La pause liturgie | « Dum sanctificatus » de la Vigile de la Pentecôte

Publié le 22 Mai 2021
La pause liturgie | Offertoire Deus

« Quand j’aurai été sanctifié en vous, je vous rassemblerai de tous les pays, et je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures. Et je vous donnerai un esprit nouveau, alléluia, alléluia ! Je bénirai le Seigneur en tous temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. »
(Ézéchiel, 36, 23-26 ; Psaume 33, 1)

Commentaire spirituel

Ce texte magnifique du prophète Ézéchiel est une des références majeures de tout l’Ancien Testament concernant la promesse du don de l’Esprit-Saint, promesse qui s’est accomplie le jour de la Pentecôte. Ce texte est comme une icône anticipée de l’événement de la Pentecôte chrétienne et on pourrait très bien le mettre sur les lèvres du Christ au soir de la Cène. Il est riche de notions qui nous sont devenues familières, mais sur lesquelles il est toujours bon de se pencher, pour approfondir notre foi et aviver notre amour. Prenons-les comme elles se présentent, tout au long de ce bel introït : la sainteté, l’Église, l’eau qui purifie, le don de l’Esprit.

« Quand j’aurai été sanctifié en vous. » Parole mystérieuse au premier abord. Il ne s’agit pas de notre sainteté, mais de celle de Dieu en nous, et d’une sainteté qui semble acquise par Dieu et même conférée à Dieu par nous. Bref, le monde à l’envers. Dieu seul est saint, nous le savons bien. La sainteté, dans l’Ancien Testament, est plutôt synonyme de transcendance, elle définit le monde de Dieu séparé de notre monde, et donc aussi le caractère sacré d’une personne, d’une chose, d’un lieu placés sous l’emprise de Dieu. On pourrait dire alors que sainteté signifie proprement appartenance à Dieu. C’est quelque chose qui touche l’être et non pas seulement l’agir, comme le laisse davantage entendre le sens moderne de la sainteté : un saint, pour nous, c’est quelqu’un qui exerce toutes les vertus à la perfection, quelqu’un qui agit bien et selon Dieu en toutes circonstances. Mais précisément, l’agir suit l’être. Si nos actes sont saints, purs, bons, c’est qu’ils proviennent d’une source qui est pure, sainte, bonne. Et cette source, en nous, c’est Dieu lui-même. On est saint dans la mesure où on est plein de Dieu, possédé par Dieu, pénétré par lui de toutes parts. « Quand j’aurai été sanctifié en vous », cela veut donc dire premièrement : « Quand je serai présent en vous, quand je serai le maître, quand vous serez en ma possession et que je serai tout en vous. » Et ensuite, cela veut dire : « Quand votre vie se déroulera tout entière sous mon influence, quand tous vos actes seront conformes à ma volonté. » Ajoutons juste, que pour nous, chrétiens, cette sainteté, cette sanctification de Dieu réalisée en nous, c’est Jésus lui-même, sa vie qui s’écoule en nous et transforme notre être et notre agir. Il s’agit donc d’une promesse, non seulement de la venue en nous du Saint-Esprit, mais d’abord d’une promesse de l’Incarnation avec toutes ses conséquences, dont la descente de l’Esprit-Saint.

« Je vous rassemblerai de tous les pays ». Voilà une authentique définition de l’Église : un rassemblement supra-national et théologal. Dieu est l’auteur de l’Église, c’est à l’initiative de son amour que les fidèles sont choisis, appelés, rassemblés en un peuple, le peuple de Dieu. Tous les êtres humains sont frères, mais dans l’Église nous sommes frères à un double titre : celui de la nature et celui de la grâce, de la vocation baptismale. Quel réconfort de nous savoir ainsi unis pour le temps et pour l’éternité, par delà nos origines, nos traditions diverses qui deviennent des richesses complémentaires ! On goûte cela avec joie à Rome où à Lourdes, au cours d’un pèlerinage.L’Église est notre mère, elle est la cité sainte de Dieu, son épouse.

« Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures. ». Il s’agit là du baptême, et, à travers le baptême, de tous les sacrements dont le baptême est la porte d’entrée. L’eau est symbole de vie et également instrument de propreté : c’est vrai au plan physique et çà l’est devenu au plan spirituel. L’élément naturel, dans le sacrement, signifie et réalise l’opération mystique qui est conforme à sa nature : l’eau purifie, lave et renouvelle nos âmes, elle en fait l’habitacle de Dieu, sa demeure, le réceptacle de tous ses dons ultérieurs. Cette vérité suppose celle du péché qui a souillé notre être et notre agir. L’action divine s’oppose directement au mystère du mal moral. Les sacrements n’existent que pour nous arracher à l’emprise du démon et nous restituer à Dieu, notre Créateur.

« Et je vous donnerai un esprit nouveau ». Le don de l’Esprit est à la fois ultime et principe. Ultime parce qu’il suppose tout ce qui a précédé, la sanctification-séparation-consécration, l’Église et le baptême ; principe, car avec lui, tout se renouvelle. L’Esprit est vie, et dans l’Église, l’Esprit-Saint est source de toute opération personnelle ou communautaire. L’Esprit-Saint est agent de notre perfection, il est l’âme de la mission, il est présent et acteur principal de toutes les initiatives chrétiennes. Cet Esprit nouveau se communique à nous par l’intermédiaire des sept dons (crainte, piété, force, conseil, intelligence, science, sagesse) qui réalisent en nous une ouverture de plus en plus grande au monde divin. Ainsi la boucle est bouclée : la sanctification de Dieu en nous, chantée au début de notre introït, est œuvre de l’Esprit-Saint qui nous est donné.

