Le chant de l’Alleluia de la Pentecôte (Emitte)

Publié le 04 Juin 2017
Le chant de l'Alleluia de la Pentecôte (Emitte) L'Homme Nouveau

« Envoie ton Esprit et ils seront créés et tu renouvelleras la face de la terre. » (Psaume 103, 30-31)

Commentaire spirituel

Le premier alléluia de la Pentecôte emprunte son texte au long psaume 103 (ou 104 selon la tradition hébraïque) qui est une hymne à la louange du Dieu Créateur. Texte magnifique aux paroles grandioses qui ressemble vraiment à un récit de création mais sous forme de louange, l’acte créateur venant tout juste d’avoir lieu, un peu comme si l’auteur de ce psaume était Adam lui-même qui passait en revue toutes les œuvres du Seigneur pour en souligner la beauté et la grandeur et les acclamer dans la louange. « Yahvé, mon Dieu, tu es si grand ! Tu es revêtu de majesté et de splendeur, enveloppé de lumière comme d’un manteau. Tu étends les cieux comme une toile, sur les eaux tu bâtis tes chambres hautes, des nuées tu fais ton char, tu chemines sur les ailes du vent. » Toute la création défile sous les yeux du psalmiste : le ciel, la terre, les montagnes, les eaux, les plantes, les animaux, les astres. « Que tes ouvres sont nombreuses, Yahvé, s’exclame-t-il, tu les fis toutes avec sagesse, la terre est remplie de tes créatures. » Et la description enthousiaste recommence : la mer et ses habitants, la terre et les montagnes fumantes. C’est au cœur de cette seconde description qui insiste sur la dépendance absolue des créatures par rapport au Créateur, que se situe notre verset d’alléluia. « Tous attendent de toi que tu leur donnes leur nourriture en son temps ; tu la leur donnes, il la recueillent ; tu ouvres ta main, de biens ils se rassasient ; tu caches ta face, ils sont épouvantés ; tu leur retires leur souffle, ils expirent et à leur poussière ils retournent ; tu envoies ton souffle, ils sont créés et tu renouvelles la face de la terre. Qu’à jamais soit la gloire de Yahvé. » Voilà le contexte biblique de notre chant, il est somptueux.

L’Église s’est servi de ce verset du psaume dans la liturgie de la Pentecôte, à cause bien sûr de la double mention du souffle et du renouvellement universel qu’il produit par son émission. C’est un verset profond parce qu’il fait référence à l’haleine de vie, c’est-à-dire l’âme que reçoivent les créatures au moment précis de leur apparition dans l’être. La première création s’est répandue à profusion sur la terre, dans la mer, dans l’espace. Mais l’Église, en utilisant ce texte, comme à son habitude, le spiritualise et lui donne une portée plus grande et définitive. Il ne s’agit plus seulement de la vie physique, mais cette fois de la vie spirituelle. La Pentecôte est un événement spirituel. Bien sûr, le vent a soufflé, les langues de feu se sont posées visiblement sur les disciples réunis au Cénacle. Mais ce n’est là que la mission visible de l’Esprit-Saint, destinée à manifester sa mission invisible dans les âmes. La Pentecôte est surtout une réalité intérieure. Ce qu’il y a de spectaculaire dans le récit des Actes des Apôtres ne doit pas nous tromper. Même l’évangélisation qui commence et qui traduit au grand jour la vie de l’Église, reste subordonnée au contact intime de l’Esprit de Dieu avec les âmes. Cet événement là ne fait aucun bruit, il est invisible, mystérieux. La pénétration silencieuse de l’Esprit n’en est pas moins efficace : les apôtres sont devenus en un instant ce qu’ils seront jusqu’à la fin de leur vie : des saints. Et c’est ce qui continue de se reproduire dans l’Église à chaque Pentecôte, dans la mesure de nos dispositions. C’est finalement ce que chante notre alléluia : la révolution de l’Amour a bien une dimension universelle. Réellement, la face de la terre a été changée par cette nouvelle création. Mais tout s’est fait, pour l’essentiel, et tout continue de se faire dans le secret des âmes. Belle leçon de douceur. L’Église met en œuvre sa grâce contemplative, elle est elle-même animée totalement par l’Esprit qui la conduit vers la vérité tout entière. Elle voit dans l’événement de la Pentecôte, le rayonnement de l’Incarnation rédemptrice, la présence diffuse de l’Esprit de son Époux en son sein et en chacun de ses membres, à commencer par la Vierge Marie qui plus que jamais en ce jour, est pleine de grâce, la toute sainte.

