La pause liturgie | « Alléluia Magnus Dominus » du 14ème dimanche ordinaire

Publié le 04 Juil 2020
La pause liturgie | Introït Gaudens gaudebo (Immaculée conception

« Le Seigneur est grand et très digne de toute louange, dans la cité de Dieu, sur sa sainte montagne. »
(Psaume 47, 2)

Commentaire spirituel

Voici encore un alléluia tout entier consacré à la louange. Il y a de la grandeur, de la fierté, dans ce texte emprunté au psaume 47 (48 selon la tradition hébraïque) qui célèbre Yahvé, sa cité sainte, Jérusalem, et sa demeure, le temple, au lendemain, semble-t-il, d’une victoire éclatante d’Israël. Sion, avec sa situation topographique idéale, se présente comme le socle de pierre de la majesté divine. La ville est bâtie sur une montagne, elle-même entourée et comme protégée par une enceinte montagneuse. Dieu a choisi ce site pour y établir sa royauté, pour manifester aux hommes sa présence agissante. C’est là qu’a été installée l’arche de l’alliance, là que la tente de la rencontre, fabriquée par Moïse et le peuple dans le désert, a laissé la place à une demeure stable, somptueuse, digne d’évoquer l’empire de Yahvé sur sa création. Le Seigneur en a pris possession de manière éclatante lors de la consécration du temple par Salomon. La nuée de gloire emplit le temple de sorte que les prêtres ne pouvaient même plus exercer leurs fonctions. Voilà le contexte historique de ce chant de triomphe.

Mais évidemment, quand l’Église s’empare d’un psaume pour l’intégrer à sa prière, elle approfondit son sens littéral, elle lui confère ce sens plénier qui s’accomplit en la personne du Christ. Et c’est bien le cas ici. Le Seigneur, dans notre alléluia, c’est Jésus lui-même, le Fils de Dieu monté au ciel après sa résurrection, et trônant dans la gloire à la droite de son Père. Jésus, Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, est grand, aussi grand que son Père. Il ne lui est inférieur qu’en tant qu’homme. Ici, notre chant s’adresse explicitement à sa divinité. Notre louange peut monter vers lui, elle sera toujours en deçà de sa splendeur, comme le dit saint Thomas dans le Lauda Sion : quantum potes tantum aude quia major omni laude, nec laudare sufficis (ose tant que tu peux car il est au-dessus de toute louange, et tu n’arriveras pas à le louer de manière suffisante). Ce qui nous laisse les coudées franches et nous invite magnifiquement à ne jamais lésiner quand il s’agit de chanter Dieu. Le chant grégorien se prête à merveille à ce défi qu’il relève humblement mais persévéramment, avec une joie jamais mise en échec.

L’alléluia mentionne ensuite la cité de Dieu. Là encore, le sens plénier du psaume nous oriente vers une autre réalité que la ville de Jérusalem. Celle-ci, malgré sa splendeur admirée même par Jésus, n’est qu’un pâle reflet de la réalité spirituelle qui se cache derrière les remparts de l’image. Jérusalem, Sion, c’est l’Église, dans sa beauté d’épouse acquise au prix du sang de son époux divin. L’Église, c’est l’humanité rachetée, c’est toute âme lavée dans le sang de l’Agneau, c’est évidemment et en tout premier lieu la Vierge Marie, la toute première dans l’ordre de la grâce. Marie mérite le nom de sainte montagne. La montagne et ses cimes évoque naturellement la sainteté, la perfection. Tout, dans l’Église, conduit vers les sommets. Et toute sainteté reçoit alors la grâce de manifester Dieu aux hommes. Les saints révèlent le Seigneur, ils sont ces montagnes visibles de loin, ils rayonnent bien au-delà de leur vie terrestre, sur les siècles qui les entourent, ils sont des rochers sur lesquels nous pouvons appuyer notre propre ascension.

Et finalement, Jérusalem, c’est la cité du ciel vers laquelle nous cheminons joyeux, en pèlerins de l’infini. Là, le Seigneur se montrera tel qu’il est, à visage découvert, il sera la lumière de notre éternité. Nos sens et surtout notre âme, seront saturés de beauté, de grandeur, et la louange ne cessera plus dans nos cœurs, elle sera même l’unique activité des bienheureux. La liturgie nous initie à cette louange du ciel quand elle nous fait chanter un alléluia comme celui-ci, exempt totalement de prière de demande ou de supplication. N’ayons pas peur de chanter, même au milieu de nos souffrances et des peines, des soucis de notre vie personnelle ou communautaire. Ne perdons jamais de vue l’espérance. Des textes comme celui-ci, si nous y faisons attention, nous portent vers les hauteurs de la contemplation, nous établissent déjà et avec réalisme dans la région de l’oubli de soi, donc aussi de la joie. Oui, le Seigneur est grand et très digne de toute louange, dans la cité de Dieu, sur sa sainte montagne ! Alléluia !

