Dans ses audiences générales du mercredi, le Pape entame une nouvelle série de catéchèses qui aborde une réflexion très importante sur les commandements de Dieu. Trop souvent, ceux-ci ne sont compris que comme des interdits alors qu’ils sont au contraire des preuves éminentes d’amour. Le psaume 18 ne nous les décrit-il pas comme « plus doux que le miel » ? Benoît XVI avait à plusieurs reprises rappelé cette vérité et le pape François y revient à sa manière toute personnelle. Les commandements sont en effet à comprendre dans le grand contexte de l’Alliance que Dieu est venue conclure avec son peuple Israël, puis avec l’humanité entière. Dans l’Alliance nouvelle et éternelle, L’Église, nouvel Israël, est l’héritière et la dépositaire des anciennes promesses car « les dons de Dieu sont sans repentance », dit saint Paul. Il est très important de percevoir cette continuité : le Christ n’est pas venu abolir mais accomplir ; et la Loi ancienne n’est désormais caduque que parce qu’elle disparaît devant la plénitude de la Révélation apportée par le Christ qu’elle était appelée à préparer. En fait, la Loi ancienne demeure, car on ne peut abolir l’Écriture. On ne peut y retrancher un iota. L’Évangile apporté par le Christ n’abolit donc pas la loi de Moïse ; il n’abolit pas non plus les dix commandements mais les accomplit à travers surtout le grand commandement de l’amour qui résume « toute la loi et les prophètes ». Le Pape reprend tous ces grands thèmes à la lumière du texte sacré lui-même.
Il commence par remarquer que le texte sacré ne parle jamais de dix commandements, mais de dix paroles, d’où le mot lui-même de « décalogue ». Et cette remarque est très importante, car il existe une grande différence entre le simple commandement qui ne requiert pas de soi le dialogue et la parole qui crée une relation véritable entre deux interlocuteurs. Or c’est la Parole divine qui est à l’origine de la création : « il dit et ce fut fait ». Tel est le sens du mot hébreu « dabar » : la parole qui réalise ce qu’elle dit. Mais la création belle et bonne fut gâchée par le péché de nos premiers parents qu’ils nous ont transmis. Et Dieu, par pur amour et au moyen d’une série d’alliances, a restauré l’humanité déchue en envoyant son propre Fils, la Parole (le Verbe, selon le latin) faite chair. La parole, quand elle est bonne et juste, nourrit l’amour, à l’inverse des ragots et médisances que stigmatise souvent le Pape. Les parents premiers éducateurs de leurs enfants ne le savent que trop. De même toute relation humaine, toute collaboration entre individus exige la parole qui provient de l’amour. Et la parole ne peut être preuve d’amour que si elle provient du cœur. À l’inverse, aucune communication véritable n’est possible entre deux personnes qui ne s’aiment pas. Tout cela pour expliquer que les dix paroles appelées à tort commandements sont l’expression de l’amour de Dieu pour nous. Et, comme il ne peut y avoir alliance sans réciprocité d’amour, les dix paroles de Dieu exigent de la part de l’homme une réponse d’amour qui sera précisément la pratique des commandements. De cette vérité certaine que le diable cherche à déformer pour nous faire succomber à la « métatentation des origines » (Jean-Paul II), le Pape nous invite à tirer les conséquences pour aujourd’hui, car il s’agit finalement d’être de vrais fils de Dieu et non des esclaves soumis à la peur. Mais si le Pape a raison de condamner le faux légalisme, demandons à Marie de ne pas tomber pour autant dans le laxisme moral.
PAPE FRANÇOIS
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 20 juin 2018
Chers frères et sœurs, bonjour !
Cette audience se déroule en deux lieux: avec nous qui sommes ici, sur la place, et dans la salle Paul VI, où il y a plus de deux cents malades qui suivent l’audience sur un écran géant. Tous ensemble nous formons une communauté. Saluons par un applaudissement ceux qui sont dans la salle.
Mercredi dernier, nous avons commencé un nouveau cycle de catéchèses, sur les commandements. Nous avons vu que le Seigneur Jésus n’est pas venu abolir la Loi, mais lui donner son accomplissement. Mais nous devrons mieux comprendre cette perspective.
Dans la Bible, les commandements ne vivent pas pour eux-mêmes, mais font partie d’un rapport, d’une relation. Le Seigneur Jésus n’est pas venu accomplir la Loi, mais lui donner son accomplissement. Et il y a cette relation, de l’Alliance [1] entre Dieu et son peuple. Au début du chapitre 20 du livre de l’exode, nous lisons — et cela est important — : «Dieu prononça toutes ces paroles» (v. 1).
Cela semble une ouverture comme une autre, mais rien n’est banal dans la Bible. Le texte ne dit pas: «Dieu prononça ces commandements», mais «ces paroles». La tradition juive appellera toujours le Décalogue «les dix Paroles». Et le terme «décalogue» veut précisément dire cela. [2] Pourtant, ils sont sous forme de lois, ce sont objectivement des commandements. Pourquoi l’auteur sacré utilise-t-il donc, précisément ici, le terme «dix paroles», et ne dit pas «dix commandements»?
