Il ne suffit pas de mener un bon combat, encore faut-il combattre sur le bon terrain. Les soldats et les politiciens le savent bien, le choix du terrain confère un avantage stratégique, qui peut se révéler déterminant. Cela est vrai aussi du combat sur l’avortement. Plutôt que d’accepter le combat sur le terrain idéologique des droits de l’homme, nous devrions le ramener sur celui, humain, de la politique sociale.
Dans la modernité, les catholiques combattent « à l’extérieur », dans une société et avec des concepts qui leur sont devenus largement étrangers. Depuis le milieu du XXe siècle, le terrain des droits de l’homme, différemment, nous a paru être un entre-deux, un lieu de « dialogue avec la modernité » dans lequel les valeurs chrétiennes pourraient être représentées de novo dans le langage moderne de la moralité.
Mais les droits de l’homme, comme la bioéthique, se sont révélés être un miroir aux alouettes pour tous les chrétiens qui ont cru y être chez eux, seulement parce qu’ils y ont reconnu le langage de la morale et de l’éthique. Entraînés sur ce terrain, ils se sont empêtrés et ont été conduits irrésistiblement – par la logique même de ce terrain – aux conclusions qu’ils ne voulaient admettre. Et ils ont été vaincus, préférant admettre ces conclusions que quitter ce terrain de la modernité.
L’adversaire a l’avantage sur le terrain idéologique des droits de l’homme
Certes, il est possible de combattre, même en territoire adverse, et de démontrer, par exemple, que l’avortement ne saurait être un véritable droit de l’homme, ni une liberté fondamentale, car cela est contraire à la logique juridique et à la philosophie des droits de l’homme affirmés après la Seconde Guerre mondiale.
Mais que pèse une démonstration (rationnelle) face à une volonté (de puissance) qui rejette le principe de non-contradiction au motif que le passé n’est pas un argument contre le futur, que ce qui est ne peut conditionner ce qui devrait être ? Si les droits de l’homme devaient s’en tenir au principe de non-contradiction, ils manqueraient à leur promesse de progrès, car ils avancent par autodépassement dialectique.
En outre, parce qu’ils sont foncièrement volontaristes et individualistes, les droits de l’homme ne savent appréhender un être encore dépourvu de volonté et d’individualité, tel que l’enfant porté dans le sein de sa mère. Il n’a pas sa place dans les droits de l’homme qui l’ignorent en tant qu’être, et ne le considèrent qu’indirectement, à travers la volonté de sa mère.
Pour les êtres dotés de volonté, en revanche, les droits de l’homme sont le discours par excellence de l’affirmation de soi, de la proclamation de soi dans le désert de la société atomisée. Toute autre réalité y disparaît, ignorée. Seule compte l’auto-affirmation : je suis ce que je dis ; mon corps, mon choix : moi, je. Dans ce désert, résonnent, assourdissants, ces slogans de l’individualisme. Impossible d’y échapper. Ils font le vide dans nos esprits, jusqu’à nous priver de la capacité de voir le monde tel qu’il est vraiment, jusqu’à étouffer toute voix qui tenterait de le montrer.
Combattre sur le terrain humain de la politique sociale
Mais c’est depuis le monde, tel qu’il est vraiment, qu’il faudrait mener le combat, car le monde est réel, et permet donc un discours vrai. Il faut sortir du piège des promoteurs de l’IVG qui veulent nous captiver et nous enfermer sur le terrain de leur combat idéologique, un combat qui fait abstraction de la réalité humaine en affirmant un droit général et une liberté abstraite à l’IVG.
Or, la réalité humaine souffre de l’avortement. Contre les slogans, c’est cette souffrance qu’il faut exposer : celles des femmes, des couples, du personnel médical, ainsi que tous les méfaits de l’IVG sur la société.
Autant est-il devenu difficile, en droit, de convaincre que l’IVG n’est pas un droit, ni une liberté, autant cela est aisé lorsque l’on observe la réalité sociale. L’on constate alors que l’avortement est subi, bien plus que choisi, qu’il est marqué par le déterminisme qui veut que plus une femme est pauvre, jeune et seule, plus elle est exposée au risque d’avorter, et plus aussi elle y est moralement opposée.
Ainsi faut-il replacer la question de l’IVG sur le terrain qui devrait être le sien, et qui est aussi le nôtre ultimement : celui de la politique sociale, qui n’est autre que celui de la charité.
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