Fruit de la spiritualité franciscaine, le chemin de croix, en invitant les fidèles à considérer avec compassion et douleur la Passion du Christ, et à mesurer leur propre responsabilité de pécheurs dans les souffrances qu’Il endura pour notre rédemption, a parfois été regardé par les beaux esprits comme une dévotion sentimentale, doloriste, et dépassée dont il convenait de se détourner.
Elle s’est pourtant maintenue vaille que vaille et, si assez rares sont ceux qui peuvent ou veulent accomplir un chemin de croix chaque vendredi, voire simplement ceux de carême, celui du Vendredi Saint attire encore, un peu partout, de nombreux fidèles. Ils doivent alors parfois surmonter un autre obstacle : sur quels textes, quelles méditations s’appuyer ?
Certains, avec une bonne volonté pas toujours couronnée de succès, improvisent et découvrent trop tard que le genre, qui réclame des compétences littéraires et théologiques, n’est pas si facile qu’il y paraît.
Les traditionalistes, prudents, s’en tiennent à des chemins de croix anciens, souvent d’une vraie richesse spirituelle, mais qui, d’un point de vue littéraire, peuvent avoir vieilli jusqu’à faire sourire. Les autres piochent dans des versions actualisées dont le style vieillira plus vite encore ou qui, à l’occasion, partent dans des digressions extravagantes politiques, écologiques ou autres, dont le rapport avec la Passion n’est pas fatalement évident.
À titre d’exemple, en voici deux, récents, utilisables pour des dévotions privées ou en communauté.
Le Père Antoine Birot propose un Chemin de Croix trinitaire ( Salvator. 95 p. 9,90 €) avec le cardinal Hans Urs Von Balthasar et sa convertie mystique, Adrienne Von Speyr. Pour beaucoup de chrétiens, la Passion peut, en effet, apparaître soit comme un châtiment infligé par le Père et dont le Fils serait la victime consentante, ce qui fait alors de la Première Personne de la Sainte Trinité une sorte de monstre, soit comme la seule affaire du Christ, Son épreuve à laquelle le Père et le Saint Esprit demeureraient étrangers ; une autre dérive, parfois poussée jusqu’à l’hérésie, consiste au contraire à croire que la Trinité entière deviendrait participante de la mort du Fils sur la Croix quasiment jusqu’à mourir, elle aussi. L’on entre là dans des questionnements théologiques qui n’ont cessé d’interroger les chrétiens depuis les commencements de l’Église et ont pu aboutir, surtout en Orient, à d’étranges dérives.
Ce chemin de Croix se veut une réflexion saine, et catholique, sur l’implication des Trois Personnes trinitaires dans la Passion. L’on y trouve de beaux passages, propres à élever la réflexion mais l’ensemble peut déconcerter. Non pas tant les passages empruntés au cardinal Von Balthasar que ceux d’Adrienne Von Speyr, dont on ne sait trop s’il faut en attribuer les ambiguïtés à l’incapacité, bien connue des mystiques, à rendre par des mots des réalités ineffables, ou à son passé protestant qui imprégnerait son vocabulaire de façon troublante pour des oreilles catholiques.
Quoiqu’il en soit, mieux vaut laisser cette réflexion, toute profonde qu’elle soit, sur la kénose du Christ, à des personnes en possession d’un certain bagage théologique. L’on regrettera, par ailleurs, l’indigence des illustrations.
Ce reproche ne saurait être fait aux Méditations sur le chemin de Croix avec les vitraux de Saint-Eugène-Sainte-Cécile de Marie-Line Burguière ( Téqui ; 30 p ; 9 €.) Ce chemin de croix, pensé par cette paroisse traditionaliste parisienne, est d’un classicisme de pensée de bon aloi, mais débarrassé des mièvreries pieuses qui encombraient trop souvent l’exercice et qui incitent parfois plus aux ricanements qu’au recueillement. La prière personnelle, à laquelle il se prête bien, sera heureusement soutenue par la contemplation des beaux vitraux de l’église correspondant aux diverses stations. Cela en fait une valeur sûre qui ne décevra personne.