La pause liturgie | « Alléluia Potestas ejus » de la solennité du Christ-Roi

Publié le 24 Nov 2020
La pause liturgie | "Alléluia Potestas ejus" de la solennité du Christ-Roi L'Homme Nouveau

« Alléluia ! Sa puissance est une puissance éternelle qui ne lui sera pas enlevée ; et son règne ne sera pas détruit. »
(Daniel, 7, 14)

Commentaire spirituel

La vision grandiose de la prophétie de Daniel, d’où est tiré le texte de notre alléluia, est une référence majeure du messianisme dans l’Ancien Testament. « Tandis que je contemplais:des trônes furent placés et un Ancien s’assit. Son vêtement, blanc comme la neige ; les cheveux de sa tête, purs comme la laine. Son trône était flammes de feu, aux roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, issu de devant lui. Mille milliers le servaient, myriade de myriades, debout devant lui. Le tribunal était assis, les livres étaient ouverts […] Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. À lui fut conféré empire, honneur et royaume, et tous peuples, nations et langues le servirent. Son empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit. »

Ce texte ressemble beaucoup à ceux que nous lisons dans l’Apocalypse, livre qui, plus de deux siècles après, peut donner d’emblée un nom à ce Messie, à ce Fils d’homme devant venir sur les nuées : L’apocalypse, en effet, porte le titre complet de « Révélation de Jésus-Christ ». Jésus est bien ce fils d’homme décrit par le livre de Daniel, il s’est lui-même attribué ce titre, notamment lors de sa passion, durant son procès devant le Sanhédrin : moment solennel entre tous qui décide de sa mort comme blasphémateur.

« D’ailleurs je vous le déclare : dorénavant, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant : Il a blasphémé ! qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d’entendre le blasphème ! Qu’en pensez-vous ? Ils répondirent : Il est passible de mort. »

Ce qui me frappe, c’est le côté solennel de tous ces textes messianiques et en contraste la douceur de l’avènement du Christ selon la chair. Le Fils de Dieu, en s’incarnant, a surpris tout le monde. La nuée sur laquelle il est venu, ce fut le sein d’une humble jeune fille. Le Fils de l’homme a vécu caché durant neuf mois dans ce sanctuaire virginal et maternel, puis il est venu au monde apparemment comme tous les autres enfants ; il a vécu caché trente années dans une petite bourgade méprisée d’un peuple humilié, le plus petit, le plus ingrat de la terre. Et il s’est révélé, de façon très désarmante pour les Juifs de son temps, avec les armes de la douceur et de l’humilité, provoquant un très réel malentendu entre lui et ses contemporains, y compris ses fidèles amis les Apôtres, qui, jusqu’au bout, espéreront qu’il restaurera la royauté en Israël. Jésus a déçu, Jésus a choqué, Jésus a même échoué, et pourtant, c’est incontestable, Jésus a régné, Jésus règne encore, Jésus régnera sans fin. C’est vraiment tout le mystère de la royauté du Christ qui est exprimé à travers le contraste entre ces textes puissants de Daniel ou des autres prophètes, repris largement dans l’Apocalypse, et la réalité de la vie humaine et terrestre de Jésus qui nous révèle tellement le vrai tempérament de Dieu. Il faut donc reconnaître que les notions de pouvoir, de puissance, de royauté, sont vécues de façon très différentes chez les hommes et chez Dieu. Bien sûr, nous disons à juste titre que si le premier avènement du Messie, selon la chair, s’est fait dans l’humilité la plus profonde, le second s’accomplira dans la gloire la plus éclatante. Oui, mais la gloire de Dieu, c’est quoi ? Est-ce que Dieu se manifeste plus puissamment dans l’ouragan ou dans la brise légère ? Le prophète Élie a déjà pressenti cela :

« Il lui fut dit : Sors et tiens-toi dans la montagne devant Yahvé. Et voici que Yahvé passa. Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan un tremblement de terre, mais Yahvé n’était pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre un feu, mais Yahvé n’était pas dans le feu ; et après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Élie l’entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. »

Dieu nous surprendra toujours. Il viendra dans notre vie personnelle comme à la fin des temps à la manière d’un voleur qu’on n’attendait pas. La puissance de Dieu, son règne éternel, infini, indestructible, n’ont pas besoin de violence pour s’établir, comme nous l’expérimentons avec les tyrans de la terre. L’Épître aux Hébreux nous dit bien qu’il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, mais n’imaginons pas un bourreau qui s’excite avec acharnement sur ses victimes. Personne n’est plus faible qu’un tel bourreau. Non, la douceur de Dieu, la douceur de son Amour, cette brise légère qui suffit à gouverner le monde, est bien plus terrible aux adversaires du Seigneur que la violence qui témoignerait de sa faiblesse. Sa victoire la plus profonde sur le Diable, Dieu a voulu la remporter avec l’instrument le plus faible et le plus délicat qu’il a créé : le pied d’une vierge, la Vierge Marie. Marie est plus terrible à Satan et aux enfers réunis qu’une armée rangée en bataille. Comprenons bien cela quand nous chantons le Christ-Roi, et spécialement quand nous chantons cet alléluia dont le texte nous parle de puissance et de règne.

