La tentation conservatrice

Publié le 13 Avr 2018
La tentation conservatrice L'Homme Nouveau

Le dernier numéro de Catholica, revue dirigée par Bernard Dumont, est notamment consacré à la question du conservatisme qui opère « un retour » depuis quelque temps. 

Un retour, réellement ? C’est justement à la pertinence de cette affirmation que s’attache tout d’abord Bernard Dumont en faisant remarquer que s’il existe une attitude ou un tempérament conservateur, le conservatisme comme courant politique n’a jamais réellement existé en France. Il en va, bien sûr, tout autrement pour l’Angleterre et, plus largement, pour le monde anglo-saxon, où le conservatisme est non seulement une attitude, un tempérament, mais aussi un courant de pensée et, le plus souvent, un parti politique. 

« Hume et Burke ont été les principaux concepteurs de ce système », remarque le directeur de Catholica avant de préciser : « L’empiriste Hume penchait vers un machiavélisme du pouvoir que devait limiter le souci de ne rien ébranler dans les coutumes ancestrales. Un peu plus tard, Burke, avant tout désireux d’éviter l’importation de l’esprit de la Révolution française en Angleterre, en reprit et développa les principales positions, en mettant l’accent sur le côté expérimental de la politique, le respect des coutumes, la stabilité des rapports sociaux, opposant tout cela aux abstractions du contrat social, certes, mais aussi aux principes universels qui s’appliquent dans la diversité des situations particulières mais structurent la continuité d’une conduite politique. »

Quoi qu’il en soit, il apparaît à Bernard Dumont que « Parler du conservatisme français, depuis les lendemains de la Révolution, est plutôt une manière de classer une catégorie de libéraux moins virulents que les autres ». S’il semble donc impropre de parler d’un « retour du conservatisme » en France, mais au contraire, plutôt d’une « tentation conservatrice », comment caractériser le conservatisme ? 

On l’assimile la plupart du temps à la Réaction (terme lui-même qui mériterait une définition claire) ; on le soupçonne parfois d’aspirations contre-révolutionnaires. Pour Bernard Dumont, s’appuyant sur les caractéristiques données par les penseurs du conservatisme, « l’allergie qu’il (le conservatisme) manifeste envers les “grandes idées”, les “doctrines abstraites”, le conduit, en théorie ou au moins en pratique, à privilégier les compromis, la recherche des “accommodements raisonnables”, les solutions de transaction ». 

De ce fait, le conservatisme est plutôt un « modérantisme », que l’on retrouve aussi bien au plan politique que religieux. Étrangement, ou modestement, le directeur de Catholica n’indique pas à ce sujet qu’il a codirigé un livre collectif : La culture du refus de l’ennemi, modérantisme et religion au seuil du XXIe siècle, publié en 2007 aux Presses universitaires de Limoges. Les études réunies dans cet ouvrage permettront de mieux saisir la portée de sa remarque et donc des limites du conservatisme. Ajoutons juste que le « modérantisme » y est défini comme une « recherche du compromis, plus encore que du consensus ».

Passant, de son côté, en revue différents écrits sur le sujet, Guilhem Golfin s’intéresse au rapport étonnant, mais constitutif, des conservateurs à la modernité. Celle-ci est acceptée, comme un fait, et à ce titre comme un fait indépassable dont il convient seulement de limiter les effets considérés comme les plus dévastateurs. « Ce qui trompe ici, souligne Guilhem Golfin, c’est qu’on ne voit pas que tout dans la modernité n’est pas moderne, et ne peut pas l’être. La modernité est un pur processus, pur mouvement en avant au nom d’une liberté indéfinie car voulue infinie ; elle est donc contre toute détermination perçue comme une limite intolérable. Mais cela ne peut signifier qu’une chose, à savoir que ce mouvement brise les unes après les autres les structures qu’il rencontre sur son chemin, et sur lesquelles il peut momentanément se reposer pour poursuivre sa marche en avant. » Guilhem Golfin indique également un autre aspect de ce processus moderne, le principe qui gouverne sa pensée politique : « un homme compris comme un individu naturellement asocial, c’est-à-dire un être en soi, qui est à lui-même sa propre fin : comment trouver dans un tel être une raison de le subordonner à autre chose qu’à lui-même ? ». 

Ce numéro 139 de Catholica contient bien évidemment d’autres articles intéressants, mais cette plongée doctrinale dans un phénomène politique à la mode, au moins dans certaines sphères de la droite française, sera utile pour ceux qui souhaitent comprendre le moment présent sans se laisser submerger par lui tout en travaillant à la permanence, et espérons-le à la fécondité, des vrais principes traditionnels.

Philippe Maxence vous présente le numéro 139 de la revue Catholica, en vidéo :

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