Le bon Dieu en haut-débit

Publié le 19 Mar 2025
Chartreuse débit dieu carême

La Grande Chartreuse. © Elena Tartaglione, CC BY-SA 4.0

> L’Éditorial du Père Danziec (n° 1828)

 

Parmi les amateurs de chartreuse, ceux qui passent la mesure courent le risque d’expérimenter le début de la devise cartusienne : « Le monde tourne »… La période du Carême nous invite quant à elle à faire nôtre la suite de la sentence : … « La croix demeure ! » En effet, le monde a beau vivre des mutations diverses et variées depuis son origine, le mystère du Calvaire, telle une ancre stabilisatrice, s’offre aux hommes pour les guérir de leurs agitations parfois contradictoires. La croix, arche du Salut et instrument de notre Rédemption, c’est elle, assurément, qu’il s’agit de regarder, de vénérer et d’embrasser durant ces jours qui nous séparent du soleil de la Pâque.

Le monde ne cesse de tourner

« Le monde tourne » : dans le contexte actuel il faut se le redire comme autant d’injections qui prémunissent des dangers de l’insouciance ou du désengagement. L’actualité, avec ses vertiges, et le progrès, avec ses mirages, prennent en tenaille nos âmes au point de les menacer d’étourdissement. Des basculements se dessinent sous nos yeux et nous resterions saisis et stupéfaits tel un lapin dans la lumière des phares d’une voiture ?

Depuis le dérèglement métaphysique provoqué par le péché originel, le monde ne cesse de tourner et ce mouvement continuel, à l’image de celui d’une toupie, peut finir par captiver ou immobiliser. Face au développement exponentiel de l’intelligence artificielle (IA) – et le champ inouï des possibles qu’elle ouvre –, l’Église se trouve face à l’une de ses plus nobles et plus exigeantes responsabilités : assumer son rôle de prophète. Éviter le double piège de l’immobilisme et de la fascination.

Se rappeler avec Cocteau qu’« il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur ». Le défi n’est pas de petite taille et les enjeux spirituels apparaissent immenses.

Et le Carême dans tout cela ? En nous enjoignant à nous mettre résolument à la suite du Christ, à nous configurer à son message de vie, la période liturgique qui prépare à la célébration de la Résurrection possède une épaisseur spirituelle tout à fait significative. Elle nous remémore que « La croix demeure ». Derrière les ténèbres du mont calvaire, la lumière du sépulcre s’annonce. « Ad lucem, per crucem ! »

La croix devient un passage obligé dans la mesure où il s’accompagne de son cortège de grâces. Les mortifications prennent alors une dimension tout autre. L’ascèse et les renoncements joyeux n’en sont que les parties émergées du Carême. L’essentiel est invisible aux yeux. La richesse de la pédagogie de la liturgie, l’exercice hebdomadaire du chemin de croix chaque vendredi, la gratuité d’un temps plus conséquent passé avec Dieu participent à rendre plus perméables nos âmes aux inspirations divines, et à ses bienfaits.

Sur l’observance du Carême, saint Benoît note avec sagesse au chapitre 49 que si les moines devraient avoir, en tout temps, à cœur de vivre avec la même intensité spirituelle qu’en Carême, il recommande à ses frères, qu’au moins durant ces jours saints, ils vivent en bon moine.

Revenir aux sources

Sylvain Tesson, au cours de sa promenade méditative Sur les chemins noirs, adresse à ses lecteurs différentes remarques dont deux d’entre elles me semblent pouvoir éclairer notre propos. Au sujet des libres penseurs qui s’attellent à desceller les croix des chemins et interdire les statues de Notre-Dame aux angles des rues, l’écrivain voyageur prévient : « Il ne faut pas s’échiner à déraciner les choses si l’on n’a rien à replanter à la place. C’est un principe que le moindre agent de l’Office national des forêts saurait expliquer savamment à un agnostique. »

Le Carême vient sarcler nos âmes. Retour aux sources, il plonge le chrétien jusqu’aux racines du salut qui proviennent de l’arbre de la croix. Toujours il nous faut revenir à cet « Ecce lignum » et cette germination du Golgotha que Dieu a entreprise pour nous sauver.

Au milieu de cette France périphérique dans laquelle il se promène, Tesson touche du doigt ce monde qui tourne avec ses villages qui se vident, ses boutiques qui se ferment, la proximité qui se perd à mesure que la fibre serpente les campagnes pour y acheminer Internet. Selon lui, « Le haut-débit serait une solution fort acceptable à condition qu’il se résumât à celui des tonneaux percés d’un coup de hache dans les caves de Bourgogne » écrit-il, provocateur. Le vin, bien sûr, réjouit le cœur de l’homme.

Mais il n’y a qu’un haut-débit qui préserve des maux de crâne et qui garantisse la dilatation de l’esprit autant que l’élargissement du cœur, c’est celui des flux divins. Le Carême en est une terre de gisements. À chacun de s’aventurer dans ce désert et de puiser dans cette vaste solitude de quoi se recentrer sur Dieu. Un exercice de raffinage délicat mais en mesure de tenir toutes ses promesses.

 

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Père Danziec

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