Prêtre de la communauté de l’Emmanuel dans le diocèse de Vannes, le Père Jean-Baptiste Nadler a publié en mai dernier son deuxième ouvrage sur la messe, L’esprit de la messe de Paul VI, chez Artège. Cyril Farret d’Astiès nous propose une analyse de cet ouvrage. Il a lui-même publié un essai intitulé
Pour essayer d’apporter quelques preuves à nos reproches, parcourons à présent la seconde partie de l’essai de l’abbé Nadler et les propositions concrètes qu’il présente comme étant l’esprit enfin révélé de la messe de Paul VI afin d’atteindre la participation pleine, consciente et active promue par le Concile. Nous ne les aborderons pas toutes en détail même si elles présentent toutes un intérêt. Nous nous arrêterons sur les aspects qui nous semblent les plus saillants en adoptant les titres et l’ordre des chapitres de son essai.
La formation liturgique des clercs et des laïcs.
Dans l’esprit de Desiderio desideravi du pape François, l’abbé Nadler insiste sur la nécessité de formation à la liturgie. Il utilise plusieurs expressions en écho à cette idée : « éducation liturgique », « formation initiale », « intensifier la formation ». Il nous semble que c’est une véritable fausse bonne idée. Un mouvement très important de formation a déjà eu lieu avant le concile dans la dynamique du Mouvement liturgique. Revues, ouvrages, ateliers pratiques foisonnaient partout. Cet activisme était le symptôme d’une conception de la liturgie qui allait donner naissance à toutes les idées mises en œuvre dans la réforme. Priorité pastorale. On croit que la liturgie est quelque chose que l’on doit faire. En réalité il s’agit d’entrer dans la prière liturgique de l’Église comme on entre dans l’eau, de s’y couler littéralement, et même de s’y noyer. Bien entendu les ministres, les servants, les scholas doivent répéter, apprendre leur fonction, approfondir les usages, mais il ne s’agit pas de passer un permis de conduire, ou d’obtenir un baccalauréat. C’est tout au long de notre vie, par nos progrès spirituels et par la patine du temps que nous cernons mieux la richesse d’une collecte, que nous percevons la portée d’un geste, que nous découvrons l’usage d’un objet, que nous ruminons une lecture. Et chacun est modelé à son rythme par les cycles liturgiques successifs et ce d’autant plus que nous nous abandonnons sans résistance et en nous dépouillant de nos idées personnelles à ce trésor qui vient de si loin. C’est une maladie bien contemporaine que de tout intellectualiser, normer, acquérir. L’abbé Nadler perçoit cependant la juste approche de la pratique liturgique quand il invite les séminaires à offrir une vie liturgique « irréprochable et nourrissante ». C’est également le secret pour les paroisses : déployer le culte dans toute sa solennité et dans toute la richesse des temps liturgiques.
Diffracter les rôles liturgiques.
C’est un point de plus grand achoppement. Derrière ce titre un peu ésotérique se cache la question du sacerdoce commun et du sacerdoce ministériel. L’abbé Nadler estime que les ordres mineurs, supprimés par Paul VI, pouvaient « faire croire que le prêtre était apte à assurer dignement tous les rôles de la liturgie ».
Mais c’est bien le cas ! Ce que l’on nomme « ordres mineurs », (fort antiques, le sous-diaconat remontant par exemple au IIIe siècle), sont intimement liés à la fonction sacerdotale. Image angélique, ils constituent effectivement les barreaux d’une échelle vers l’ordre et ont un rôle cultuel ; à ce titre ils sont réservés autant que possible à des candidats à la cléricature bien que les ordres mineurs aient toujours été conférés à des hommes qui n’avaient pas vocation à avancer jusqu’à la prêtrise. Oui le culte est l’affaire de la caste sacerdotale. Vatican II dans Presbyterorum Ordinis (n°5) le rappelle d’ailleurs : « Ainsi par le ministère de l’évêque, Dieu consacre des prêtres qui participent de manière spéciale au sacerdoce du Christ, et agissent dans les célébrations sacrées comme ministres de celui qui, par son Esprit, exerce sans cesse pour nous, dans la liturgie, sa fonction sacerdotale. » Cela n’empêche pas les pères de famille de diriger la prière familiale ni les mères de familles d’enseigner aux enfants les vérités de la foi sur leurs genoux. À suivre l’idée de Paul VI et la pratique de conférer un ministère liturgique institué à des laïcs on fausse complétement la juste distinction entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel qui ne sont pas ordonnés à la même finalité et qui ont une différence de nature. Le père Nadler n’évoque à aucun moment la conséquence de l’accès plein et entier des femmes à ces deux sacramentaux du lectorat et de l’acolytat. Imposé par le pape François, il était effectivement logique et cohérent avec cette réforme de Paul VI. Mais qui ne comprend qu’il s’agit d’une profonde révolution ? Sur quelle base scripturaire se fonde cette idée ? L’auteur l’admet d’ailleurs, il existe et a toujours existé des tâches spécifiques pour les laïcs : suisse (Présentation générale du missel romain n°105.d), sacristain, organiste, chantre, commentateur (sic. PGMR n°105.b)… Cependant, le service direct de l’autel a toujours été réservé. On perçoit au-delà de la question sacerdotale ce besoin de faire faire impérativement quelque chose, de distribuer les rôles. L’abbé Nadler note une difficulté évidente sans y apporter de réponse satisfaisante : « recevoir l’institution de lecteur ou d’acolyte engage le laïc pour toute sa vie ». On crée donc de fait, un ordre mixte qui n’a aucune conscience de la réalité profonde du sacramental reçu.
