(Daniel 9, 4, (2,) 17, 19)
Thème spirituel
L’offertoire Orávi est un des beaux et grands graduels du répertoire grégorien. Il est tiré de la longue prière du prophète Daniel, exilé à Babylone. Cette prière est magnifique, elle est l’une des plus belles de toute la Bible. Elle parle d’elle-même de nos jours encore, et elle s’applique à merveille à la situation actuelle de l’humanité. Il n’est donc besoin que de la relire en son entier, la faire nôtre, et élever notre voix vers le ciel avec les mots du prophète.
Remarquons simplement que le compositeur a choisi et redistribué quelques mots seulement de cette prière, et en a fait un tout cohérent, une prière sobre, essentielle, revêtue d’une belle robe musicale, et parfaitement applicable à des chrétiens qui célèbrent la messe et se préparent, par le rite de l’offertoire, à consacrer l’hostie agréable entre toutes.
En l’an un de Darius, de la race des Mèdes, fils d’Artaxerxès, qui régna sur le royaume de Chaldée, en l’an un de son règne, moi, Daniel, je scrutai les Écritures, computant le nombre des années tel qu’il fut révélé par Yahvé au prophète Jérémie qui doivent s’accomplir pour les ruines de Jérusalem, à savoir 70 ans. Je tournai ma face vers le Seigneur Dieu pour implorer un délai de prière et de supplications dans le jeûne, le sac et la poussière. Je suppliai Yahvé mon Dieu, faisant confession : Ah! mon Seigneur, Dieu grand et redoutable, qui gardes l’Alliance et la grâce pour ceux qui,t’aiment et observent tes commandements. Nous avons péché, nous avons commis l’iniquité, nous avons fait le mal, nous avons trahi et nous nous sommes détournés de tes commandements et décisions. Nous n’avons pas écouté tes serviteurs, les prophètes qui parlaient en ton nom à nos rois, à nos princes, à nos pères, à tout le peuple du pays. A toi, Seigneur, la justice, à nous la honte au visage, comme en ce jour, à nous, gens de Juda, habitants de Jérusalem, tout Israël, proches et lointains, dans tous les pays où tu nous as chassés à cause des infidélités commises à ton égard. Yahvé, à nous la honte au visage, à nos rois, à nos princes, à nos pères, parce que nous avons péché contre toi. Au Seigneur notre Dieu, les miséricordes et les pardons, car nous l’avons trahi, et nous n’avons pas écouté la voix de Yahvé notre Dieu pour marcher selon les lois qu’il nous avait données par ses serviteurs les prophètes. Tout Israël a transgressé ta loi, a déserté sans écouter ta voix, et se sont répandues sur nous la malédiction et l’imprécation inscrites dans la loi de Moïse, le serviteur de Dieu car nous avons péché contre lui. Et il a mis a exécution les paroles qu’il avait dites contre nous et contre les princes qui nous gouvernaient : il ferait venir à nous calamité si grande qu’il n’en sera pas sous le ciel de plus grande qu’à Jérusalem. Ainsi qu’il est écrit dans la loi de Moïse, toute cette calamité est venue sur nous, mais nous n’avons pas rasséréné la face de Yahvé, notre Dieu, en revenant de nos iniquités, en apprenant à connaître ta vérité. Yahvé a veillé à la calamité, il l’a fait venir sur nous. Car juste est Yahvé notre Dieu, dans toutes les œuvres qu’il a faites, mais nous, nous n’avons pas écouté sa voix. Et maintenant, Seigneur notre Dieu, qui par ta main puissante as fait sortir ton peuple du pays d’Égypte, et ton renom en perdure jusqu’à ce jour, nous avons péché, nous avons commis le mal. Seigneur, par toutes tes justices, détourne ta colère et ta fureur de Jérusalem, ta ville, ta montagne sainte, car à cause de nos péchés et des fautes de nos pères, Jérusalem et ton peuple sont en opprobre à tous ceux qui nous environnent. Et maintenant, écoute, ô notre Dieu, la prière de ton serviteur et ses supplications. Que ta face illumine ton sanctuaire désolé, par toi-même, Seigneur ! Prête l’oreille, mon Dieu, et écoute ! Ouvre les yeux et vois nos désolations et la ville sur laquelle on invoque ton nom ! Ce n’est pas en raison de nos œuvres justes que nous répandons devant toi nos supplications, mais en raison de tes grandes miséricordes. Seigneur, écoute ! Seigneur, pardonne ! Seigneur, veille et agis ! Ne tarde point ! par toi-même, mon Dieu ! car ton nom est invoqué sur ta ville et ton peuple.
Ce bel offertoire au texte vétéro-testamentaire, ressemble un peu à l’offertoire Precátus est, mais il n’en a ni le souffle, ni la puissance. Sa ressemblance lui vient plutôt de sa longueur et aussi du fait qu’il commence également par un récitatif qui sert d’introduction à la prière. Mais même s’il est moins vigoureux que son impressionnant cousin (c’est un 4èmemode très intérieur), il est quand même très beau et très expressif, plus humble, plus suppliant d’abord, puis plus lumineux dans sa profonde simplicité. Il y a une très remarquable progression dans le traitement musical de cette prière qui culmine avec la troisième des quatre phrases mélodiques qui la composent.
