La pause liturgique : le Sanctus

Publié le 14 Jan 2023
Grégorien : Introït Reminiscere (2ème dimanche de Carême) L'Homme Nouveau
Plus encore que le Glória, le Sanctus est un chant de louange et de gloire rendue à la Très Sainte Trinité.

Plus encore que le Glória, le Sanctus est l’hymne des anges par excellence, puisqu’il reproduit les paroles que les séraphins, les plus sublimes des esprits angéliques, chantent éternellement, en présence du Seigneur, assis sur un trône élevé. L’origine de ce chant se trouve dans la grande vision inaugurale du prophète Isaïe (6, 1-3).

« L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds, et deux pour voler. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. »

Ce texte a été repris dans la liturgie de l’Église, et un passage de l’Évangile selon Saint Matthieu lui a été très vite associé. Il s’agit de l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, le dimanche qui a précédé sa Passion. L’évangéliste nous relate l’accueil triomphal de la foule et le chant qui retentit en accompagnant la marche de Jésus vers le temple :

« Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! »

Le chant du Sanctus, à la fois trinitaire et christologique, a été utilisé très tôt, dès le IIe siècle, dans la prière officielle de l’Église. Il est utilisé aussi bien dans les liturgies orientales qu’occidentales. Il a pris, dans la liturgie romaine, sa place et sa forme définitives dès la fin du IVème siècle. Il est placé juste avant la grande prière consécratoire du canon. Il unit les voix des hommes (ceux de Jérusalem au jour des Rameaux, et ceux de tous les siècles) à celles des anges dans une même et unique louange. Celui qu’Isaïe a vu, célébré par les anges, est le même que Celui que les Juifs ont contemplé et que nous célébrons dans l’Eucharistie. Le ciel et la terre s’unissent en une seule liturgie pour chanter la gloire du Dieu un et trine. Le Sanctus est donc par nature et par excellence un chant collectif.

 

Sanctus 8 Partition sanctus

Revenons sur le texte du Sanctus qui a connu quelques variantes d’une liturgie à l’autre. Considérons-le dans sa facture actuelle dans notre liturgie latine.

Et d’abord le mot Sanctus lui-même, plus que notre idée de sainteté, traduit surtout l’idée de transcendance, l’idée de séparation d’avec le monde profane. Le Dieu chanté par les anges, en Isaïe, est le Très-haut, le Tout-Puissant, le Dieu au-dessus de tous les dieux.

Le triple Sanctus est chanté également dans l’Apocalypse (4, 6-8) par les quatre vivants que la tradition interprète comme symbolisant les quatre évangélistes :

« Devant le Trône, il y a comme une mer, aussi transparente que du cristal. Au milieu, autour du Trône, quatre Vivants, ayant des yeux innombrables en avant et en arrière. Le premier Vivant ressemble à un lion, le deuxième Vivant ressemble à un jeune taureau, le troisième Vivant a comme un visage d’homme, le quatrième Vivant ressemble à un aigle en plein vol. Les quatre Vivants ont chacun six ailes, avec des yeux innombrables tout autour et au-dedans. Jour et nuit, ils ne cessent de dire : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur Dieu, le Souverain de l’univers, Celui qui était, qui est et qui vient. »

Le mot Sabaoth n’a pas été traduit ici, ni en latin, ni en grec, ce qui montre que nos mots indo-européens ne permettent pas d’en exprimer l’idée originale de façon adéquate. On l’a souvent traduit par le mot armées (la Vulgate dit Deus exercituum), mais en fait, Sabaoth signifie plus qu’armées : il signifie toutes les multitudes organisées. Le fait d’introduire l’idée d’armée, jugée à juste titre un peu réductrice, a obligé les traducteurs à ajouter des adjectifs comme ici célestes. Les traductions récentes de la Bible ne reprennent plus le terme armées. Soit elles laissent Sabaoth sans traduction, soit elles parlent de Dieu Maître de tout, Dieu tout puissant ou encore Dieu de l’univers. En tout cas, il s’agit des anges dont la multitude loue le Seigneur, le contemple et l’adore sans fin.

Alors que le texte d’Isaïe mentionne que la terre est pleine de la gloire de Dieu, le texte liturgique ajoute aussi les cieux, cæli, si bien que la phrase au pluriel donne : pleni sunt cæli et terra glória tua.

Un autre mot hébreu a été laissé tel quel dans le texte du Sanctus, il s’agit de l’interjection hosanna, cri de joie des hébreux, utilisé à deux reprises ici, et complété par l’expression in excélsis qui remplace le in altíssimis du texte latin de la Vulgate.

Quant aux mots Benedíctus qui venit in nómine Dómini, chantés eux aussi par la foule des Rameaux, ils proviennent du psaume 117, 26. Cette dernière mention fut ajoutée plus tardivement dans la messe romaine et elle est attestée dès le VIIe siècle.

