La pause liturgie | Graduel Salvum fac, 29e dimanche ordinaire, mercredi de la 2ème semaine de Carême

Publié le 16 Oct 2021
La pause liturgie | Graduel Salvum fac, 29e dimanche ordinaire, mercredi de la 2ème semaine de Carême L'Homme Nouveau

« Sauve ton peuple, Seigneur, et bénis ton héritage. Vers toi, Seigneur, j’ai crié. Mon Dieu ne garde pas le silence avec moi, car alors je serai semblable à ceux qui descendent dans la fosse. »
(Psaume 27, 9, 1)

Thème spirituel

Le texte de ce graduel est emprunté au psaume 27 (28 selon l’hébreu) qui est dans sa première partie une supplication individuelle, une demande poignante d’un fidèle du Seigneur qui implore son secours et sa justice, afin d’éviter le sort réservé aux méchants, à ceux qui font le mal et qui pour cela semblent voués à la malédiction et à une mort infâme. Puis, dans la deuxième partie du psaume, on devine que le fidèle a été exaucé et qu’il remercie. Et dans son enthousiasme, le psalmiste en vient à élargir sa prière, à dilater son action de grâce et à lui donner une dimension collective. Il ne parle plus de lui, mais du peuple tout entier. Le dernier verset du psaume est le premier de notre graduel, ce qui fait que les perspectives sont inversées : il est d’abord question du peuple, puis de la prière personnelle de celui qui en est peut-être le représentant, c’est-à-dire le roi. Mais en tout cas, notre graduel se situe tout entier dans le cadre d’une prière de demande et même de supplication.

Au sein de l’Église, cette double dimension, collective et personnelle, trouve tout son sens. Le Seigneur nous a appris à prier en disant Notre Père. Toute prière chrétienne, même au singulier, concerne l’ensemble du peuple de Dieu. Nous n’y pensons certainement pas assez. Cette vérité devrait nous stimuler dans notre fidélité à nous adresser au Seigneur. Nous avons tous notre petit troupeau et nous sommes tous responsable du grand troupeau de l’Église universelle. Toutes nos intentions, toutes les intentions du Saint Père, sont incluses dans la moindre de nos prières, dans le moindre de nos soupirs vers Dieu, dans la plus petite prière de demande que nous lui adressons. Si nous en sommes conscients, nous avons là un merveilleux aiguillon pour notre persévérance et notre courage, à la fois moral et mystique : on ne fait pas n’importe quoi quand on se sait responsable d’autrui, quand on pressent que nos défaillances seraient préjudiciables à ceux ou celles qui s’appuient mystérieusement mais réellement sur notre fidélité dans notre devoir d’état quotidien. Les petits sacrifices qui nous viennent à l’esprit peuvent parfois nous devenir des impératifs, mais pleins de douceur, quand nous songeons subitement à quelqu’un de nos proches qui est dans le besoin. C’est là un moyen authentique de mettre en œuvre l’urgence d’aller vers les périphéries existentielles de l’humanité, comme y invite avec insistance et profondeur notre Saint Père. Pas besoin d’être roi, dans l’Église, pour porter dans son cœur toute la communauté, puisque nous sommes tous membres d’un même corps. L’intérêt de l’Église est immédiatement présent à la prière du plus petit de ses enfants.

Ce beau graduel nous invite à associer toujours, dans notre prière comme dans notre ascèse, le salut du peuple de Dieu et notre fidélité de tous les jours. Il nous dit que notre prière et notre ascèse ont réellement une valeur rédemptrice universelle, du seul fait que nous sommes unis à l’unique Rédempteur.

Un mot sur la seconde partie, assez poignante, de la prière, qui correspond au verset de notre graduel. Bien souvent, dans notre prière, nous avons l’impression de nous heurter au silence de Dieu. Nous n’entendons pas l’écho de notre cri et sa répercussion dans le cœur de notre Père. Et pourtant, nous avons besoin de savoir qu’il nous écoute et qu’il nous aime. C’est un besoin vital. Sans cette certitude, nous sommes assimilés à des mourants qui courent à leur perte. Alors il est légitime de demander à Dieu qu’il ne se taise pas, qu’il ne garde pas le silence avec nous. Mais sachons regarder là où il convient, car la réponse de Dieu au cri de l’humanité, nous est parvenue de façon impensable pour nous : il nous a envoyé son Fils, son bien-aimé, il nous l’a donné, il nous l’a livré, sans l’épargner. La grande réponse est là et elle unit, comme en un point incandescent de convergence, toutes les prières de l’ancienne et de la nouvelle économie. Quand nous doutons de l’écoute du Seigneur par rapport à telle ou telle de nos demandes particulières, sachons regarder vers le Crucifié. Sachons reconnaître, en posant nos regards sur Jésus, que la réponse de Dieu, même si nous ne la percevons pas, même si elle nous semble différée ou inefficace, est déjà partie du cœur de notre Père du ciel, avant même que nous l’ayons formulée, car c’est lui qui, par son Esprit, l’a suscitée en nous.

Salvum fac populum Partition
Commentaire musical

Ce beau et long graduel du 7ème mode est constitué de cinq phrases mélodiques : deux longues phrases forment le corps du graduel, et trois phrases, dont les deux premières très courtes et la dernière plus étendue, forment le verset.

