Comme Chénier ou Jean-Baptiste Rousseau jadis, dans le ciel d’un siècle déserté par la poésie brille une étoile d’autant plus vive qu’elle est presque seule. Marie Noël serait sans doute la première surprise de ces comparaisons, elle qui était si humble et pour ainsi dire invisible. Et pourtant ! De son temps déjà Anna de Noailles reconnaissait sa supériorité. Quant à Montherlant, il dit à son sujet qu’elle était le plus grand poète vivant. Sa vie n’eut aucun intérêt : née Marie Rouget en 1883 à Auxerre pour n’en point sortir, elle s’éteignit vieille fille en 1967. Sa famille, peu portée à la religion mais cultivée, lui donna le goût des lettres, et ce fut son parrain qui l’encouragea à écrire. Dès 1910, la Revue des Deux Mondes lui fait l’honneur de publier quelques poèmes, suivis quelques années plus tard par Les Chansons et les Heures. Elle égrainera encore d’autres œuvres, en vers comme en prose, dont les Notes intimes en 1959. Précisons aussi qu’elle reçut en 1962 le Grand Prix de poésie de l’Académie française. Extérieurement, elle passa une existence aussi banale que possible d’habitante d’une ville de province, entièrement dévouée à sa paroisse, à ses amis, à sa famille…
C’est au cours d’une maladie qu’elle écrivit le curieux ouvrage qu’est l’Almanach d’une jeune fille triste
. Destiné à redonner la joie à une jeune fille dont on comprend rapidement qu’elle se confond avec l’auteur, cet almanach de l’année 1922 forme un ensemble assez hétéroclite de textes de multiples provenances. La Bible y côtoie Maeterlinck, Marc-Aurèle et Pythagore, Péguy fraye avec Wagner, Bossuet avec Fénelon et Schopenhauer. On y trouve encore Chateaubriand, Lamartine, Ruskin, Goethe, Nietszche, Jammes et même Lang-Tseu. Quelques saints et des dictons populaires y figurent également. Ses propres textes ne manquent pas non plus, notamment des extraits de son recueil paru peu avant. Le tout est organisé selon une méditation progressive : à chaque mois correspond une vertu qui s’accorde le plus souvent au temps liturgique. Que le lecteur décide de suivre le rythme que ce livre suggère, ou qu’il préfère l’avaler d’une traite, il y trouvera matière à amusement et réflexion. D’autre part, ce livre fonctionnant comme une anthologie, on pourra trouver intéressant de rechercher l’œuvre de laquelle tel passage est tiré. À cet usage, l’éditeur a prévu de faire paraître une édition scientifique qui donnerait toutes les références. Après tout, en ces temps de morosité, ce livre, original par sa forme, ne l’est pas moins par son contenu.
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