Le Pape, se rendant à la Villa Nazareth, collège universitaire romain, le 18 juin dernier, est revenu sur l’Évangile du Bon Samaritain qu’il avait déjà commenté lors de son cursus d’audiences sur la miséricorde, soulignant de nouveau les dangers de l’affairisme et de l’avarice du temps, qui malheureusement n’épargnent pas les prêtres. Ces dangers peuvent même devenir de graves contre témoignages, car ils ne sont pas des gestes du Christ et ne conduisent pas à Lui. À l’issue de son discours, le Pape a répondu à plusieurs questions. L’enseignement en est très riche et il vaut la peine de s’y arrêter.
La première question portait précisément sur le témoignage difficile à donner en cette période de crise. Le tout premier témoignage que nous devons donner, répond le Pape, est celui du Christ lui-même qui s’est fait Bon Samaritain pour une humanité si blessée. Comme les Apôtres, chaque chrétien doit être un témoin du Christ « mort pour nos péchés et ressuscité pour notre résurrection ». Suivre le Christ pour être son témoin suppose de combattre à sa racine l’égoïsme source de tant d’illusions et, en conséquence, de tant de désillusions. Se lancer pour courir vers le Christ est certes un grand risque, car il demande de tout larguer, de plonger dans le vide, avec la possibilité de chutes, inévitables d’ailleurs pour la nature humaine. Mais Jésus est miséricordieux et il nous pardonnera toujours, si du moins nous le lui demandons et ne suivons pas une attitude pharisaïque en refusant de pardonner à nos frères.
Courage et gratuité
Suivre le Christ demande donc du courage et c’est le sens de la deuxième question. On n’a jamais rien sans rien. Suivre le Christ et être son témoin nécessite de parcourir avec lui la via dolorosa qui pourra nous conduire jusqu’au martyre du sang, si Dieu le veut. En tous cas, il nous conduira toujours au martyre du silence. Et le Pape revient encore sur l’un de ses thèmes favoris, en dénonçant fortement les cancans et les ragots qui font tant de tort à la popularité du prochain et qui sont comme un homicide. Il s’agit là d’une consigne qui nous regarde tous. Veillons à notre langue et témoignons du Christ par le martyre de la langue. Pour cela, il nous faut certes le courage qui est un don de l’Esprit, mais aussi beaucoup d’humilité. Nous sommes tous des pécheurs : il faut savoir le reconnaître ; et qui sait si le pécheur que je dénigre aujourd’hui et à qui je cherche à enlever la paille qui est dans son œil, sans accepter de voir la poutre qui est dans le mien, ne sera pas canonisé, comme le Bon larron, par le Christ lui-même, pour le remercier d’être devenu le bon samaritain de son frère ? La vérité ne se trouve jamais dans l’apparence, mais bien dans la réalité. Soyons donc toujours vrais, sans aucune hypocrisie. Cherchons toujours à être, non à paraître.
Une autre question concernant la vocation professionnelle et affective pousse le Pape à parler de la gratuité qui est le langage de Dieu. De Lui nous avons tout reçu gratuitement. À notre tour, donnons toujours gratuitement. Cette gratuité est souvent incompréhensible pour notre monde qui entend opposer la justice à la charité et à la miséricorde, comme si les deux n’allaient pas ensemble. Cette gratuité changera du tout au tout nos relations sociales et elle permettra de faire du travail un lieu de vocation et d’entente, dans la droite ligne de ce que Dieu avait voulu pour Adam, comme le narre la Genèse. La gratuité s’impose en particulier pour les parents à l’égard des enfants, en prenant le temps qu’il faut. Avec Marie témoignons de la vraie pauvreté en esprit, à l’encontre de l’esprit du monde où domine l’argent, nouvelle idole.
Le discours du Pape
Il y a beaucoup de personnages dans ce passage de l’Évangile : celui qui pose la question « qui est mon prochain ? », Jésus, puis les bandits, le pauvre à moitié mort sur le bord de la route, le prêtre, puis le docteur de la loi, peut-être un avocat (le « lévite »), et le restaurateur, l’aubergiste.
