Introït Intret oratio mea

Publié le 07 Nov 2015
Introït Intret oratio mea L'Homme Nouveau

« Que ma prière s’élève en ta présence. Incline ton oreille à ma supplication, Seigneur. Seigneur, Dieu de mon salut, je crie vers toi le jour et la nuit. » (Psaume 87, 3, 2)

Commentaire spirituel

Les introïts des derniers dimanches de l’année liturgique, selon la forme ordinaire, ont été piochés dans l’ensemble du répertoire grégorien pour constituer les formulaires des messes de la fin du cycle du Temporal. Ces introïts ont été bien choisis et le message qu’ils délivrent est essentiel. C’est vraiment le cas ici : l’introït Intret orátio mea du samedi des Quatre-Temps de Carême, a été ainsi mis en valeur, accédant au répertoire de la liturgie dominicale. C’est un chant bref mais intense, qui nous touche forcément puisqu’il parle de la prière, ou plus exactement puisqu’il est une prière en acte. Le psaume 87 (88 selon l’hébreu) auquel il est emprunté, est la supplication douloureuse et poignante d’un pauvre malheureux qui subit la double épreuve de la maladie et de la solitude, et qui ne voit pas la fin du tunnel. C’est d’ailleurs le seul psaume qui s’achève sur une impression négative, sans laisser de place, apparemment, à l’espérance. Mais l’espérance et l’amour traversent pourtant tout ce poème, d’un bout à l’autre, et en font un chant bouleversant d’intensité :

« Je t’appelle, Yahvé, tout le jour, je tends les mains vers toi : pour les morts fais-tu des merveilles, les ombres se lèvent-elles pour te louer ? Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta vérité au lieu de perdition ? Connaît-on dans la ténèbre tes merveilles et ta justice au pays de l’oubli ? Et moi, je crie vers toi, Yahvé, le matin, ma prière te prévient ; pourquoi, Yahvé, repousses-tu mon âme, caches-tu loin de moi ta face ? »

Notre introït n’a pas ce caractère dramatique. Il ne contient qu’une demande générale, formulée de deux façons différentes : l’une ascendante : « Que ma prière s’élève (littéralement : entre) en ta présence » ; et la seconde descendante : « Incline ton oreille à ma supplication. » Le message de ce chant, c’est donc la prière qui est présentée comme un dialogue entre l’âme et son Dieu. L’homme s’élève en s’adressant à Dieu, et Dieu se penche, comme un père aimant, pour écouter son enfant et l’exaucer. L’objet de la prière n’est pas explicité, si bien qu’on peut dire que c’est vraiment la prière en général qui est concernée.

Cassien nous a laissé deux conférences (les conférences 9ème et 10ème) des Pères du désert sur le thème de la prière. Elles contiennent un enseignement précieux sur ce que doit être la prière chrétienne efficace. Cassien dit notamment, ce qui semble commenter assez exactement notre introït : « La prière la plus parfaite et la plus élevée est celle qu’inspirent la contemplation de Dieu et l’ardeur de la charité, lorsque l’âme, absorbée dans l’amour qu’elle a pour son Créateur, lui parle tendrement et familièrement comme à un père. » Il insiste aussi pour montrer que la prière ne s’improvise pas, mais qu’elle doit être préparée et nourrie par toute la vie, et combien cette prière de vie est nécessaire pour aboutir à une vie de prière. « Pour prier avec la ferveur et la pureté nécessaires, voici ce qu’il faut observer avec soin : il faut d’abord retrancher généralement tout désir de la chair ; il faut ensuite éviter l’embarras des affaires et en éloigner jusqu’au souvenir ; il faut fuir les médisances, les paroles inutiles et frivoles, la raillerie, toutes les occasions de tristesse et de colère, tout ce qui peut exciter à la concupiscence ou porter à l’avarice. Et lorsqu’on aura ainsi coupé et arraché les racines de ces vices grossiers qu’aperçoivent les hommes, on appropriera la place, au moyen de la simplicité et de la pureté, afin d’établir les fondements inébranlables d’une humilité profonde, capables de supporter un édifice qui doit s’élever jusqu’au ciel. Il faut ensuite construire cet édifice de toutes les vertus, et préserver son esprit de toutes sortes de distractions, afin qu’il puisse s’accoutumer peu à peu à la contemplation de Dieu et à la vue des choses célestes. Tout ce qui occupe notre âme avant l’heure de l’oraison, se présente nécessairement à notre pensée quand nous prions. Il faut donc nous mettre, à l’avance, dans les dispositions où nous désirons être pendant la prière. Nous retrouverons, au milieu de nos actes de piété extérieure, l’impression des paroles et des actes qui les auront précédés. Leur souvenir se jouera de nous et nous rendra colère ou triste, si nous l’avons été. Nous retrouverons les désirs et les pensées qui nous occupaient, et qui nous feront retomber, à notre honte, dans la distraction et rire sottement d’une parole ou d’une action plaisante. Chassons donc de notre cœur, avant la prière, tout ce qui pourrait la troubler, afin de suivre ce précepte de l’Apôtre : « Priez sans cesse » ; et « en tout lieu, levez vos mains pures sans trouble et sans colère. » Nous ne pourrons jamais le faire, si notre âme n’est pas purifiée de tous les vices, et tout appliquée au bien et à la vertu pour se nourrir continuellement de la contemplation divine. »

Ajoutons seulement, ce que soulignent aussi les maîtres spirituels, que la prière est promise à la prière, autrement dit qu’avant de parvenir à ces sommets décrits par Cassien, il est normal que nous bataillions et peinions dans la plaine. De notre côté, générosité et persévérance sont donc les maîtres-mots de la prière. Mais la prière est aussi un don de Dieu. Dieu ne fait pas qu’exaucer nos prières de demande, il nous exauce aussi et surtout en nous donnant la faim et la soif de son amour, en nous faisant éprouver le besoin de prier. On peut dire que la prière est véritable quand on est passé de la notion de devoir à celle de besoin. Alors c’est l’amour qui s’est emparé de notre prière. Et le dialogue chanté par notre introït s’instaure de façon bénéfique et durable entre notre âme et Dieu.