Voilà comment Honorius d’Autun, moine de Ratisbonne puis de Cantorbéry (XIIe siècle), décrit le chant du Sanctus :

« Les Anges et les Archanges louent la majesté divine, les Dominations l’adorent ; les Puissances et les Principautés tremblent d’admiration ; les Cieux, c’est-à-dire les Trônes et les Vertus jubilent ; les Chérubins et les Séraphins la célèbrent avec douceur. Ce sacrifice d’adoration des Anges a été pris comme modèle par David et Salomon qui dans le sacrifice offert au Seigneur, introduisirent les chants exécutés avec l’accompagnement des instruments de musique et le chant du peuple. Les Anges immolent donc le sacrifice de louange avec l’accord de l’Esprit-Saint. Sanctus est répété trois fois parce qu’on loue la Trinité ; Dóminus Deus n’est dit qu’une fois parce qu’on adore l’Unité. Au sacrifice des Anges est joint celui des esprits des justes qui adorent l’humanité du Christ, et pour la rédemption du genre humain on chante : Benedictus qui venit in nómine Dómini. Cet hymne est chantée en partie par les Anges, en partie par les hommes. La louange des Anges, c’est : Sanctus, Sanctus, Sanctus Dóminus Deus Sabaoth ; pleni sunt cæli et terra gloria tua, hosanna in excélsis. Celle des hommes : Benedictus qui venit in nómine Dómini, hosanna in excélsis. »

Dans le passé, l’exécution du Sanctus connaissait une particularité qui fait écho, sans doute, à cette analyse d’Honorius d’Autun, à savoir que la pièce n’était pas chantée de façon continue, mais au contraire fragmentée. La première partie du Sanctus était chantée juste après la Préface, selon son usage propre. Mais la seconde partie (Benedíctus qui venit in nómine Dómini) était exécutée après la consécration. De plus, après l’élévation, on omettait souvent le second hosanna in excélsis, pour interpréter un motet au Saint Sacrement, souvent le O salutáris Hóstia. Les compositeurs de polyphonie sacrée, à l’époque baroque spécialement, par la diversité de leurs œuvres et du découpage du Sanctus qu’ils opèrent, témoignent de la variété des usages dans l’interprétation complexe du Sanctus. Ainsi, par exemple, Marc-Antoine Charpentier composa 48 petits motets pour l’élévation de l’hostie, qui étaient chantés entre le Sanctus (des Anges) et le Benedíctus (des hommes).

Dans la plupart des compositions des Sanctus grégoriens, les deux hosanna ont d’ailleurs des mélodies différentes, ce qui semble arguer en faveur d’une coupure interne à la pièce.

Le Cardinal Ratzinger, dans son livre Un chant nouveau pour le Seigneur (pages 189 à 191), en grand amateur de polyphonie qu’il était, évoque et défend avec la sagesse et la mesure qui le caractérisent, cette coutume de hacher l’interprétation du Sanctus :

« On a soutenu qu’il ne fallait à aucun prix séparer le Benedictus du Sanctus, et cela avec une telle vigueur et apparemment une telle compétence, que fort peu d’âmes fortes ont osé contester cette affirmation. Mais elle ne s’impose ni historiquement ni théologiquement, ni liturgiquement. Il est naturellement judicieux de les chanter ensemble puisque la composition sous-entend cette unité attestée très anciennement. Ce qu’il faut refuser, ici aussi, c’est l’exclusive… »

Autre remarque historique intéressante : Guillaume Durand, dans un ouvrage du XIIIème siècle, le Rationale divinorum officiorum vaste traité de liturgie (c’est le manuel liturgique médiéval le plus complet) ne mentionne l’usage de l’orgue, instrument encore très primitif à l’époque, que pour le Sanctus, ce qui signifie vraiment l’importance d’une plénitude musicale propre à ce chant. Il ne s’agit pas seulement ici d’un accompagnement du chant, mais d’une véritable expression plénière de la musique et du chant, unis pour adorer le Dieu trois fois saint.

C’est dans cet esprit que la Présentation Générale du Missel Romain (article 79 b) stipule qu’en tant qu’acclamation, le Sanctus, qui est une partie de la prière eucharistique doit être chanté par toute l’assemblée, à savoir tout le peuple avec le prêtre. Et si on ne le chante pas, il est nécessaire que l’assemblée le dise à voix haute (article 148).

Quoiqu’il en soit, le Sanctus correspond sans doute à un des moments les plus solennels de la messe et cela se sent également au plan musical. Les 21 Sanctus grégoriens sont des pièces somptueuses qui expriment au plus haut point la sainteté de Dieu et la louange de l’Église.

Un auteur allemand Peter Josef Thannabaur, a étudié 463 manuscrits entre le XIe siècle et le XVIe siècle, provenant d’Allemagne, d’Italie, de France, des pays de l’Est, d’Espagne ou du Portugal. Il met en évidence l’existence de 231 mélodies différentes du Sanctus. 160 d’entre elles ne figurent que dans un seul répertoire, 60 autres paraissent en deux ou plusieurs pays. 8 seulement sont répandues partout. L’auteur précise que le sommet de la création de ce répertoire du Sanctus se place entre le XIe et le XIIe siècle.

Concrètement, pour leur commentaire, il s’agira d’observer le comportement de la mélodie sur quelques points particuliers :

– Les trois Sanctus (sont-ils en progression, en alternance?)

– Le troisième Sanctus est-il rattaché aux deux premiers ou plutôt aux mots suivants Dóminus Deus Sabaoth ?

– Les mots pleni, cæli, terra, glória (sont-ils expressifs de la plénitude, de la gloire céleste, de l’humilité de la terre?)

– Les deux hosanna (sont-ils semblables ; sont-ils en progression?)

– Les mots benedíctus qui venit in nómine Dómini, enfin (correspondent-ils à un sommet mélodique?)

 

Pour écouter le sanctus VIII :

Un moine de Triors

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