Dans la parabole, ni le prêtre, ni le docteur de la loi, ni le samaritain, ni l’aubergiste, ne savaient probablement répondre à la question « qui est mon prochain ? »; ils ne savaient peut-être même pas comment il était, ce qu’était un « prochain ». Le prêtre était pressé, comme tous les prêtres. Il a regardé sa montre et s’est dit : « Je dois dire la messe », ou bien, tant de fois: « J’ai laissé l’église ouverte, je dois la fermer, car l’heure c’est l’heure et je ne peux pas rester ici ». Le docteur de la loi, un homme pratique, a dit: « Si je me mêle de ça, demain je devrai aller au tribunal témoigner, dire ce que j’ai fait, je perds deux, trois jours de travail… Non, non, il vaut mieux… ». Vive Ponce Pilate ! Et hop Il est parti ! L’autre, par contre, (le samaritain) le pécheur, l’étranger qui ne faisait pas vraiment partie du peuple de Dieu, s’est ému: « eut de la compassion », et s’arrêta. Tous les trois – le prêtre, l’avocat et le samaritain – savaient bien ce qu’ils avaient à faire. Et chacun a pris sa propre décision. J’aime bien repenser à l’aubergiste: lui c’est monsieur tout-le-monde. Il a tout regardé, tout vu, sans rien comprendre. « Mais cet homme est fou! Un samaritain qui aide un juif! Il est fou! Et puis, avec ses mains il guérit ses plaies et l’amène ici à l’auberge et me dit: “Prends soin de lui, je te paierai tout ce que tu auras dépensé en plus…”. Je n’ai jamais rien vu de semblable, c’est un fou! ». Et cet homme a reçu la parole de Dieu: dans le témoignage. De qui? Du prêtre ? Non, car il ne l’a pas vu; de l’avocat ? Non plus. Du pécheur, un pécheur qui a eu de la compassion ! « Ah, vous entendez ça? Un pécheur, oui, qui n’était pas fidèle au peuple de Dieu, mais il a fait preuve de pitié ». Et il ne comprenait rien. Il est resté avec son doute, curieux peut-être de savoir: « Mais que s’est-il passé ici, bizarre… ». Avec de l’inquiétude au fond de lui. Voilà ce que fait le témoignage. Le témoignage de ce pécheur a semé l’inquiétude dans le cœur de cet aubergiste; et qu’est-il devenu, l’Évangile ne le dit pas, ni même son nom. Mais chez cet homme, sûrement… – sûrement car quand l’Esprit Saint sème, il fait grandir – la curiosité, l’inquiétude, s’est sûrement mise à monter. Il l’a laissé grandir dans son cœur et a reçu le message du témoignage. Puis le lendemain, le samaritain est repassé; il a sûrement payé quelque chose. Ou alors l’aubergiste lui a dit: « Non, laisse, laisse: je le prends sur mon compte ». Ceci fut peut-être sa première réaction après le témoignage.
Le bon témoignage
Et pourquoi est-ce que je m’arrête aujourd’hui sur ce personnage, sur cette personne? Car notre témoignage n’est pas quelque chose que l’on calcule – je ne sais pas comment dire ça . Le témoignage c’est vivre de manière à ce que les autres « voient ce que vous faites de bien et rendent gloire à Dieu qui est aux cieux » (cf. Mt 5,16), c’est-à-dire de manière à ce qu’ils rencontrent le Père, aillent vers Lui… Ce sont les paroles de Jésus.
J’ai entendu beaucoup de choses sur Villa Nazareth: « Il y a telle ou telle chose… », mais je ne connaissais pas bien. Puis Mgr Celli m’a dit des choses… C’est un travail où l’on favorise le témoignage. On vient ici, non pas pour « gravir les échelons », ni pour gagner de l’argent, non, mais pour suivre les traces de Jésus, témoigner de lui, semer le témoignage. Discrètement, sans explications, dans les faits… Reprendre le langage des gestes. Et cet aubergiste est sûrement au ciel, c’est certain! Car le grain a sûrement poussé et donné du fruit. Il a vu quelque chose qu’il n’aurait jamais imaginé voir un jour. Le témoignage c’est ça ! Il passe et s’en va. Vous le laissez où il est et vous partez. Seul le Seigneur veille sur lui, le fait grandir, comme il fait pousser le grain : alors que le maître dort, la plante grandit.
Je souhaite vraiment que cette œuvre reste une œuvre porteuse de témoignage, un centre de témoignage; de témoignage pour tout le monde. De témoignage pour les personnes qui la côtoient ou qui en entendent parler… un témoignage. C’est ce que je souhaite. Et que le Seigneur nous délivre des bandits – il y en a tellement! –, qu’il nous libère des prêtres trop pressés, qui n’ont jamais le temps d’écouter, de voir, doivent faire leurs choses ; qu’Il nous libère des docteurs qui veulent présenter la foi en Jésus Christ comme une règle mathématique; et qu’Il nous enseigne à nous arrêter, qu’il nous enseigne cette sagesse de l’Évangile : « se salir les mains ». Que le Seigneur nous donne cette grâce. Merci.