Commentaire musical

Intret oratio mea

Ce bref introït n’est constitué que de deux phrases musicales qui correspondent aux deux formules de la prière, indiquées et commentées plus haut. C’est au 3ème mode que le compositeur a fait appel, et le caractère aérien et très souple de la mélodie se prête admirablement au message délivré par le texte, comme nous allons le voir.

L’intonation est très simple : un intervalle de quarte, Sol-Do, propulse d’emblée la mélodie vers les hauteurs où elle va s’établir tout au long de cette première phrase, et même au long de la pièce dans son ensemble. Le Do est la dominante du 3ème mode. Cette corde va être omniprésente : rien que sur les 22 notes du premier membre de phrase, on peut compter déjà 13 Do, 4 La, 3 Ré et 2 Sol. Cette proportion sera moins importante dans la suite, mais la corde Do demeurera néanmoins largement majoritaire, et il est significatif que son rôle de dominante s’exerce tout spécialement au début de cette pièce, comme pour exprimer l’altitude nécessaire de la prière qui doit, pour atteindre Dieu, s’élever non seulement au-dessus du créé qui entoure l’âme en prière, mais au-dessus même des ressources de son propre cœur, au-dessus de la nature humaine. C’est bien le sens de cette mélodie altière qui caractérise les mots orátio mea, juste après l’intonation. Le mouvement doit être très léger et traduire le vol de l’esprit que réalise la prière authentique. Seuls les accents de orátio et de mea, d’ailleurs traités de façon identique, tempèrent ce mouvement rapide par leur chaleur. La première cadence en Sol, sur mea, donnerait à ce membre de phrase l’impression d’un 8ème mode si la légèreté du 3ème mode n’était pas là pour faire pencher l’analyse modale vers ce dernier, les deux modes ayant d’ailleurs leur accointance. Il est fort possible, en effet, d’unir dans l’interprétation la fermeté du 8ème et la légèreté gracieuse du 3ème. La suite de la phrase confirme ce qui vient d’être dit : la mélodie, sur in conspéctu tuo, se maintient vers les sommets, entre le Sol qui sert de base et de point d’appui, et le Do qui continue d’attirer à lui la plupart des notes. Pourtant, la phrase atteint là son sommet intensif, et le rôle des Ré, à l’aigu, sur tuo, est prépondérant et bien expressif : ils ne sont plus là, comme en passant, ce qui était le cas sur orátio et sur mea, mais ils ponctuent réellement cette phrase qui s’achève au sommet, sur une cadence en Do très expressive. Ce second membre de phrase est un peu plus large, encore un peu plus ferme. Avec lui, la prière touche au but qui est la présence de Dieu, si nécessaire pour que l’on soit écouté et exaucé. La finale de cette phrase, sur le triple Do, doit donc être bien sentie, bien large, comme si l’âme éprouvait le besoin de se fixer en face de Dieu.

La deuxième phrase répond parfaitement à la première. Elle commence là où la précédente s’est achevée. La jonction est parfaite. Parvenue à son sommet, la prière, jetée dans le sein de Dieu, espère alors redescendre en pluie de grâces. Le mot inclína exprime ce désir. On est là au sommet de toute la pièce, et l’on atteint le Mi aigu, sur l’accent du verbe. Ce début de phrase est très vigoureux, très large, mais aussi très suppliant, très humble. Il n’y a évidemment aucune arrogance dans ce cri lancé vers le ciel. La descente de inclína est très expressive et très belle, mais elle ne fait pas perdre sa vigueur à la prière de demande qui remonte sur la finale du mot, avant de se calmer un peu et de se nuancer de délicatesse sur les mots suivants aurem tuam. L’oreille de Dieu, c’est son cœur et ce tuam fervent cherche à le toucher. Sa courbe mélodique quittant le Do et se raccrochant au Si naturel, amorce la descente qui va suivre dans le dernier membre de phrase. Pour la première fois, sur ad precem, on entend le Fa puis le Mi, tonique du 3ème mode. Pourtant, la mélodie va connaître un dernier sursaut très aérien sur precem meam. Les grands intervalles qui caractérisent ces deux mots invitent à ne pas précipiter leur exécution. Il y a une certaine joie dans cette vocalise, une certaine certitude aussi d’être exaucé, puisqu’on a touché le cœur de Dieu et qu’on s’est fait entendre de lui. La pièce se termine sur le nom du Seigneur, très chaleureux, assez vif toujours, mais s’achevant pourtant dans le grand recueillement contemplatif du mode de Mi. Cet élargissement ultime prend d’autant plus de valeur à la fin de ce chant plein de légèreté et de fermeté. Le cri d’amour du verset peut s’élancer alors, très sûrement et très tendrement : « Seigneur, Dieu de mon salut, je crie vers toi le jour et la nuit. ». On le voit, on ne ressent vraiment rien de l’angoisse du psaume dans cet extrait chanté, tout plein de confiance et de joie.

Pour écouter cet introit :

Intret oratio mea 1

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