On retrouve ici l’idée d’une « communauté qui célèbre » avec un prêtre président davantage guide qu’instrument agissant in persona Christi. Idée très présente dans Desiderio desideravi du pape François et très bien analysée par José Antonio Ureta et l’abbé de Tanoüarn . Idée emblématique d’un catholicisme qui ne parvient plus à accepter la célébration de la messe en l’absence de fidèles.
Sans l’opposer à la participation, il est peut-être temps de retrouver et d’accepter la bénéfique « assistance » à la messe qui n’est pas passivité mais contemplation du renouvellement non sanglant du sacrifice du calvaire par le même Prêtre et la même Victime.
Les rythmes de la messe.
Une seule citation du chapitre donnera une idée de ce sceau pastoral et participatif qui marque tout l’essai : « Comme une musique ou une danse, une célébration liturgique possède un rythme propre qui lui donne son souffle intérieur et sa puissance d’impression. Savoir mettre en œuvre ce rythme est un art. » Nous avons déjà donné une réponse à cette idée en évoquant la formation liturgique : on voit combien la nouvelle messe impose au prêtre d’être un perpétuel animateur, attentif au rythme et à l’attention de l’assemblée… Répétons que la liturgie nécessite l’oubli de soi, de ses options préférentielles et de ses idées personnelles sur tel ou tel aspect qui nous semble incompréhensible ou défectueux. La liturgie n’a pas besoin de nous. Soyons, chacun à notre place, simple serviteur et bénéficiaire de cette prière publique sanctifiée par l’Église depuis 2000 ans. Il nous semble que les prêtres diocésains et les évêques qui tirent le plus grand profit de la célébration de la liturgie traditionnelle sont ceux qui adoptent avec un total renoncement personnel l’ensemble des rubriques et qui se laissent guider par le cérémoniaire. Ceux qui adaptent ou renâclent à tel ou tel aspect sur lequel ils pensent avoir des idées novatrices et lumineuses passent à côté du trésor et ne perçoivent que l’écume : l’avantage pastoral d’un rit mystagogique qui répond à la soif des fidèles.
L’écoute de la parole de Dieu.
Sujet ô combien récurent. C’est probablement l’argument le plus invoqué en faveur de la réforme liturgique sensée avoir fait passer l’Église de l’ignorance la plus crasse des Écritures à un peuple d’exégètes accomplis. Constatons cependant en préambule qu’au regard de la connaissance des vérités de la foi du catholique moyen en 2023, quelques interrogations surgissent spontanément à notre esprit sur l’avantage du lectionnaire réformé qui a privilégié la quantité à la qualité contre toute logique pédagogique. Numériquement, il est mathématiquement indéniable que la réforme soit parvenue à son objectif : abondance et variété des textes. Cependant l’étude comparée à laquelle se sont livrés quelques esprits systématiques montre que le panel des vérités de la foi que contiennent ces textes s’est considérablement amenuisé.
Mais si l’abbé Nadler fait sienne l’idée d’un apport majeur « du Concile Vatican II en matière liturgique », il appelle essentiellement à une amélioration pratique de la lecture : sonorisation des églises et technique vocale. Technique encore. Une feuille paroissiale des Yvelines présentait il y a deux ans le « microféraire » parmi les fonctions des enfants de chœur…
L’abbé suggère un temps de silence avant chaque lecture pour favoriser la « qualité d’écoute ». Ces temps de silence sont effectivement encouragés par la réforme liturgique (PGMR n°45) ; ils concernent la sacristie (et c’est très bien ainsi) mais le cours de la messe également ; le silence est particulièrement recommandé après l’homélie et la communion. Remarquons ici que si la liturgie a besoin de silence, ce n’est pas de pose et de suspension méditative dont il s’agit. La liturgie qui est une œuvre de louange ne s’arrête pas pour réfléchir et faire le vide intérieur. Le silence liturgique recouvre les prières murmurées et les geste précis du culte. Le temps du silence personnel est celui de l’oraison ou de l’adoration eucharistique, pas celui de la liturgie : opus Dei.
