est une grâce signalée pour tous ceux qui vivent de la spiritualité scoute.

Foncièrement animé par l’idéal scout, grand voyageur, Guy de Larigaudie donne l’impression contrastée de quelqu’un qui cherche Dieu mais qui a aussi passionnément croqué la vie… certains le voient comme un dandy superficiel.

Il est triste de se tromper à ce point. Sans doute est-ce le fait de lecteurs, eux-mêmes superficiels, du plus bel écrit de Guy : Étoile au grand large. Il s’agit d’un recueil de pensées, une œuvre posthume inachevée. Si on la considère comme une œuvre littéraire d’esthète, on peut se méprendre sur la personnalité de Guy de Larigaudie ; penser qu’il s’agit d’un dilettante qui nage dans l’abondance, que sa piété est surfaite, que ses prétentions à l’union à Dieu relèvent de l’illusion.

À ces juges bien impitoyables, je conseille la lecture des lettres de Guy, publiées sous le titre Le Beau Jeu de ma vie. On y voit à l’état natif les plus belles expressions d’Étoile au grand large surgir des circonstances parfois très éprouvantes de sa vie aventureuse. Ces lettres, qui n’étaient pas destinées à être publiées, sont comme un brouillon très révélateur de la sincérité et de la profondeur spirituelle de Guy. Les formules les plus remplies d’espérance lui viennent au plus fort de l’épreuve, quand il éprouve la maladie, l’échec aux examens, l’incertitude cruelle au sujet de sa vocation, les soucis d’argent, la critique et l’incompréhension de son père. Lorsqu’au contraire, il rencontre le succès et la gloire médiatique, on découvre un sentiment très vif de la vanité des choses et un détachement vraiment impressionnant.

Quand il écrit à sa mère : « J’ai suivi jusqu’à présent, quoi qu’il ait pu m’en coûter, exactement le chemin que me traçait la volonté de Dieu. Si c’était à refaire, je recommencerais ma vie comme je l’ai menée. Ce n’est pas ma faute si le bon Dieu me mène par des chemins tortueux pour me conduire enfin, je l’espère, à une route plus belle et plus droite… », je pense personnellement que c’est profondément vrai. On peut estimer que c’est de la forfanterie…

Mais que dire de la lettre écrite à la veille de son dernier combat, dans laquelle il exprime une espérance et un désir du Ciel galvanisés par l’approche du danger ? « J’avais fait de beaux rêves et de beaux projets, mais n’était la peine immense que cela va faire à ma pauvre maman et aux miens, j’exulterais de joie. J’avais tellement la nostalgie du Ciel et voici que la porte va bientôt s’ouvrir. Le sacrifice de ma vie n’est même pas un sacrifice tant mon désir du Ciel et de la possession de Dieu est vaste. »

Je vois dans ce pressentiment de sa mort imminente – pressentiment qui s’est réalisé – le sceau de l’authenticité de sa démarche spirituelle.

Votre retraite évoque la « sainteté scoute ». Vous-même êtes le prieur de la Sainte-Croix de Riaumont, branche masculine de l’Ordre scout voulu par le Père Sevin, cofondateur des Scouts de France et, peut-être un jour, bienheureux. Mais l’idée même d’une « spiritualité scoute », dont vous vous réclamez, est souvent contestée. Alors, quelle est-elle, cette spiritualité ?

 Définir la spiritualité scoute en une page est évidemment impossible. J’ai essayé de relever le défi dans un livre qui sortira en septembre prochain sous le titre Seigneur et chef. C’est en effet par ces mots que commence la très belle Prière des chefs dans laquelle le Père Sevin a exprimé le meilleur de la spiritualité qu’il offre au scoutisme. Notre Seigneur Jésus-Christ y est représenté avec le vocabulaire scripturaire de l’Épître aux Hébreux comme chef et comme frère : « le chef qui doit mener des hommes vers le salut » (He 2, 10) et qui « ne rougit pas de les appeler ses frères » (He 2, 11).

C’est vraiment la spiritualité qui convient au scoutisme. Elle s’élève, pourrait-on dire, à la verticale exacte de la pédagogie définie par Baden-Powell qui, on s’en souvient, demande au chef d’unité scoute de se faire le frère aîné des enfants dont il prétend s’occuper. « L’instructeur ne doit être ni un maître d’école, ni un officier de troupe, ni un pasteur, ni un moniteur. (…) Il faut qu’il se mette dans la position d’un grand frère, qu’il voie les choses du point de vue de ses garçons, qu’il les dirige, les guide, les enthousiasme à marcher dans la bonne direction. Et voilà tout. » Tout l’esprit du scoutisme est là, dans cette bienveillance de l’adulte qui renonce à ses prérogatives légitimes pour se faire le frère aîné des enfants.