Commentaire musical

Pour mettre en musique ce texte superbe, le 7ème mode se présente, joyeux, enthousiaste, ferme comme un rocher, et le compositeur l’a embauché, pour façonner dans le matériau musical de ce mode une mélodie vraiment remarquable par sa ligne très expressive d’une louange émerveillée. Le jubilus aussi bien que le verset, composé de deux phrases musicales, nous emportent avec un égal bonheur vers les cimes de la gloire de Dieu contemplée dans la cité sainte.

Greg 1715 2 1

Et cela commence d’emblée, de façon assez unique, par un intervalle de quinte Sol-Ré, qui nous établit aussitôt dans les hauteurs, où l’on va demeurer en très bonne compagnie. L’intonation assez simple tourne autour du Do et du Ré sur lequel elle se pose. On a ensuite un double motif mélodique très léger qui forme, par degrés conjoints, une courbe parfaite du Do au Do, avec à la fin une charmante petite cadence Ré-Do-Ré qui donne l’impression très agréable d’un balancement, presque d’un pas de danse. Tout cela doit être chanté avec une fluidité totale, dans un tempo rapide, sans aucun heurt. Le deuxième motif est un peu plus fort que le premier. Puis on a une autre vocalise, plus grave, répétée elle aussi deux fois avec juste la note initiale différente (Si pour la première, Sol pour la seconde). Ce double motif amène très naturellement la cadence su Sol, bien préparée par la petite formule finale, elle aussi très bien balancée Le Fa, sous-tonique du mode, apporte sa note de gravité qui conclut admirablement l’ensemble. Au total on a un jubilus assez exceptionnel de légèreté, d’enthousiasme, d’équilibre, qu’on a vraiment plaisir à chanter et qui colle parfaitement au message du verset.

Ce verset commence dans la grandeur, comme l’indique le premier mot. La courbe descendante puis remontante du Ré au Ré de magnus (selon une formule empruntée à la fin de l’intonation) réalise une sorte d’inclination, de révérence, avant l’envolée spectaculaire de Dominus qui jaillit de manière très subite. C’est léger comme un vol d’oiseau dit dom Baron. « Trois temps composés ternaires qui s’élèvent dans l’élan de l’accent tonique et qui vont, sans un ralenti, mais avec une délicatesse extrême, se poser sur la dernière syllabe du mot. Quelle louange exaltante et pure pour le nom divin ! » Le mot suivant, laudabilis, est vif, il est traité de façon parfaitement binaire, contrairement au mot Dominus. Il descend en outre vers le grave, se pose sur le Sol avant la remontée de valde où l’on retrouve une fois encore la petite mélodie, ce petit refrain de la fin de l’intonation, déjà entendu sur magnus.  On peut mettre beaucoup de complaisance et de chaleur, de vigueur même, dans ce petit mot qui signifie la plénitude de la louange. Tout cela est admirablement construit, très simple et très grand à la fois.

La deuxième phrase, après un départ léger sur in civitate, nous fait retrouver le motif si chantant, si déroulé, si joyeux, du jubilus de l’alléluia. C’est vraiment la joie de l’épouse qui est exprimée ici, l’Église qui se sait aimée de son Seigneur, habitée par lui, et qui se laisse emporter dans une louange qui ressemble à celle du Magnificat : fecit mihi magna qui potens est (le Tout puissant a fait pour moi, en moi, de grandes choses). Le mouvement s’élargit à la fin, sur Dei qui demande à être pris légèrement en retrait, mais de façon bien nette, avec un accent bien vigoureux.

Et on redémarre. La montée syllabique de in monte sancto ejus est vraiment très heureuse, très significative de l’allégresse des pèlerins qui voient de loin Jérusalem et qui montent vers elle le cœur tout gonflé d’espérance et d’amour. On doit donc reprendre un mouvement très léger sur ces punctum qui nous conduisent vers le Ré à partir duquel la mélodie reprend sa fluidité jubilante. Pensons qu’il s’agit pour nous de la Jérusalem céleste, c’est-à-dire du séjour définitif de notre bonheur que l’on entrevoit en chantant cet alléluia. On ne se lasse vraiment pas de chanter ces neumes de ejus pour la troisième fois et que l’on reprendra encore une fois avec la reprise de l’alléluia. Expression superbe de la joie extatique des bienheureux dans le ciel, à laquelle nous participons déjà sur la terre.

Cet alléluia ne semble pas appartenir au fonds le plus ancien, puisqu’il n’apparaît pas dans les manuscrits de Saint Gall ou de Laon. Mais il s’inscrit, avec son originalité, dans la lignée des plus beaux jubilus, ceux qu’on a le plus de plaisir à voir revenir sur le cycle liturgique, ceux qu’on chante l’âme légère et qui nous transportent le plus aisément dans la sphère de la pure louange et de la joie sans mélange.

À écouter ici.

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