Commentaire musical

Emitte Partition

On a déjà rencontré la belle mélodie de cet alléluia, au cours du cycle liturgique, pendant l’Avent avec l’alléluia Excita du troisième dimanche, et à l’Ascension avec l’alléluia Ascendit Deus. C’est ce qu’on appelle une mélodie type du 4ème mode. Elle est très contemplative et ici elle se prête admirablement à l’humble et ardente prière de demande du psalmiste reprise par l’Église entière. La pièce est composée du jubilus de l’alléluia, relativement court, puis de trois phrases mélodiques assez brèves mais très expressives. C’est une composition très équilibrée qui rayonne la paix, le calme, l’ardeur du désir spirituel.

L’alléluia monte doucement, à partir du Fa initial et de son appui sur le Ré grave, sous-tonique du mode, par tous les degrés, jusqu’au Sib qui confère au chant un accent de grande paix intime. La dernière syllabe de l’alléluia connaît un développement mélodique d’une grande beauté avec cette triple reprise d’un motif ascendant puis descendant qui donne l’impression d’un vol de colombe venant se poser délicatement après avoir effectué trois courbes gracieuses dans le ciel. C’est tellement en rapport avec la fête de la Pentecôte ! Mais cela donne aussi tellement à penser que l’événement de la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, est d’abord une réalité intime, d’une douceur infinie ! On est loin apparemment du grand coup de vent qui a ouvert avec fracas les portes et les fenêtres du Cénacle. Il faut considérer ces deux dimensions de la Pentecôte et ne pas les opposer. La liturgie les unit et le chant grégorien les illustre de façon vraiment remarquable. Et on peut remarquer que l’intimité contemplative est plus particulièrement mentionnée dans les deux alléluias, tandis que le côté spectaculaire et missionnaire apparaît davantage dans les mélodies de l’introït et de la communion. L’alléluia n’est pas forcément un chant d’allégresse expansive, la preuve en est fournie ici. C’est d’abord un chant de louange et ici la louange prend l’accent d’un humble et merveilleuse prière de demande. Cet alléluia devra donc être donné dans un mouvement assez large, avec des voix chaudes mais très douces suivant avec souplesse les moindres contours de la ligne mélodique.

La première phrase du verset contient juste trois mots : emitte Spiritum tuum. C’est précisément la demande essentielle. On commence à l’aigu, sur le La, comme pour marquer d’emblée l’ardeur de la supplication. Mais tout se déroule dans un climat de grande paix, sans aucune inquiétude. La prière est sûre d’être exaucée. Bien prendre le temps de prononcer chacune des syllabes de ce verbe. La dernière syllabe bénéficie d’un élargissement sur sa déposition, puis se déploie de façon très légère et aérienne pour rejoindre le Mi, avant l’attaque de Spiritum. Ce mot est mis en lumière de manière très expressive avec son balancement Fa-La, Sol-La, Sol-La qui, là encore fait penser au vol d’un oiseau. Il faut donc éviter avec soin de marteler ces intervalles et de donner des coups de piston sur les Sol. Au contraire, ce passage doit être donné dans un parfait legato sans aucun heurt, dans un mouvement assez large, justement pour laisser à la voix le temps de goûter ces quelques notes. La phrase se termine sur le mot tuum en mode de Ré, c’est-à-dire dans la paix et la certitude.

Au début de la deuxième phrase, sur et creabuntur, on reprend du mouvement. La formule mélodique qui orne ce mot qui exprime la nouvelle création, est vraiment de toute beauté. On retrouve un balancement analogue à celui de l’alléluia, avec les deux Sib si expressifs. La mélodie doucement déployée à l’intérieure de la quinte Ré-La, semble ne pas finir. C’est la contemplation amoureuse de l’âme qui voit l’invisible : l’Esprit de Dieu, comme lors de la création, plane au-dessus de l’Église et envahit peu à peu les cœurs, les familles, les peuples, les continents, tout l’univers. Tout au long de ce mot, la Création est revisitée de l’intérieur, la prière de demande est déjà comme exaucée, elle est devenue réalité. Et n’est-ce pas ce qui se produit réellement à chaque Pentecôte ? Un parfait legato là aussi s’impose dans l’interprétation. Le mouvement de toute cette phrase est plutôt léger, mais très tranquille. C’est une symphonie du nouveau monde.

Enfin la dernière phrase commence de façon très sobre sur et renovabis, d’abord à l’unisson comme pour montrer que cette œuvre divine de recréation est toute intime, toute spirituelle, puis dans des intervalles qui restent très sobres, avant de retrouver le motif de l’alléluia et son vol si aimable. En peu de mots, en peu de matériau mélodique, le compositeur a réalisé un chef-d’œuvre. Seul un grand contemplatif pouvait aller ainsi à l’intime de l’événement de la Pentecôte et nous faire assister de l’intérieur, en Dieu, au déploiement tranquille de la grâce dans la vie de l’Église. C’est tout simplement admirable.

Pour écouter cet alleluia :

Emitte

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