Le 2 novembre dernier se fondant sur l’interprétation partiale par un procureur d’un propos de Christine Boutin, la cour d’appel de Paris a taxé celle-ci d’une amende exorbitante tandis qu’elle infligeait une amende dérisoire à l’ancienne présidente d’Act Up, Laure Porta, pour l’injure d’homophobie à l’encontre de « La Manif pour tous ».
Deux décisions de la cour d’appel de Paris ont été rendues le 2 novembre en matière d’homophobie. Les enjeux judiciaires sont également profondément politiques.
Dans la première décision, la Cour a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 18 décembre 2015 en condamnant Christine Boutin à 5 000 euros d’amende pour « provocation publique à la haine ou à la violence » à la suite de propos tenus sur l’homosexualité. À cela s’ajoutent 2 000 euros de dommages et intérêts au profit de deux associations militantes qui s’étaient constituées parties civiles. La cour d’appel a accordé le même montant à l’association Inter-LGBT. Au total, la somme est rondelette…
Dans la seconde décision qui concerne « La Manif pour tous », la Cour a infirmé le jugement rendu en première instance. Présidente d’Act Up au moment des faits incriminés, Laure Pora a été condamnée par la cour d’appel à 800 euros d’amende pour injure à l’encontre de « La Manif pour tous ». Des militants d’Act Up avaient collé en août 2013 sur les murs de la Fondation Lejeune des affiches portant le logo de LMPT barré de l’inscription « Homophobes ». En plus de l’amende, Act Up doit verser la même somme à titre de dommages et intérêts à LMPT et 1 500 euros pour les frais de justice. Trois fois moins que ce que devra débourser Christine Boutin…
La date commune des deux décisions n’a bien sûr rien d’accidentel et leur contenu respectif devrait en principe éclairer la délicate question de la définition des actes qualifiés d’homophobes. Le flou terminologique savamment entretenu sur ce qu’est l’homophobie (« rejet de l’homosexualité, hostilité systématique à l’égard des homosexuels » selon le Larousse) maintient la plus grande confusion entre le respect des personnes et le jugement des actes. Est-il encore possible aujourd’hui d’émettre publiquement une appréciation négative sur les actes homosexuels ? Dans l’article du magazine Charles datant d’avril 2014 et intitulé « Je suis une pécheresse », Christine Boutin avait pourtant distingué les choses : « L’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné. » Sans discuter l’opportunité des propos tenus qui ne relève pas de l’objet de cet article, contentons-nous de constater que la distinction clairement énoncée entre les actes et les personnes n’a pas été retenue par les juges qui ont suivi, d’après ce que rapporte la presse, l’interprétation du procureur : « Ce que l’on entend dans vos propos, c’est que les homosexuels sont une abomination. » Gare aux citations de certains passages de l’Ancien Testament !
Le délit d’homophobie fortifié
Faut-il maintenant se réjouir de l’autre décision en faveur de LMPT ? Nous pouvons incontestablement placer à l’actif de cette action en justice (et de la décision rendue en appel) qu’elle circonscrit et endigue l’accusation d’homophobie. Prononcée à la légère, elle peut faire elle-même l’objet d’une condamnation judiciaire. Dorénavant, l’épée de Damoclès de la sanction pénale menace également les militants LGBT. Mais d’un autre côté, on ne peut s’empêcher d’y voir la reconnaissance pleine et entière du concept d’homophobie. Demander réparation pour cette injure octroie une valeur réelle à l’offense supposée. Ainsi, se féliciter de ne pas être reconnu homophobe légitime le néologisme. Les juges n’ont-ils pas fortifié le délit d’homophobie à travers cette décision ? En effet, l’accusation est tellement grave que son usage abusif mérite une sanction pénale. On le voit, l’appréciation stratégique des actions judiciaires à mener en la matière est loin d’être simple.
En dehors des prétoires, la question de l’emploi de ce néologisme demeure d’actualité. Ce vocabulaire idéologique est un vecteur de déconstruction anthropologique et politique, solidement arrimé à la logique postmoderne de la revendication de « droits » au profit de minorités autoproclamées « victimes ». Plus grave encore, le délit d’homophobie résulte de l’affirmation de l’homosexualité au rang d’élément principal d’identification personnelle, justifiant l’existence d’une « communauté » homosexuelle. L’admettre entraîne d’ailleurs de facto l’acceptation de son opposé, l’identité hétérosexuelle, ouvrant droit à la création d’une communauté hétérosexuelle défendant également ses propres droits. Dans une telle hypothèse, pourquoi ne pas parler aussi d’hétérophobie (Anecdote intéressante : mon correcteur d’orthographe souligne une faute pour hétérophobie, mais pas pour homophobie…) ? Les propos haineux ne manquent pas dans certains discours féministes. Il s’agirait pourtant d’une capitulation intellectuelle puisque la sexualité conforme à sa finalité (la procréation) serait alors réduite à un mode de vie particulier, égal à l’homosexualité, chaque communauté défendant son mode de vie. Ajoutons à cela que l’intrusion de l’homophobie dans le droit résulte de la politisation du sexe, dans la mesure où les rapports sexuels sont entendus comme des enjeux de pouvoir, c’est-à-dire de lutte. Il s’agit donc d’un vocabulaire de combat.
La guerre de tous contre tous est aujourd’hui à l’œuvre. La discrimination et ses multiples tentacules que sont le sexisme, la xénophobie, l’homophobie, tout comme l’exaltation d’une égalité dévoyée, sont les armes de destruction massive de la concorde et de l’amitié politique. La judiciarisation de la société et la multiplication des néologismes pénaux, déjà terrifiantes, ne feront que s’accroître dans une société de plus en plus éclatée, orpheline de toutes références communes, qu’elles soient morales, anthropologiques ou tout simplement nationales. La question de l’homophobie ne peut être déconnectée de la révolution anthropologique en cours et du processus global de dissolution des identités, reposant sur des mécanismes, pour certains hérités du marxisme, indéfiniment transposables : victimisation résultant de l’affirmation d’une lutte binaire (hétérosexuels contre homosexuels, hommes contre femmes…) ; puis revendication de droits au nom de l’égalité ; enfin, élaboration de nouvelles infractions pénales et condamnations des récalcitrants…
Une saine écologie humaine demande de récuser fermement l’emploi de ce vocabulaire idéologique, dans tous les domaines où il ne s’impose pas encore.