La formule d’intonation entend très clairement souligner le premier mot de la prière. Les deux premiers neumes de la pièce sont munis d’épisèmes horizontaux, ce qui donne d’emblée un caractère un peu solennel à cette pièce. Il s’agit du salut et c’est bien cela qui caractérise la prière chrétienne. Cette prière qui demande le salut éternel et tous les moyens aptes à le réaliser en nous, est sûre d’être exaucée par le Seigneur. Pour autant, il ne convient pas de trop élargir ces deux torculus de salvum, sous peine d’être arrêtés dès le début dans notre élan. Le premier de ces deux torculus de conduit est plus large, et plus appuyé, le second plus léger, en mouvement vers ce qui suit. Par ailleurs, la première note de chaque torculus est celle sur laquelle on doit privilégier l’appui. Le reste, doit aller de plus en plus légèrement vers le sommet, c’est-à-dire vers le troisième torculus qui, lui, n’est pas muni d’épisème. La redescente au grave, sur la finale de salvum, est très belle et très ample, déjà pleine de certitude et de complaisance. Cela se traduit immédiatement par un mouvement beaucoup plus léger sur la montée de pópulum tuum qui unit le Sol et le Ré, tonique et dominante du 7ème mode, un peu à la manière d’une intonation psalmodique, donc très légère. Vient ensuite la très belle vocalise de Dómine. Elle est très légère, très aérienne même, ne descendant pas en dessous du Si naturel. Cette formule type est utilisée notamment dans le merveilleux graduel Audi fília, et le rapprochement confère à notre graduel, ici, une sorte de grâce nuptiale : la prière qui s’élève vers le Seigneur est une prière d’épouse, sûre de plaire à son Époux.

La deuxième phrase, en deux intervalles, nous conduit très vite du Sol au Ré, d’abord, puis au Fa, sommet atteint déjà dans la première phrase. Il faut bien appuyer la première note (le Sol), puis monter avec légèreté, pour redescendre ensuite et retrouver sur la finale de bénedic, la mélodie du graduel Audi fília. C’est la même formule que précédemment, sur Dómine, toute aussi légère, mais transposée à la quarte inférieure. En contraste, on peut admirer la belle remontée syllabique de hereditáti, plus solennelle, qu’il convient de prendre avec un léger ritardando et de façon assez appuyée. La grande fluidité de ce début de graduel reprend très vite tous ses droits, dès la syllabe finale de hereditáti et surtout sur la vocalise type de tuæ qui nous fait retrouver le graduel Audi fília et son charme sponsal.

Le verset nous fait changer d’atmosphère : la prière individuelle se fait d’emblée plus poignante, plus resserrée. On peut admirer la très belle montée mélodique sur les deux premiers mots ad te, avec un bon élan sur ad, grâce à l’intervalle de quarte (Sol-Do), puis une montée ardente par degrés conjoints à partir du Do jusqu’au Fa et même jusqu’au Sol aigu sur le nom du Seigneur, Dómine, qui constitue le sommet de la pièce. Cette montée doit être large, forte et en même temps suppliante et aussi confiante. En elle se conjuguent la crainte, l’espérance, la certitude, l’amour. Comme tout cela est riche. Le verbe clamávi est lui aussi traité de façon admirable. Il commence effectivement comme un cri, par sa montée puissante, elle aussi par degrés conjoints, mais pour s’achever en un émouvant murmure, dans la courbure de l’adoration et de la confiance, celle du petit enfant qui finit par se jeter dans les bras de son père. Comme elle est belle et large, cette descente de clamávi qui nous reconduit au Sol d’où nous étions partis, au début de la prière et du verset ! Ces trois mots forment à eux seuls la première phrase du verset, et elle est splendide et essentielle, dans sa brièveté si expressive.

La deuxième phrase est beaucoup plus sobre, toute entière contenue dans les limites de la quinte Sol-Ré, hormis les trois Fa de meus et de a me, qui servent de point d’appui très ferme, soit à la descente de meus, soit à la montée de me. On reprend du mouvement au début de cette phrase, grâce au passage syllabique qui l’inaugure, et tout reste très léger, jusqu’à l’appui et la remontée de a me où tout s’élargit, juste avant la cadence, donnant un singulier relief à ce pronom personnel. On ne peut pourtant pas parler de retour sur soi. Le chant grégorien ignore une introspection qui arrêterait le regard de l’âme sur elle même. La preuve, c’est que la descente mélodique de me rejoint celle de clamávi et ça, c’est vraiment très beau. Les deux phrases s’achèvent de la même manière. Là aussi, il s’agit d’un murmure final et d’un acte d’adoration, au-delà de la prière de demande qui est très réelle et très expressive, encore que traitée beaucoup plus sobrement dans cette seconde phrase.

La troisième phrase commence comme la première, par le même intervalle de quarte Sol-Ré, mais ne monte que jusqu’au Mi et n’a donc pas le déploiement splendide de ad te Dómine. Il y a pourtant de l’ardeur dans la vocalise de símilis, toute située au-dessus du Ré et fixant même sa cadence sur cette même corde Ré. Mais c’est une ardeur contenue qui laisse bien percer un peu d’angoisse sans pour autant que soit quittée l’atmosphère de confiance qui enveloppe toute cette longue prière. Le mouvement assez vif et un peu tourmenté de la mélodie de descendentíbus exprime assez bien la douloureuse agonie des âmes s’en allant inexorablement vers la mort. Faut-il voir, dans la résurgence finale de la mélodie, sur lacum, un dessein du compositeur de laisser le dernier mot à l’espérance ? Ce n’est pas impossible. Simplement, il a pu se contenter aussi de reprendre pour finir la mélodie type du graduel Audi fília qui lui a servi de discret fil conducteur tout au long de cette belle pièce. Il reste que ce graduel s’achève sur une note contrastée : d’un côté le texte qui signifie la fosse ; de l’autre la mélodie, qui s’élève avec une certaine joie, en tout cas une belle confiance, qualité qui résume bien toute la pièce.

Ecouter ce graduel ici.

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