Mais que l’on ne se méprenne pas sur nos remarques. Nous aussi, comme nous y invite L’Imitation de Jésus-Christ, nous souhaitons être nourris aux deux tables : la parole de Dieu et la sainte communion.
Deux expressions du sacerdoce baptismal.
Dans ce chapitre l’abbé Nadler évoque la transition entre la messe des catéchumènes et la messe des fidèles qui ont davantage pour nom dans la liturgie réformée : liturgie de la Parole et liturgie eucharistique, on pourrait d’ailleurs gloser sur ces distinctions. L’auteur juge que « la progression (de l’une vers l’autre) est extrêmement difficile à mettre en œuvre (…) ». Encore la technique, la mise en œuvre et l’idée personnelle.
Il estime que deux rites favorisent cette transition : la prière eucharistique (qui conclut la liturgie de la parole) et l’offertoire. L’auteur souhaite que ce soit le diacre qui lise les intentions, et qu’elles mériteraient de suivre les « formulaires type » et éventuellement les « recueils » spécifiques. Puis l’abbé évoque l’offertoire qui pourtant n’existe plus dans le nouveau rit mais a laissé place à une préparation des dons et à une prière sur les offrandes.
Nous touchons là un point essentiel de la réforme liturgique en lien avec la réalité sacrificielle de la messe à laquelle l’abbé de Massia vient de consacrer un ouvrage d’une grande profondeur [1]. Ce rite de l’offertoire qui a été supprimé n’est pas une anticipation ou un doublon mais une étape essentielle dans le grand mystère de la messe. Là réside probablement la réalité la plus profonde de la participation des fidèles dont parlait déjà le concile de Trente. Et la goutte d’eau bénie par le prêtre qu’il ajoute dans le calice symbolise précisément que nous venons offrir à Notre-Seigneur ce que nous sommes et ce que nous demandons afin qu’il l’offre lui-même à Dieu au moment de la consécration. L’abbé de Tanoüarn écrit que : « le Christ inclut toutes les offrandes humaines, forcément imparfaites, dans son offrande unique. » [2] Cette goutte d’eau manifeste aussi notre vocation à être hissés de la terre jusqu’au Ciel. C’est ce qu’écrivait Henri Charlier en 1973 [3] : « L’Offertoire est notre sacrifice à nous, pécheurs, laïcs, peuple de Dieu non désigné par et pour un ministère (et le prêtre, en tant qu’homme est avec nous, à notre tête). Nous offrons humblement ce que nous avons reçu, les fruits de la terre ; c’est là notre sacrifice pour honorer Dieu et nous faire pardonner nos fautes ; Recevez, ô Père Saint, Dieu tout puissant et éternel cette hostie sans tache que je vous offre (…). » Nous ne résistons pas à transcrire cette sublime prière de l’offertoire traditionnel qui, comme tant d’autres, a été effacée par les réformateurs : « Dieu qui d’une manière admirable avez créé la nature humaine dans sa noblesse, et l’avez restaurée d’une manière plus admirable encore, accordez-nous, selon le mystère de cette eau et de ce vin, de prendre part à la divinité de celui qui a daigné partager notre humanité. »
Si on comprend bien ce qu’est l’offertoire traditionnel, on comprend aussi que les intentions de la prière universelle sont évidemment et de manière bien plus sublime et parfaite, incorporées dans les prières du prêtre sans avoir besoin d’être verbalisées de manière forcément limitées et toujours un peu caricaturées par « un chantre, un lecteur, un autre fidèle laïc » ou même le diacre.
« Les fidèles (…) remettent leur vie spirituelle entre les mains (du prêtre) afin que, par elles, elle soit unie à l’offrande du Christ. » Par ces mots, il nous semble que l’abbé Nadler a bien saisi ce qu’est ce moment de la Sainte Messe mais sans en tirer la juste conséquence qui serait l’usage de l’offertoire traditionnel.
À suivre :
[1] Abbé Jean de Massia, Théologie du Sacrifice, Téqui, 2022, 26€.
[2] Abbé Guillaume de Tanoüarn, https://www.institutdubonpasteur.org/2020/04/23/loffertoire-de-la-messe-traditionnelle/
[3] Henri Charlier, « Note complémentaire sur l’Offertoire », Itinéraires, n°173, 1973.
>> à lire également : La pause liturgique : Graduel Locus iste (dédicace des églises)