On sait que la tentation de quiconque exerce une autorité est de s’élever orgueilleusement au-dessus de ses subordonnés, d’abuser de son pouvoir. À l’extrême, c’est la tentation des empereurs romains qui exigeaient de leurs sujets l’adoration qui revient à Dieu seul. L’homme se prend pour Dieu… Dans l’Incarnation, c’est au contraire Dieu qui, très réellement, se fait homme.

Et la doctrine du Christ-Roi montre en détail qu’en assumant fraternellement une nature humaine, le Fils de Dieu ne perd rien de l’autorité qu’Il a sur toute chose créée. Frère et chef.

Le cérémonial des Scouts de France, composé par le Père Sevin, traduit en formules très simples mais très riches la pédagogie qui se développe sur ce fondement spirituel. Le jour de son investiture, le chef de Patrouille scout remercie ses chefs de l’avoir choisi et s’engage en ces termes : « Je promets d’aider en tout mes frères scouts de la patrouille dont Notre Seigneur me fait aujourd’hui chef et gardien. » Commentant Baden-Powell, le Père Sevin montre de quelle manière son inspiration pédagogique s’inscrit dans la logique de l’Incarnation. C’est l’occasion de rappeler que ­Baden-Powell, loin d’être un agnostique indifférent à la religion est au contraire un chrétien fervent. Même si elle a pu être adoptée ou imitée par des mouvements de toutes obédiences religieuses, la pédagogie scoute est, à l’origine, pleinement et profondément évangélique.

Si nous passons maintenant de la « spiritualité scoute » à la « sainteté scoute », comme définiriez-vous cette dernière ?

Pour reprendre l’expression de saint François de Sales, la seule différence qu’il y a entre la spiritualité et la sainteté, c’est « celle qui existe entre la musique notée et la musique chantée ». La spiritualité, c’est une voie sûre qui conduit à la sainteté. La sainteté, c’est une spiritualité authentique, authentiquement mise en œuvre.

Permettez-moi de revenir sur la dernière lettre de Guy. Comme le frère Michel Manil, frère des Écoles chrétiennes, qui a beaucoup fait pour le procès de béatification de Guy, je pense que cette lettre est en elle-même un petit miracle. Le fait qu’elle nous soit parvenue est déjà un miracle. Je ne saurais assurer que ce « miracle » suffira à lui seul pour le procès !

Mais c’est surtout une merveilleuse synthèse de la personnalité et de la sainteté de Guy. En vingt lignes, écrites à la hâte, on trouve tout ce qui trame l’aventure du Beau Jeu de ma vie :
– le thème de la recherche de la vocation ;
– le thème de la prière : celle de la carmélite, celle du scout ;
– le thème de l’amour d’un fils pour sa mère et pour les siens ;
– le thème de la nature, reflet de Dieu ;
– le thème du rêve et de l’aventure sous le regard de Dieu ;
– le thème du monde trop étroit pour le cœur de l’homme ;
– le thème du Ciel ;
– le thème du sacrifice du don de la vie ;
et surtout le thème de l’exemplarité du chef pour « les louveteaux, les scouts et les routiers ».

« J’avais rêvé de devenir un saint et d’être un modèle pour les louveteaux, les scouts et les routiers. L’ambition était peut-être trop grande pour ma taille, mais c’était mon rêve. »

En quoi Guy de Larigaudie peut-il constituer un modèle pour un jeune d’aujourd’hui ?

Le Père Doncœur définissait le scoutisme comme une « jeunesse spirituelle ». « Qu’il s’agisse du louveteau, qui est tout jeune, qu’il s’agisse du routier, qui va le redevenir, le scoutisme nous parle sans cesse de jeunesse. Il (le scoutisme) nous dit : “Non seulement nous vous permettons de rester jeunes mais nous faisons confiance à votre jeunesse, nous vous demandons de redevenir jeunes.” Et l’une de ses maximes affirme qu’on ne naît pas jeune, mais qu’on le devient.

Si vous ne redevenez comme de petits enfants… »

Jusqu’à son dernier souffle, Guy a voulu être ce frère aîné qui montre l’exemple aux plus jeunes. C’est le scoutisme qui a attisé dans son cœur ce désir d’exemplarité à l’image du Christ lui-même.

Le scoutisme est une imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ.

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