La guerre d’Algérie dans le viseur de Jean Sévillia

Publié le 26 Nov 2018
La guerre d’Algérie dans le viseur de Jean Sévillia L'Homme Nouveau

Fallait-il réenclencher les controverses liées à la guerre d’Algérie dans un pays qui connaît déjà une situation conflictuelle importante ? S’il y a bien un reproche que l’on ne peut pas faire à l’encontre de Jean Sévillia, c’est bien celui-là. Son dernier livre, Les vérités cachées de la guerre d’Algérie, ne s’inscrit nullement dans un dessein polémique. Bien au contraire, il entend éclaircir une page de notre Histoire nationale, finalement mal connue et sujette à bien des interprétations. Sa remarquable introduction, « La guerre d’Algérie est-elle terminée ? », décrypte ainsi les récupérations politiques, les interprétations idéologiques, les raccourcis historiques qui s’expriment à propos du passé colonial de la France, et singulièrement de la présence française en Algérie. Tous les procédés de l’historiquement correct semblent d’ailleurs s’être donné rendez-vous à ce sujet, comme si, non seulement, la mémoire n’était pas encore apaisée, mais surtout comme s’il ne fallait pas qu’elle le soit, afin d’enfoncer au mieux le clou d’une nécessaire repentance. Il faut dire que le Président Emmanuel Macron, alors candidat à la magistrature suprême, a porté le sujet à sa pointe extrême en parlant de la colonisation comme d’un « crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face ».

Regarder l’œuvre coloniale en face ? Cette démarche est justement celle qu’a empruntée Jean Sévillia, avec une humilité qu’il faut particulièrement saluer. Sur ce sujet complexe, bourré de chausse-trappes des mémoires encore à vif, il procède avec méthode, citant avec précision les spécialistes, confrontant les sources et les avis divers (et, parfois, divergents), replaçant l’ensemble dans le « temps long » qui est décidément le grand apport de la science historique.

Le résultat est une admirable synthèse, qui fend parfois le cœur, pour qui aime la France, car elle établit une terrible succession de moments historiques ratés. Mais elle dessille, aussi, les yeux ! Conquise en 1830, ce qui deviendra l’Algérie ne fut pas d’emblée une terre conçue pour la colonisation. Elle le deviendra peu à peu. Mais elle a connu de ce fait des affrontements terribles, aux lourdes conséquences. La mémoire familiale, de nature orale, permettra aux populations touchées de conserver à vif ses souvenirs, alors que les Français tourneront la page. Un massacre d’Européens pendant la guerre d’Algérie aura ainsi pour base un antécédent datant de 1870.

Un des aspects étonnants de cette Histoire tient aussi au fait que les Français sont peu enclins à coloniser ce pays. Ceux qu’on appellera plus tard les « Français d’Algérie » sont en fait originaires de différents pays européens. Pour sa part, la population musulmane ne pourra connaître le Christ, les différents gouvernements des différents régimes qui se sont succédé refusant d’associer l’œuvre colonisatrice en Algérie à la possibilité d’évangéliser. Au contraire, c’est la vision moderne et démocratique de l’homme qui fut transmise, nourrissant ainsi doublement le nationalisme algérien (au sujet duquel l’auteur offre un chapitre vraiment éclairant), constatant le divorce entre la réalité et l’idéologie et proposant en retour l’idéal de la liberté et de l’égalité qui lui est fourni comme sur un plateau.

Entremêlés avec la défaite de la France en 1940, la guerre franco-française jusqu’aux années d’après-guerre, les erreurs d’appréciation des gouvernements et l’instabilité de la IVe République, le jeu international, entre la bonne conscience américaine et la Révolution portée par l’Union soviétique, tous les ingrédients ont ainsi pris place pour cette guerre d’Algérie que Jean Sévillia restitue, étape après étape, ne scellant rien des erreurs des uns et des autres, et de l’immense ratage que constitue son issue. Décidément, il fallait l’historien de l’historiquement correct pour donner ce regard juste et apaisé sur ce terrible conflit dont nous portons encore les traces. 

Jean Sévillia, Les vérités cachées de la guerre d’Algérie, Fayard, 416 p., 23 e.

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