Les attentats de Paris auront-ils pour effet d’entraîner la France dans une guerre au Moyen-Orient ? Cela semble très peu probable. Tout d’abord parce que la France, après plusieurs décennies de réductions de ses forces armées, n’est plus en mesure d’intervenir sur tous les fronts. Mais surtout pour la raison suivante : dans la guerre d’influence que se livrent l’Iran et l’Arabie Saoudite, parrainée par les acteurs extérieurs russe et américain, la France reste diplomatiquement liée au second camp. Or l’enjeu majeur de cette guerre n’est pas celui des hydrocarbures mais bien la domination de l’épicentre religieux de la planète. Pour les puissants en effet, l’appropriation militaire des lieux sacrés constitue une tentative inlassable visant à capturer l’âme des individus afin d’agir sur celle des peuples. N’oublions pas que les Vikings frappèrent d’abord les monastères car ils savaient qu’il s’agissait de lieux certes riches, mais surtout à haute valeur religieuse ajoutée et dont la prise démoraliserait la population. Au Moyen-Orient, la conquête de lieux religieux actifs comme La Mecque, Jérusalem ou bien Najaf permet d’agir sur les civilisations concurrentes qui se les disputent. De fait, l’artiste capable d’appuyer sur la touche du piano religieux moyen-oriental dégagera des harmoniques puissantes, jusqu’à New York ou Djakarta.
Une agressivité exploitée
L’une des manifestations de cette volonté de conquérir les lieux sacrés est la manipulation – par les puissances extérieures – de la vitalité-agressivité des musulmans exaltés de l’État islamique. Il s’agit pour les uns de les électriser, et pour les autres de décharger leur électricité mystique en les reliant subitement à la terre. Soit dit en passant, la translation de l’État islamique vers le désert syrien ou irakien aurait pour conséquence de porter ses guerriers à l’incandescence. Or, dans la lutte difficile pour la conquête de l’épicentre religieux, l’élément déterminant sera la cohérence de la politique étrangère. L’on sait bien en effet, qu’au-delà d’un certain seuil de contradictions, la politique étrangère se désagrège, comme un objet porté à sa propre fréquence de résonance. Sous ce rapport, la Turquie, l’Arabie Saoudite, Israël ou les États-Unis ont du souci à se faire. Le second élément sera la sensibilité religieuse de la puissance souhaitant s’approprier les lieux sacrés. De ce point de vue, il ne fait nul doute que la Russie, qui se caractérise simultanément par sa ligne claire diplomatique et son penchant pour l’utopie, est mieux placée que sa concurrente américaine.
Thomas Flichy de La Neuville est Professeur à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr.