L’Alléluia « De profundis » (33ème dimanche ordinaire, 23ème dimanche après la Pentecôte)

Publié le 11 Nov 2017
L'Alléluia "De profundis" (33ème dimanche ordinaire, 23ème dimanche après la Pentecôte) L'Homme Nouveau

« Alléluia ! Des profondeurs j’ai crié vers toi, Seigneur ; Seigneur écoute ma voix » (Psaume 129, 1, 2)

Commentaire spirituel

Le psaume De profundis est célèbre et la piété populaire l’a depuis longtemps associé à la liturgie des défunts. Dans cette perspective, les profondeurs sont celles de la mort et de l’état des âmes en attente d’être introduites dans la vision béatifique. Autrement dit, il s’agit du purgatoire. Ces profondeurs représentent une purification dans l’amour et dans l’espérance. Ce ne sont pas les profondeurs de l’enfer qui, elles, ne sont pas visitées par l’amour mais par la haine et la révolte. Personne ne crie vers le Seigneur, en enfer, sinon pour le maudire. Il n’y a pas de contrition, pas de regret chez les damnés, pas de retour possible. Ils ne veulent pas de Dieu et de son amour. Or le texte du psaume suppose l’amour de Dieu. Le cri qui s’élève des profondeurs vers le Seigneur est une supplication pleine de désir et d’attente. Il convient parfaitement aux âmes du purgatoire.

Mais le psaume et son expression ont un sens plus large. La preuve en est que la liturgie utilise aussi ce psaume à Noël et c’est plein de sens également. Car alors les profondeurs représentent la condition humaine dans son ensemble, par rapport aux demeures divines du ciel. Le Verbe s’est fait chair, il a daigné venir habiter parmi nous, il a revêtu notre humanité, il s’est abaissé, humilié, il a embrassé, épousé, évangélisé nos profondeurs. L’Incarnation dans le sein de Marie représente un formidable mouvement de descente pour le Fils de Dieu. L’inconcevable est arrivé : Dieu, le Très-Haut, l’Absolu, le Transcendant, s’est épris d’une petitesse complètement disproportionnée par rapport à l’immensité de sa gloire. Il a rejoint nos profondeurs, il les a visitées, il les a faites siennes, il est venu crier vers le Père et donner à ce cri toute sa vigueur, toute sa puissance. Sans lui, nous pouvions nous égosiller, crier à perdre haleine. Ce cri de l’homme pécheur est vain sans l’Incarnation rédemptrice. Pourtant, notre cri (mais c’était déjà le cri du Sauveur en nous) a été entendu puisque Dieu y a répondu de la manière la plus étonnante et la plus émouvante. Dans ce cri, il y a la détresse de toute l’humanité, écrasée par le mystère du mal, accablée dans sa peine, incapable de se relever. Vous voyez que ce chant est large et vise finalement toute situation douloureuse. Dans la perspective de l’Incarnation, ce chant, ce cri, assumé par le Verbe, ce cri lancé par Jésus sur la Croix, acquiert toute sa résonance. Il est efficace. Il couvre tout l’univers, il traverse tous les temps, il englobe la création toute entière qui gémit sous le poids du péché.

Les profondeurs chantées dans notre alléluia ne sont pas celles de l’enfer. Ce ne sont pas non plus seulement celles du purgatoire, ce lieu où notre amour ne peut plus que subir l’action divine purificatrice. On ne crie pas au purgatoire, tout est calme, c’est le repos laborieux d’un cloître purificateur, d’un laboratoire d’amour qui rend les âmes aptes au grand dévoilement, à la rencontre définitive. Les profondeurs chantées dans notre alléluia qui mentionne un cri, sont donc plutôt celles du présent, de tous les instants présents, ce sont les profondeurs existentielles de l’humanité, profondeurs physiques, morales, spirituelles, psychologiques, d’une humanité blessée et fautive mais qui a encore la force de se tourner vers Dieu et de crier vers lui. Et cette force est une grâce, un don de Dieu. Notre cri devient prière. L’abîme appelle l’abîme. L’abîme de la misère invoque celui de la miséricorde.

Une dernière remarque. Cet alléluia est le dernier de l’année liturgique. Il précède, dans la forme ordinaire comme dans la forme extraordinaire, l’Évangile du jugement dernier. Tous les siècles sont convoqués à ce jugement. Les profondeurs humaines, individuelles et sociales, seront mises à nu devant le Seigneur. Le moyen d’être en sécurité lors de ce moment formidable, c’est de nous tenir déjà tout près de la profondeur que Dieu a comblée avec tant de complaisance, je veux parler de la Vierge Marie. Marie est cette bienheureuse vallée que le Seigneur a non seulement comblée mais surélevée bien au-delà de toutes les grandeurs humaines imaginables, jusqu’à en faire sa mère, la propre Mère de Dieu. Le sein de Marie est cette profondeur dans laquelle le Verbe s’est caché avec prédilection. Nul n’a été plus humble que cette petite jeune fille de Nazareth qui a trouvé grâce auprès de Dieu. Il s’est penché sur son humble servante : bienheureuse profondeur dont la prière est un cri virginal toujours exaucé. Demeurons enfouis dans ce mystère profond de la Sainte Vierge : elle est notre abri, le lieu sûr où peut monter vers Dieu notre prière et notre cri, notre chant, l’alléluia de notre vie uni à son Magnificat.

Commentaire musical

Mélodiquement, cet alléluia n’est pas séparable du graduel Liberasti nos qui est chanté juste avant lui. En effet, l’intonation de l’alléluia reprend un motif mélodique présent à deux reprises vers la fin du graduel, sur les mots confitebimur et in sæcula. Ces deux pièces sont empruntées au 7ème mode, le mode de l’enthousiasme. Ici, ce mode peut étonner par rapport au texte qui est plutôt suppliant. Alors on est bien obligé de constater, une fois de plus, combien la mélodie a son mot à dire, combien elle interprète le texte et lui donne, dans l’esprit du compositeur, son inspiration définitive. Pourquoi le compositeur a-t-il choisi d’orner ce texte d’une mélodie on ne peut plus joyeuse ? Sans doute parce que les profondeurs qu’il chante ont déjà été visitées par le Sauveur. Un chrétien ne peut jamais être triste. Même quand il souffre, il sait que son Sauveur est proche, que son salut a même été déjà opéré en Jésus. Cet alléluia est joyeux aussi parce qu’il arrive à l’extrême fin de l’année liturgique et que la perspective de la fin des temps réjouit le cœur du croyant qui aspire à rencontrer Dieu. Il y a une foi vive, un amour intense dans ce choix d’une mélodie joyeuse sur un texte douloureux. On peut dire aussi que la fin de l’année liturgique fusionne avec le début de la nouvelle. Les profondeurs de la fin rejoignent alors celles de tous les temps dans un même désir qui est celui de la venue du Sauveur. Les profondeurs de l’Avent sont aimables puisqu’elles débouchent sur la naissance du petit Enfant Jésus.

Pour toutes ces raisons, n’ayons pas de scrupule à chanter le jubilus de notre alléluia avec joie. C’est peut-être le plus long jubilus de toute l’année liturgique. Il est très structuré avec sa triple répétition mélodique. Il commence sur la tonique Sol, puis s’élève rapidement et de façon très légère jusqu’à la dominante Ré, grâce au bel élan de l’accent du mot alléluia dans lequel il faut bien mordre sans s’y attarder cependant. Après la cadence en Ré et la demi-barre, le beau motif plein de douceur et d’énergie, que l’on va retrouver trois fois, se déroule avec vigueur et légèreté. Vigueur et élan jusqu’à la note longue du pressus qui le coupe en son milieu ; détente et légèreté flottante à la fin du motif. Ce motif est repris une première fois à l’identique mais en léger crescendo par rapport au précédent, ce qui implique qu’on n’est pas parti trop fort au début ; puis le motif est répété une troisième fois, du moins en son début car au lieu du pressus qui joue le rôle de pôle attractif dans les deux incises précédentes, la mélodie plonge ici vers le grave et s’élargit du même coup. Les deux dernières incises sont beaucoup plus chaudes, plus amples. Elles forment deux belles courbes ascendantes et descendantes, qui conduisent doucement la mélodie vers la cadence finale Ré.

La première phrase mélodique du verset reprend d’abord exactement le motif de l’intonation de l’alléluia, et on a vu que ce motif était déjà présent dans le graduel Liberasti nos. Il s’agit donc d’un véritable petit refrain qu’on retrouvera d’ailleurs au début de la phrase suivante. Le mot clamavi est particulièrement bien mis en valeur avec sa montée ardente et expressive, demandant un beau et puissant crescendo jusqu’au pressus chaleureux qui amorce la descente calme de la syllabe finale. Le mot se pose en une cadence en Si, assez instable par nature, qui confère à ce passage une note de plainte ou de douleur assez expressive. L’intervalle de quarte, sur ad, la fermeté de l’attaque du pronom personnel te, témoignent de la vigueur de l’âme qui garde grande confiance dans l’épreuve. C’est d’ailleurs avec une grande complaisance qu’elle s’attarde sur ce pronom personnel qui désigne le Seigneur, nommé juste après. Domine, le nom du Seigneur répété deux fois fait la jonction entre les deux phrases mélodiques, puisqu’il termine la première et commence la seconde. Dans la première, il est exprimé de façon très large, très humble, très amoureuse. Dans la seconde, c’est la prière de supplication, presque véhémente, qui s’élève à partir de lui. Notons encore une fois au passage le retour du petit refrain, qui prélude ici au sommet de la pièce, sur exaudi. Il s’agit là d’une montée extrêmement puissante, qui culmine sur l’accent de exaudi. La mélodie met le texte en une singulière valeur expressive. Jusqu’au bout de ce verbe, la tension doit se manifester sans relâchement. C’est le cri de l’âme, presque un cri de détresse et d’angoisse, le cri des profondeurs évoqué plus haut, celui qui rejoint toutes les souffrances de l’humanité. On pense au cri de Jésus sur la croix, vraiment. Puis, après la cadence et le silence qu’elle amène, tout redevient calme sur vocem meam, presque comme si de rien n’était. On retrouve encore une fois, mais esquissé seulement, le petit refrain rencontré tout le long de la pièce, et c’est ensuite le jubilus qui se déploie à nouveau sur la finale de meam.

On ne peut pas dire que cette pièce soit sombre ou triste. Elle reste un 7ème mode assez typique, c’est-à-dire enthousiaste, même si elle se colore d’une certaine nuance plaintive repérable dans le jubilus grâce à l’intervalle Ré-Fa du motif trois fois répété. Cette tierce mineure adoucit incontestablement les contours de la mélodie du 7ème mode. Mais la pièce demeure néanmoins très vigoureuse, très affirmative. Nos profondeurs sont visitées réellement par le Sauveur qui chante avec nous cet alléluia du haut de sa croix. C’est une joie pour le chrétien, et la prière de sa supplication, pour cette raison, garde un aspect joyeux, si typique du 7ème mode.

Pour écouter cet alleluia :`

De profundis Alleluia

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