Libérer la vérité

Publié le 02 Avr 2025
libérer la vérité

Pour le philosophe Josef Pieper, « l’homme n’est prudent et bon qu’en même temps ; la prudence est partie prenante de la définition du bien ».

> L’Éditorial de Maitena Urbistondoy

 

« Retour en grâce du carême chez les jeunes : effet de mode sur les réseaux sociaux ou quête de sens ? », « Le réseau TikTok, à l’origine du raz-de-marée des jeunes à la messe des Cendres ». Le catholicisme semble avoir trouvé un nouveau souffle… sur les réseaux sociaux ! Témoignages poignants, vie de famille chrétienne mise en scène : tout cela séduit. La foi y est souvent sincère. 

Beaucoup de catholiques s’emparent de ces outils pour évangéliser « là où sont les gens ». L’intention est bonne. Mais pour y parler de Dieu, il faut bien souvent se mettre soi-même en scène : des parents exposent leur intimité, et leurs enfants grandissent sous le regard des abonnés, la vie privée devient un contenu monétisable.

Mais cette effervescence numérique est aussi le symptôme d’un effondrement culturel profond. Une nouvelle génération, hyperconnectée, visuellement saturée, voit sa capacité d’attention s’amenuiser de jour en jour. Lire devient un effort rare, le silence un luxe. Les formats longs fatiguent : trois minutes semblent déjà une éternité.

Ce succès apparent porte donc en lui le vide affectif de notre époque, que l’on cherche à combler par l’exposition. Un besoin d’être vu, reconnu, validé – même dans les milieux croyants. L’émotion remplace la conviction, le frisson l’enseignement.

Certains répondront que c’est efficace. Que c’est mieux que rien. Qu’il faut bien entrer dans les codes contemporains pour toucher le monde. Mais est-ce bien prudent ?

Le temps long

Rien de nouveau sous le soleil. Déjà les Hébreux, lassés d’attendre Moïse – comme nous pouvons nous lasser d’attendre une victoire obtenue par des moyens justes –, se tournent vers un veau d’or. À l’inverse, Bossuet, dont les prédications de Carême à la Cour lui valurent la colère du souverain, dut attendre deux ans avant d’être à nouveau invité. Et pourtant : ses écrits demeurent, parce qu’ils s’inscrivaient dans le temps long – celui qui élève l’âme, structure l’intelligence. Il n’a pas cherché à plaire : il a voulu sauver.

Josef Pieper, rappelant que la prudence est la mère de toutes les vertus naturelles, précisait :

« Tel que le comprend la moyenne de nos contemporains, le concept de bien semble donc plutôt exclure qu’inclure celui de prudence. Il n’y a pas, semble-t-il, de bonne action qui pourrait ne pas être imprudente ; on qualifiera assez souvent le mensonge et la lâcheté de prudence, la franchise et le don de soi courageux tout aussi d’imprudence.

La doctrine chrétienne classique de la vie dit en revanche : l’homme n’est prudent et bon qu’en même temps ; la prudence est partie prenante de la définition du bien. Il n’y a pas de justice et de courage qui puissent contredire la vertu de prudence ; et, celui qui est injuste est, d’abord et en même temps, imprudent. Omnis virtus moralis debet esse prudens ; toute vertu morale est nécessairement prudente. (1) »

Or, c’est précisément cette vertu qui nous manque aujourd’hui. Nous confondons prudence et stratégie, vérité et popularité, communication et mission. Nous croyons faire œuvre d’apostolat, alors que nous participons parfois à la dissolution du sens.

Pendant ce temps, le monde continue de rejeter le Christ. Les actes antichrétiens se multiplient, en France et en Europe. L’entretien que nous publions avec Laurence Trochu le montre bien : la foi chrétienne reste une cible. Les récents frémissements politiques donnent peut-être l’illusion d’un changement de cap, mais nous restons dans une mécanique de balancier. Une alternance de soulagements et de régressions, de victoires fragiles et de défaites écrasantes. Rien n’est gagné : il suffit d’attendre que nos adversaires reprennent de l’élan pour que tout soit à nouveau perdu.

Le coup suivant peut être plus dur : l’enquête sur l’enseignement catholique initiée par le gouvernement, les discours alarmistes sur la guerre et les restrictions de liberté qui pourraient suivre. Et ce ne sera pas un réseau social qui nous sauvera, ni une influence bien gérée, mais notre fidélité.

Notre mission n’est donc pas de défendre une certaine liberté d’expression, mais de libérer la vérité. Parce que seule la vérité rend libre, et que seul le Christ est la Vérité : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ; nul ne vient au Père que par moi. » (Jn 14, 6)

Cela suppose d’oser mettre en cause les fondements mêmes de la démocratie moderne : faute de quoi elle ne tombera pas, et changera seulement de masque. Mais il faut aussi se former, se fortifier, pour ne pas tomber avec elle si elle venait enfin à s’effondrer. Et cela suppose enfin de se préparer à reconstruire dans la durée. Il ne suffit pas de gagner du terrain. Encore faut-il savoir quoi y bâtir.

 


1. Josef Pieper, Le Quadrige, Téqui, 2020, p. 32.

 

>> à lire également : Découvrez notre nouveau hors-série : « Les croisades au risque de l’Histoire »

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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