Potestas 1

Commentaire musical

Le choix de cette mélodie est véritablement inspiré, il me semble, pour nous faire comprendre ce que je viens d’essayer d’exprimer. La grande mélodie de cet alléluia paisible, un 1er mode, nous dit souverainement la vérité de la transcendance du pouvoir de Dieu. Cet alléluia reprend la mélodie de l’alléluia Christus resurgens. Ici et là, il s’agit d’un triomphe. Mais ici et là, ce triomphe est traité mélodiquement avec un calme souverain. Comme tout cela est expressif, mais comme on risque aussi de passer complètement à côté de ces nuances !

Laissons-nous pénétrer par la douceur de cette mélodie qui nous fait comprendre en profondeur la nature du règne et de la puissance du Christ. La douceur est vraiment ce que l’on ressent en chantant ce merveilleux alléluia du 1ermode. Voyons en détail le comportement de la mélodie, au fil du jubilus et des deux longues phrases qui constituent le verset.

L’alléluia part de la tonique Ré du 1er mode et s’appuie sur elle et sur la sous-tonique Do, avant un premier élan très sobre qui atteint la Fa et le Sol, élan qui retombe en pente douce jusqu’au Ré, se renouvelle et redescend pour s’appuyer cette fois sur le Fa et monter jusqu’au Sib, de façon très liée et en même temps déjà très chaleureuse. La première cadence en Sol, amenée doucement mais aussi fermement, sert de point d’appui à l’envolée qui va suivre et qui est vraiment de toute beauté. On peut admirer cette douceur, ce legato et en même temps cette force tranquille qui se dégage de ces neumes légers, sur une mélodie qui privilégie les degrés conjoints, à une exception près en cours de vocalise, et deux autres intervalles de tierce juste avant la cadence en Do très paisible. La dernière incise du jubilus, très courte, sert de petite ponctuation et forme une belle courbe dont l’intervalle de quarte initial assure l’élan ferme avant la dernière retombée. Tout ce jubilus doit être très léger, avant comme après son sommet qui est l’unique Do aigu de la vocalise. Les variations d’intensité doivent bien suivre le flux mélodique, c’est-à-dire en crescendo jusqu’au Do aigu, puis en decrescendo jusqu’au Do grave, avec le petit sursaut final dont on vient de parler.

Après le premier mot, potestas, qui va être repris plus juste après, le verset commence exactement comme le jubilus sur ejus, avec les mêmes intervalles et donc aussi les mêmes nuances de tempo et d’intensité. Simplement, la mélodie qui atteignait rapidement le Sib sur l’accent de l’alléluia, s’attarde davantage sur le mot potestas qui traduit la puissance du Christ. La syllabe accentuée est dotée du long mélisme léger et chaleureux qui culmine avec le Sib. De même, le jubilus de l’alléluia se prolonge presque à l’identique sur æterna qui met si bien en valeur ce dernier mot, longue méditation fervente sur la qualité première du pouvoir du Christ : il est éternel, c’est-à-dire non seulement hors du temps, mais au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. æterna s’achève sur une cadence suspendue à l’aigu, sur le La, permettant au compositeur de rattraper sur les mots non auferetur la mélodie du jubilus qu’il avait un instant abandonnée. Ces deux changements, sur potestas et sur æterna, outre qu’ils permettent d’éviter l’effet de répétition, confèrent à la mélodie une amplification chaleureuse qui évoque bien le caractère transcendant, mystérieux, de la royauté du Christ. On peut noter, avant de conclure le commentaire de cette première phrase, l’affirmation très nette de non auferetur, qu’il faut souligner dans l’interprétation en détachant bien ces deux mots et même chacune des syllabes qui composent le verbe auferetur, en mettant bien en valeur également le rythme parfaitement binaire de tout ce passage. Il faut que cela sonne et donne l’impression d’une certitude absolue. Ce passage de notre alléluia répond parfaitement au jam non moritur de son modèle, l’alléluia Christus resurgens.

La deuxième phrase s’affranchit du jubilus dans sa première partie. L’extraordinaire mélodie qui affecte le mot et a cependant moins de sens, malheureusement, que celle qui se déploie sur le mot mors dans l’alléluia Christus resurgens. Cependant, elle nous aide à méditer sur la fiabilité et la pérennité du règne du Christ. Le double motif mélodique avec son élan constitué de deux intervalles, l’un de quarte et l’autre de tierce, et sa belle montée vers le Do, a bien un certain accent de triomphe, de fierté, de défi victorieux, accent qui se vient se fondre dans une paix irrésistible lors de la descente finale par degrés conjoints, composée des trois climacus, dans un parfait legato. Elle est vraiment belle cette descente toute amoureuse qui exprime la reconnaissance des sujets d’un tel roi, descente qui continue encore sur regnum ejus, pour rejoindre finalement le Ré et se raccrocher ainsi à la mélodie du jubilus à partir de quod non corrumpetur.

Cet alléluia est riche d’expression, de mystère. Il est paisible, certes, mais également vif et chaleureux, muni de bons crescendos, de beaux legato, il signifie notre foi en un règne qui n’est pas de ce monde, il nous parle d’espérance au sujet de ce règne qui n’aura pas de fin, et c’est avec un grand amour de reconnaissance envers le Christ-Roi qu’il nous faut l’interpréter.

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