La pause liturgie | « Alléluia Confitemini » de la Vigile pascale

Publié le 03 Avr 2021
La pause liturgie | "Alléluia Confitemini" de la Vigile pascale L'Homme Nouveau

« Alléluia ! Rendez-grâce au Seigneur car il est bon, car sa miséricorde est éternelle »
(Psaume 117, 1)

Commentaire spirituel

Nous voici en présence de l’alléluia des alléluias ! Depuis le temps de la Septuagésime ou le début du Carême, nous n’avons plus entendu ce refrain joyeux qui est la plus belle des invitations à la louange en même temps que la plus belle des louanges divines. Et cette nuit, dans l’église toute parée et illuminée par la présence du cierge pascal qui trône au milieu du chœur et qui symbolise le Christ ressuscité, nous allons à nouveau entendre retentir ce chant de joie. Les nouveau baptisés sont là, au premier rang, revêtus de blanc, tout à la joie de leur renaissance et pleins de la grâce purificatrice et sanctificatrice qui vient de rentrer à flots dans leur âme. Autour d’eux, tous les fidèles qui les ont accompagnés durant les exercices pénitentiels de ce Carême sont assemblés dans une même foi, une même espérance, un même amour renouvelé. La messe pontificale a commencé, présidée par l’évêque, heureux pasteur d’un troupeau augmenté et fervent. Voici comment s’exprime l’ancien Cérémonial des Évêques[1] : « après avoir chanté l’épître et remis le livre au cérémoniaire, le sous-diacre se rend directement devant le trône de l’évêque et dit à voix claire : Reverendissime Pater, annuntio vobis gaudium magnum quod est Alleluia ; il s’approche aussitôt et lui baise la main. Puis celui qui est chargé de cette fonction ou un des chanoines pré-entonne alléluia à l’évêque qui, se levant sans la mitre chante alléluia trois fois, élevant la voix d’un degré à chaque reprise, le chœur le répétant de même chaque fois. »

Ce retour solennel de l’alléluia dans la nuit de Pâques est certainement un des rites les plus expressifs de toute l’année liturgique. Alléluia est un mot qui signifie « Louez Dieu », et déjà dans l’Ancien Testament il est lié au mystère pascal puisqu’il désigne avant tout la première Pâque du peuple juif lors de sa sortie d’Égypte, au temps de Moïse. Dans le contexte de la Pâque chrétienne, cette expression de louange invite l’Église-Épouse à célébrer le Christ qui est passé de la mort à la vie et qui lui est désormais rendu. Elle laisse donc éclater sa joie à la vue de la victoire totale et définitive qu’il a remportée sur le péché et sur la mort. L’émotion contenue qui monte irrésistiblement dans cette triple grande vague de louange, on y reviendra, prélude à l’explosion joyeuse du verset Confitemini Domino, « Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car sa miséricorde est éternelle » dont l’emploi liturgique, en ce moment précis, témoigne de l’accomplissement des Écritures dans l’événement de la résurrection du Christ. Et c’est ainsi que se trouve inaugurée également la longue et belle série des alléluias du Temps Pascal. L’alléluia est devenu le symbole privilégié de la joie triomphante de l’Église, et il va retentir désormais sans réserve dans la liturgie, de Pâques à la Pentecôte. Saint Benoît qui consacre un chapitre de sa Règle, le quinzième, à l’alléluia, demande qu’il soit chanté sine intermissione (sans interruption) durant la période pascale. Mais l’alléluia est aussi le refrain joyeux de circonstance qui doit résonner dans toute notre vie et pas seulement au temps pascal. Dom Guéranger souhaitait volontiers à ses correspondants de devenir « alléluia des pieds jusqu’à la tête », ce qui veut dire que la louange doit devenir notre nature elle-même. L’Église, en ce jour de Pâques et depuis lors, a le cœur en fête, son Sauveur est ressuscité, la Vie a triomphé, alors elle ne cessera plus de chanter alléluia !

« Alléluia : louange à Dieu ; louange à Dieu dans les biens, louange à Dieu dans les maux ; louange à Dieu quand il nous frappe, louange à Dieu quand il nous console ; louange à Dieu quand il nous couronne, louange à Dieu quand il nous châtie. C’est le cantique de l’homme nouveau, c’est celui qui doit résonner au fond de nos cœurs dans la dédicace de notre temple. J’ai appris dans l’Apocalypse, que ce cantique d’alléluia c’est le cantique des bienheureux et par conséquent le nôtre. Car la vie que nous menons doit être le commencement de la vie du ciel[2]. »

Commentaire musical

J’ai parlé tout à l’heure d’émotion. Il s’agit bien de cela. La mélodie qui accompagne le mot alléluia n’a rien d’exceptionnel. Et pourtant, elle est traversée par un souffle de vie qui soulève l’âme et lui fait éprouver le bonheur d’une libération après un grand danger. C’est vraiment comme une lame de fond, une grande vague de louange et d’action de grâce qui est adressée à chacune des personnes de la Sainte Trinité. On peut se pencher sur cette mélodie du 8ème mode que le compositeur a façonnée de telle sorte qu’elle traduise l’inondation progressive dans les âmes de la certitude de la foi en la résurrection du Sauveur. C’est une mélodie pleine de foi et d’amour. Considérons d’abord l’alléluia lui-même, puis le verset qui est dans un climat assez différent.

