Injonctions à l’épanouissement, développement du télétravail, « job idéal », importante grandissante du tertiaire… Les formes contemporaines du travail tendent à s’éloigner de plus en plus de l’idéal qu’en propose l’Église. Pour quelles raisons ? Comment penser le travail de nos jours ? Témoignage d’un officier pour qui le travail au sein de l’armée est un laboratoire du sens du travail en général.
« Le bon profil c’est la compétence », dit un slogan publicitaire sur un réseau social professionnel bien connu, rompant ainsi avec le discours convenu sur « l’épanouissement au travail », du talent ou du « déploiement d’un génie créatif » qui semble parfois l’objectif ultime de toute vie professionnelle. C’est la question de l’épanouissement dans le travail ; il est un dogme désormais établi que chacun exercera plusieurs métiers au gré des âges de la vie pour être considéré comme une personne accomplie, qu’il est désormais préférable de travailler de chez soi que dans un bureau et il s’agirait par ailleurs « d’inventer son propre métier de demain » (sic). La vie militaire a ceci d’intéressant au plan strictement professionnel, qu’on peut y découvrir et y vivre mille métiers, de tireur d’élite à secrétaire, de mécanicien à chef de quart d’un porte-avions. Et cette vie est exaltante. Au moins en apparence. La vie de soldat peut faire rêver, elle peut impressionner, être un repoussoir, mais elle laisse rarement indifférent. C’est aussi un laboratoire, si l’on veut, sur le sens du travail. L’on s’engage par idéal, par goût de l’aventure, par nécessité ou par vocation, et l’on découvre le règlement, l’attente, les petits tracas des chefaillons, la solitude du chef, les affres du climat. La réalité vécue par nombre de soldats est fort différente des images fantastiques diffusées par les romans ou la cinématographie guerrière. Il s’agit bien souvent d’un quotidien simple et parfois pénible que décrivait déjà Alfred de Vigny dans Servitudes et Grandeur militaires. Difficile pour la sentinelle transie de froid de mesurer son degré d’épanouissement au travail alors qu’elle scrute seule un horizon noir et glacial qui ne recèle absolument rien. Pas simple d’imaginer une opération extérieure en télétravail. Et pourtant, les soldats d’aujourd’hui reçoivent la même injonction que l’ensemble de la société à donner du sens, à la responsabilité sociale ou sociétale de leur entreprise, à l’épanouissement personnel. Ce paradoxe a-t-il une issue ? Ou les armées sont-elles condamnées à vivre en marginales d’une modernité dans laquelle un petit nombre de prescripteurs indiquent « la vie…