L’intonation est douce, humble, grave, longue déjà à elle seule, et ainsi bien expressive sur ce premier mot si suggestif : orávi. Elle traduit l’humilité et même aussi la honte que ressent le prophète et qui est mentionnée plusieurs fois tout au long de sa prière. Mélodiquement, elle ne s’élève pas au-dessus du Sol. Il n’y a même qu’un seul Sol sur les vingt-quatre notes de cette intonation qui compte neuf Fa, huit Ré (sous-tonique du mode de Mi), quatre Mi et deux Do. La petite répétition mélodique Ré-Fa-Ré-Do-Ré-Fa-Ré exprime discrètement quant à elle l’ardeur et la persévérance de cette prière qui ne fait que commencer. On peut admirer ensuite la belle montée mélodique de Deus, à partir du Mi, et s’élevant jusqu’au La, en passant par tous les degrés intermédiaires. Ce soulèvement de la mélodie sur le nom béni est plein de ferveur mais aussi d’espérance. Il indique déjà, d’une certaine manière que l’âme sait qu’elle sera exaucée. Le reste du récitatif est très humble, très doux, très recueilli, mais ne manque pas de ferveur, spécialement sur la formule finale de Dániel, un peu plus élevée, qui permet de prendre un peu en rejet le participe présent dicens qui introduit directement la prière. « Tout est beau dans cette phrase, écrit dom Baron, jusqu’aux moindres détails. Le rythme est admirable de souplesse et de grâce sur tous les mots. » (1)
Avec la deuxième phrase, c’est la prière qui commence. La mélodie atteint d’emblée, sur exáudi, le Si naturel puis le Do, qu’on n’avait pas encore entendus jusqu’à présent. Le bel élan de ce premier mot est donc très suggestif. Pourtant cet élan qui ressemble à un cri, est très vite tempéré car la mélodie, dès le mot suivant, Dómine, revient au grave et s’incurve de façon très belle, très respectueuse. On sent bien que la caractéristique première de cette prière, c’est l’humilité ; on sent que c’est elle qui garantit son efficacité. La deuxième phrase, assez courte, se poursuit et s’achève dans ce climat profond de douceur et d’espérance, oui l’espérance d’attirer le regard de Dieu et de toucher son cœur.
La troisième phrase, on l’a dit, constitue le sommet de cette pièce. La mélodie s’élève à nouveau de façon très belle, sur les mots illúmina fáciem tuam, pleins de ferveur. « Tout s’éclaire…, écrit encore dom Baron, la mélodie, passée sans transition au 3ème mode, s’élève dans un magnifique élan, mesuré, mais plein de vie, enveloppe tuam de vénération, et va s’épanouir sur la tenue de super où elle se tient un instant comme recueillie, à la pensée du temple, de l’église, de l’autel, du sacrifice» (2). On pense ici à la prière de Salomon et à la nuée qui envahit l’édifice qu’il venait de construire pour la gloire de son Dieu, cette nuée qui plane, comme suspendue, flottante, et se repose en descendant pour envahir toute la maison. Qu’elle est belle alors, la mélodie de sanctuárium tuum, qu’elle est complaisante ! On sent tout l’amour du Juif pour le temple qui a mérité par sa beauté, d’être envahi de la sorte, et aussi bien sûr tout l’amour du chrétien pour son église. Le mouvement, toujours fervent, est néanmoins redevenu calme et intérieur. Une grande joie imprègne donc toute cette troisième phrase, si bien qu’on n’a presque plus l’impression d’une prière de supplication. C’est comme une sorte de parenthèse extatique et prophétique en même temps que commémorative. Le passé et l’avenir se conjuguent dans l’instant présent de la supplication.
La quatrième phrase commence, sur et propítius, par un nouveau sursaut qui atteint pour la deuxième fois le Ré aigu. Mais là encore, ce sursaut suppliant est immédiatement tempéré par la courbe très humble et si enveloppée de inténde, avec son Sib très expressif. Désormais, la prière ne s’élèvera plus, jusqu’à la fin de cette longue phrase, au-dessus du La, et se maintiendra dans l’atmosphère humble et paisible qui unifie toute la pièce en profondeur. On peut juste noter en passant la tenue sur istum, la gravité de super quem, et surtout l’admirable et très longue formule mélodique qui enveloppe le dernier mot, ajouté par le compositeur, Deus. Ce dernier membre de phrase est représentatif de l’atmosphère de toute la pièce, humble et baignée de confiance et de certitude. Une telle prière, si vraie, si pure, si désintéressée, ne peut être qu’exaucée, et on sent bien cela en chantant ce bel offertoire.
- Dom Baron, L’expression du chant grégorien, Kergonan, tome 2, page 316.
- Ibid.
Pour écouter cet offertoire :