Quelle différence y a-t-il entre un commandement et une parole? Le commandement est une communication qui ne requiert pas le dialogue. La parole, en revanche, est le moyen essentiel de la relation comme dialogue. Dieu le Père crée au moyen de sa parole, et son Fils est sa Parole faite chair. L’amour se nourrit de paroles, de même que l’éducation ou la collaboration. Deux personnes qui ne s’aiment pas, ne réussissent pas à communiquer. Quand quelqu’un parle à notre cœur, notre solitude finit. Il reçoit une parole, on donne la communication et les commandements sont des paroles de Dieu: Dieu se communique dans ces dix Paroles, et il attend notre réponse.
Recevoir un ordre est une chose, percevoir que quelqu’un cherche à parler avec nous est une autre chose. Un dialogue est beaucoup plus que la communication d’une vérité. Je peux vous dire: «C’est aujourd’hui le dernier jour du printemps, un printemps chaud, mais c’est aujourd’hui le dernier jour». C’est une vérité, mais ce n’est pas un dialogue. Mais si je vous dis: «Qu’est-ce que vous pensez de ce printemps?», un dialogue commence. Les commandements sont un dialogue. La communication se réalise pour le plaisir de parler et pour le bien concret qui se transmet entre ceux qui s’aiment au moyen des paroles. C’est un bien qui ne consiste pas en des choses, mais dans les personnes elles-mêmes qui réciproquement se donnent dans le dialogue (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 142).
Mais cette différence n’est pas quelque chose d’artificiel. Regardons ce qui est arrivé au début. Le Tentateur, le diable, veut tromper l’homme et la femme sur ce point: il veut les convaincre que Dieu leur a interdit de manger le fruit de l’arbre du bien et du mal pour les garder soumis. Le défi est précisément celui-ci: la première règle que Dieu a donnée à l’homme est-elle l’imposition d’un despote qui interdit et qui oblige, ou est-elle l’attention d’un père qui prend soin de ses enfants et les protège de l’autodestruction? Est-ce une parole ou un commandement? Le plus tragique, parmi les divers mensonges que le serpent dit à Eve, est la suggestion d’une divinité envieuse — «Mais non, Dieu vous envie» — d’une divinité possessive — «Dieu ne veut pas que vous ayez la liberté». Les faits démontrent dramatiquement que le serpent à menti (cf. Gn 2, 16-17; 3, 4-5), il a fait croire qu’une parole d’amour était un commandement.
L’homme se trouve à ce carrefour: Dieu m’impose les choses ou prend-il soin de moi? Ses commandements sont-ils seulement une loi, où contiennent-ils une parole, pour prendre soin de moi? Dieu est maître ou Père? Dieu est Père: n’oubliez jamais cela. Même dans les situations les plus terribles, pensez que nous avons un Père qui nous aime tous. Sommes-nous des sujets ou des fils? Ce combat, en nous et à l’extérieur de nous, se présente sans cesse: mille fois nous devons choisir entre une mentalité d’esclaves et une mentalité de fils. Le commandement vient du maître, la parole vient du Père.
L’Esprit Saint est un Esprit de fils, c’est l’Esprit de Jésus. Un esprit d’esclaves ne peut qu’accueillir la Loi de manière oppressive, et il peut produire deux résultats opposés: ou bien une vie faite de devoirs et d’obligations, ou bien une violente réaction de refus. Tout le christianisme est le passage de la lettre de la Loi à l’Esprit qui donne la vie (cf. 2 Cor 3, 6-17). Jésus est la Parole du Père, il n’est pas la condamnation du Père. Jésus est venu sauver, avec sa Parole, pas nous condamner.
On voit quand un homme ou une femme ont vécu ce passage ou non. Les gens se rendent compte si un chrétien raisonne en fils ou en esclave. Et nous-mêmes, nous nous rappelons si nos éducateurs ont pris soin de nous comme des pères et des mères, ou bien s’ils nous ont seulement imposé des règles. Les commandements sont le chemin vers la liberté, parce qu’ils sont la parole du Père qui nous rend libres sur ce chemin.
Le monde n’a pas besoin de légalisme, mais de soin. Il a besoin de chrétiens avec un cœur de fils. [3] Il a besoin de chrétiens avec un cœur de fils: n’oubliez pas cela.
Je salue cordialement les personnes de langue française, en particulier les pèlerins venus de Haïti, les jeunes venus du Chablais, en Suisse, et de Nouméa, en Nouvelle Calédonie, ainsi que les pèlerins de Saint Brieuc accompagnés par l’Evêque, Mgr Denis Moutel. Frères et sœurs, rappelons-nous que le monde a besoin du témoignage de chrétiens à l’esprit filial et non pas d’esclaves de la loi. Donnons ce témoignage par notre comportement dans toute notre vie.
Que Dieu vous bénisse !