Ce texte est comme un prodigieux abrégé de toutes les relations qui nous unissent à Dieu. Il chante l’action divine une et multiforme qui se déploie avec ordre et harmonie dans chacune de nos vies et dans la vie de l’Église. Pouvait-on choisir un meilleur texte pour nous introduire dans le mystère de la Pentecôte, point d’aboutissement de toute l’œuvre du Christ ?

Dum sanctificatus Partition

Commentaire musical

La plénitude de ce texte, sa profondeur, sa richesse mystique, est rendue au mieux par la mélodie du 3ème mode qui l’épouse avec beaucoup de fidélité. Notons que les quatre phrases qui composent cet introït, ne correspondent pas exactement aux quatre thèmes décrits plus haut. Mais il est assez remarquable de voir que dans cette pièce, les barres et les cadences qui les précèdent n’ont qu’une importance relative. La succession des et nous indique qu’il s’agit en fait d’une seule phrase, comme il s’agit d’une seule action divine. La mélodie, en cela, correspond vraiment au texte, comme on va le voir plus en détail.

L’intonation est typique des mélodies du 3ème mode qui montent à partir de la tonique du mode, le Mi, vers sa dominante (ici le Do) avec un bel élan mystique déjà représentatif de toute la pièce. Ça commence de façon très douce et piano, dans le mystère, si bien traduit par les deux premières notes longues, puis le mouvement s’accélère et s’intensifie pour s’épanouir sur l’accent de sanctificátus. Une fois le Do atteint, la mélodie s’y maintient avec beaucoup de légèreté sur fúero. Un nouvel élan sur vobis permet cette fois d’atteindre le Ré. La cadence en Si de vobis est brève, et bien rythmée, elle conduit vers la suite. Tout ce premier membre de phrase est très léger, très enthousiaste.

Congregabo vos redevient plus humble et plus mystérieux. Il y a un paradoxe entre le texte et la mélodie. Le rassemblement des fidèles pourrait donner lieu à une explosion de joie communicative. Or au contraire, la mélodie se resserre et se pose sur le Mi très intime, comme pour montrer que ce rassemblement est d’abord intérieur et qu’il est l’œuvre du Seigneur agissant dans les âmes et les unissant profondément dans une même fois. Ce passage-là doit donc être plus piano. Mais bientôt, l’enthousiasme reprend ses droits, sur universis terris. L’Église n’est pas seulement une réalité spirituelle et intérieure. Elle a aussi une dimension extérieure et sociale. On peut admirer ainsi la justesse théologique de cette composition grégorienne et l’à-propos du choix du mode de Mi qui joue naturellement sur ce paradoxe mystique entre intériorité et extériorité. De nouveau une cadence sur Si empêche la mélodie de s’arrêter : la phrase continue, les conjonctions de coordination reliant ses membres en une ligne mélodique continue et très souple.

On retrouve un récitatif sur le Do. L’action divine d’effusion (et effúndam) répond à celle de la sanctification (fúero). Le balancement des deux notes longues évoque la douce pénétration de l’Esprit-Saint dans l’âme des fidèles, tandis que l’eau s’écoule physiquement sur eux dans le sacrement du baptême. Après ce verbe qu’il faut laisser planer un peu, le mouvement reprend avec super vos, vers aquam mundam dont l’épanouissement conclut très heureusement cette seconde phrase mélodique. Une montée légère et même rapide sur l’accent de aquam, puis, sans perdre la légèreté, une grande complaisance sur la finale du mot et la cadence classique de mundam. Là encore, cette cadence n’est pas vraiment conclusive, il ne faut pas s’y attarder : la phrase mélodique suivante, en effet, commence également par la conjonction et. On va même, tout de suite après, vers le sommet de toute la pièce qui est mundabímini. Ce verbe qui signifie, au passif, la purification, doit être pris de façon plus large, avec une grande complaisance, spécialement sur l’accent, bien mis en valeur, mais sans lenteur affectée toutefois, car l’ensemble de la pièce est léger. On reprend un peu de mouvement sur la remontée mélodique de ab ómnibus, pour élargir à nouveau le tempo dans la descente qui suit, très belle, très paisible, très liée aussi. Le début de inquinaméntis est piano et un peu mystérieux. C’est le péché qui est évoqué ici, et la montée sur la finale du mot exprime un peu l’étonnement devant ce mystère. Bien faire la distinction verbale entre inquinaméntis et vestris en laissant un peu planer la dernière note au sommet sur le Do. La cadence en Ré de vestris tranche un peu sur le reste de la pièce. Elle est plus conclusive, sérieuse et même un peu austère. La mélodie s’est faite un instant méditative devant ce double mystère du péché et de son effacement dans l’eau du baptême.

Puis, subitement, par un saut de quarte Sol-Do, la mélodie rebondit à l’aigu au début de la dernière phrase, sur et. On retrouve sur dabo (nouvel acte divin) ces notes longues sur le Do qui ont affecté comme on l’a vu, les verbes fúero et effundam. Il y a de la force et de la netteté dans ce dabo. L’accent de vobis, au levé, est bien rythmé. Et la pièce s’achève humblement et sans éclat sur Spíritum novum, en une cadence en Mi très contemplative. Il reste les deux alléluias, le premier en élan, très simple, le second, très épanoui et fort, puis se calmant pour finir dans la douce harmonie du mode de Mi.

Une très belle pièce, profonde et joyeuse à la fois, qui exprime et récapitule bien la richesse de l’action divine, à la veille de la Pentecôte.

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