L’alléluia est très ferme, c’est peut-être la qualité qui émane en premier de cette mélodie. Elle s’appuie en effet, de façon très significative, à quatre reprises sur le Sol qui est la tonique du 8ème mode. Ces différentes notes longues rythment la marche mélodique et demandent à être données de façon très vivante avec beaucoup de chaleur vocale, en crescendo les unes par rapport aux autres, en tenant compte de la place de l’accent et de sa  vigueur spécifique. La structure de l’alléluia est aussi remarquable dans le fait que ces notes longues sont toutes suivies d’une montée mélodique sobre dont les sommets alternent entre le Si et le La, en sorte qu’on ressent très bien un balancement qui, en s’accompagnant du crescendo dont j’ai parlé, donne beaucoup de vie et d’équilibre à cette vocalise. La formule finale, qui reprend les intervalles des toutes premières notes de l’intonation de l’introït Lætare (4ème dimanche de Carême) nous fait enfin atteindre le Do lumineux (dominante du mode) avant de  redescendre sur le Sol final en une formule mélodique de cadence très ferme et très joyeuse. Cet alléluia est une merveille de simplicité et d’harmonie : à part l’unique Mi du début et l’unique Do du sommet, il joue seulement sur trois notes (Sol-La-Si). La triple répétition de cet alléluia sur une note plus élevée à chaque fois contribue évidemment à lui donner un surcroît de solennité et d’émotivité qui prépare l’explosion joyeuse du verset.

Ce verset va nous faire complètement changer d’atmosphère. Son départ syllabique, sur les quatre premières notes, comme aussi le fait qu’on atteint très vite le Do et qu’on s’y maintient, tout cela nous indique que le climat est tout différent. Ce verset, tout en gardant sa fermeté propre au 8ème mode, est extrêmement joyeux, enthousiaste, vif : il nous emporte dans la louange. L’invitation à la louange incluse dans le premier mot confitemini, se déploie en une longue vocalise pleine d’amour et de reconnaissance, très légère, sur l’objet de la louange qui est le Seigneur, Domino. La fin de cette vocalise nous fait atteindre pour la première fois le Ré, note la plus aiguë de toute la pièce, qu’on ré-entendra plusieurs fois, en une formule qui demande un bel épanouissement, juste avant la cadence de ce premier membre de phrase. Ce début de verset est très léger, mais il n’a rien de sautillant et il ne faut pas le précipiter, il est au contraire parfaitement maîtrisé au plan rythmique.

Vient ensuite le motif de la louange : quoniam bonus. Ici, la mélodie va se resserrer dans les hauteurs et devenir expressive de l’émerveillement de l’âme devant l’œuvre d’amour dont elle est témoin. L’âme semble se perdre dans une sorte d’extase que rendent très bien et la note longue qui termine sur le Do le mot quoniam, et la très belle formule de bonus avec son double intervalle Ré-Do qui précède la cadence en Si, sur un dernier intervalle de demi-ton plein de douceur. C’est du grand art, c’est surtout de la mystique, le compositeur ayant su traduire les sentiments de l’âme toute perdue en Dieu. Comment ne pas penser, dès cette nuit, à l’âme de Marie retrouvant son Fils bien-aimé, et goûtant, pour l’éternité désormais, dans l’extase de la présence renouvelée de Jésus, combien le Seigneur est bon.

Après cet arrêt momentané, la mélodie reprend sa légèreté initiale tout au long de la deuxième phrase. Mais on a quand même l’impression d’une attirance invincible vers la joie des sommets extatiques éprouvée à l’instant. On y revient sur le second quoniam qui début très légèrement, mais qui, à partir de l’épisème, va s’élargir en une montée chaleureuse et se poser finalement sur le Do, tout là haut, dans les hauteurs de la contemplation. La longueur de cet acte qui cherche à rejoindre la longueur de la miséricorde de Dieu comme pour mieux l’épouser, est très bien rendue par la mélodie répétitive de in sæculum et par sa cadence finale qui reproduit à l’identique celle de Domino dans la phrase précédente. Quelle liberté et en même temps quelle inspiration dans ces quelques neumes, quelle profondeur de vérité surnaturelle. La liturgie, par son chant tout spécialement, se montre une fois de plus maîtresse de vie mystique, maîtresse d’oraison, maîtresse d’amour théologal, et ce n’est pas étonnant en cette nuit qui constitue le sommet de toute l’année liturgique.

Il reste à conclure avec les deux mots misericordia ejus, dont le premier nous fait retrouver un mouvement plus léger, et le second qui évoque encore le Seigneur, puisqu’il s’agit d’un pronom personnel, nous emporte une dernière fois vers les hauteurs. Les notes longues sur le Do traduisent la complaisance de l’âme dans tout ce qu’elle vient de chanter, et la cadence finale, reprenant celle de l’alléluia, met un terme de façon définitive aux tristesses du Carême. Le Seigneur est ressuscité, la joie est au rendez-vous, alléluia !

Enregistrement audio à découvrir ici.


[1]Cérémonial des évêques du Concile de Trente à Vatican II, livre 2, chapitre 27, n° 25, traduction André Philippe M Mutel O.S.S.M et Peter Freeman, Éditions Hora Decima, 2006, page 240.

[2]Bossuet, 3ème sermon pour le jour de Pâques.

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