Marche pour la Vie 2023 : Faut-il aller manifester ?

Publié le 13 Jan 2023

Dimanche 22 janvier prochain, la Marche pour la Vie organisera sa manifestation annuelle. Alors que l’Assemblée Nationale a adopté le droit à l’avortement dans la Constitution et qu’un simulacre de débat est organisé autour de la légalisation de l’euthanasie, nous avons rencontré Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance Catholique et membre du collectif organisant l’évènement, pour échanger sur la pertinence d’un tel rassemblement public.

Est-il vraiment nécessaire d’aller manifester pour la vie ? Cette manifestation n’étant que très peu couverte par les médias, ou bien seulement de manière négative.  

La première raison de manifester, c’est que cet évènement manifeste, c’est le cas de le dire, que le consensus général autour de l’avortement n’est pas une unanimité. Pensons à cette image de Soljenitsyne : “Il faut accepter d’être une luciole qui brille dans la nuit.” La luciole n’éclaire pas, mais elle rappelle que la lumière existe.  

Dans une société individualiste comme la nôtre nos convictions sont devenues ultra-minoritaires. Nous rassembler permet de témoigner publiquement que nous continuons d’exister, dans la fidélité à 2 000 ans de tradition de l’histoire de France et de l’Église. Mais aussi, face à un scandale qui est public, la réponse doit être publique. 

Ainsi, nous prenons aussi conscience que nous ne sommes pas seuls à croire ce que nous croyons et cela nous permet de nous remémorer cette autre phrase de Soljenitsyne : “Le mensonge existera mais sans notre participation.”  

Pourquoi cet évènement ne semble toucher qu’une minorité de catholiques ? 

La réalité est que le climat culturel contemporain repose sur une anthropologie dominée par ce que Philippe Murray a appelé l’Homo Festivus, l’homme uniquement préoccupé de son propre plaisir. A part quelques catholiques, et de nombreux musulmans, tout le monde s’est rallié à cette conception de l’homme. L’existence d’une loi naturelle restreignant la liberté de l’homme, au sens où celle-ci serait le droit de faire tout ce qui est possible, n’est plus compréhensible que par les catholiques et ceux qui ont encore un sens aigu de Dieu et de sa loi.  

Et pourquoi une minorité parmi les catholiques ? Parce qu’après cinquante ans d’absence d’enseignement moral par l’Église, l’immense majorité des catholiques s’est ralliée aux valeurs du monde.  Trop de catholiques ne sont plus armés intellectuellement, spirituellement et humainement pour s’opposer aux valeurs dominantes de la société apostate dans laquelle ils vivent. Ils se sont rendus au monde. Ils veulent bien être catholiques dans les églises et les sacristies, mener une vie de prière mais ils ne sont plus éduqués à s’opposer au monde.   

D’ailleurs, faut-il afficher notre foi dans ce type d’évènement ?  

Il faut partir de plusieurs faits.  

Nous vivons dans une société, en particulier en France, profondément déchristianisée. C’est le fruit de plus de 200 ans d’hostilité des pouvoirs publics vis-à-vis de l’Église. Notre pays est un de ceux qui comptent le plus grand nombre d’athées et de non croyants. 

Une manifestation de foi menée au nom des valeurs de l’Evangile dans un combat de ce type susciterait très peu de soutiens. Ainsi, pendant trente ans Renaissance Catholique a organisé au mois d’octobre une marche pour la vie, qui était ouvertement priante, confessionnelle et se terminait par un salut du Saint-Sacrement à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Certains évêques avaient d’ailleurs soutenu l’initiative mais en réalité cette initiative n’a jamais rassemblé plus de 2000 participants.  

Il peut être également délicat dans le contexte actuel des scandales sexuels dans l’Église de mettre en avant une démarche au nom de la foi sur des questions morales délicates comme l’avortement. Aujourd’hui, le discours de l’Église est décrédibilisé pour un bon moment.  

Une autre réalité incontestable, cependant, est que cette stratégie de défense de la loi naturelle au nom de la raison, utilisée en particulier par Jean-Paul II dans des encycliques comme Evangelium Vitae, ne fonctionne pas. La culture de mort continue de progresser. 

Ayant pris acte de ces faits La Marche pour la Vie ne se positionne pas dans une démarche confessionnelle. En revanche, il existe une partie priante à la fin du cortège en très bonne relation avec l’organisation, dans une démarche de foi et de prière qui tient toute sa place dans l’évènement. La démarche générale est sensiblement différente aux États-Unis ou en Italie, qui sont des pays bien moins sécularisés.  

Ce qui semble donc être un choix simplement stratégique pourrait devenir un absolu pour les jeunes qui participent à cet évènement, eux-mêmes pourraient donc considérer qu’intellectuellement la foi n’est pas nécessaire dans l’engagement politique…  

Certes, mais le fait est que nous sommes face à une génération qui n’a plus le sens des réalités surnaturelles. Nous observons depuis cinquante ans la confusion du temporel et du spirituel, l’absorption de l’un par l’autre. Or les deux dimensions sont nécessaires : manifestation publique le dimanche et veillée de prière la veille. 

Adopter les éléments de langage de nos adversaires politiques dans la communication, est-ce réellement efficace ?  

Je vais prendre une image maritime pour répondre. Un bateau à voile ne peut pas remonter contre le vent. C’est physiquement impossible. Il faut donc louvoyer, s’éloigner de son objectif pendant un temps : un coup à tribord, un autre à bâbord, on remonte au vent. Aujourd’hui, il est très délicat de prendre de front un certain nombre de sujets. La loi Veil est devenue un des dogmes majeurs de la religion droit de « l’hommiste ». 

De plus nous ne sommes pas l’Église enseignante dont le rôle “est d’indiquer le Nord” comme le disait Péguy. Le rôle des laïcs, c’est de peser ce qu’il est possible de faire et de trouver les moyens d’atteindre l’objectif. C’est tout le débat sur le moindre mal. Les progrès dans la lutte contre l’avortement aux États-Unis se sont faits de cette manière-là, de façon progressive. Les dix propositions formulées par le collectif pour l’édition de 2023 restent néanmoins très claires.  

La constitutionnalisation de l’avortement en France a fait l’objet d’un large consensus parmi nos parlementaires. Le respect de la vie progresse-t-il réellement comme « La Marche pour la vie » l’annonce ? 

Cette affirmation est essentiellement liée à la décision de la Cour suprême aux États-Unis abrogeant l’arrêt “Roe vs Wade”. Mais la situation américaine n’est pas la situation française. Il existe aux États-Unis des cliniques qui ne font que des avortements, elles sont donc facilement identifiables. Ceci est interdit en France. Le retournement de l’opinion américaine est aussi dû à un travail de terrain de tous les instants. Dans tout le pays, il existe une multitude de structures d’accompagnement des femmes enceintes. L’Église catholique américaine est aussi bien plus présente dans ce domaine.  

Quel est le moyen le plus puissant pour défendre la vie ? 

Il faut d’abord croire à la communion des saints. Sainte Thérèse nous dit : “Une âme qui s’élève, élève le monde”. Si chacun d’entre nous, comme époux et épouse, père et mère, est fidèle à la loi de Dieu dans la transmission de la vie, de fait il défend la vie par son exemple. Ensuite, il est certain que de nombreux avortements sont provoqués par des conditions matérielles défavorables conjuguées à des inquiétudes sur la pérennité de la vie commune entre le père et la mère. C’est toute une politique authentiquement familiale, radicalement opposée aux dogmes de la « dissociété » actuelle, qu’il faudrait remettre sur pied. 

Enfin il y a aussi l’action par la prière, mais celle de sainte Jeanne d’Arc : « Les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire. » Pour conclure, il ne faut pas non plus négliger l’aspect intellectuel et former des intelligences capables de rendre compte des raisons de fond de notre attachement au respect de la vie humaine innocente.  

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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