Musique : le Jubilate Deo du chant grégorien

Publié le 29 Avr 2017
Musique : le Jubilate Deo du chant grégorien L'Homme Nouveau

L’introït « Jubilate Deo » est celle du IIIe dimanche de Pâques. Que dit-elle ? « Jubilez pour Dieu toute la terre, alléluia, chantez un psaume en l’honneur de son nom, alléluia, rendez gloire à sa louange, alléluia, alléluia, alléluia ! Comme elles sont redoutables tes œuvres Seigneur ; devant la grandeur de ta puissance, tes ennemis même te confessent. » (Pour écouter cet introit ).

J’aime à dire que de même que le temps de l’Avent a son dimanche de joie (Gaudete), que le temps du Carême a également son dimanche de joie (Lætare), il est normal aussi que le temps Pascal ait son dimanche de joie et c’est Jubilate. Cela nous montre en tout cas que la joie n’est jamais absente de la liturgie de l’Église, que l’Église est toujours en joie, quelle que soit la couleur de ses ornements, quelle que soit le mystère qu’elle célèbre. La joie est le sentiment de la perception de la présence d’un bien. Pour l’Église, on peut dire que la joie lui est venue de l’Incarnation. Emmanuel, Dieu avec nous. Cette joie est inamovible, elle ne peut être retirée à l’Église et aux âmes qui veulent vivre de cette bonne nouvelle. Alors l’Église chante, c’est pour elle un besoin. Son cœur, sa prière, s’épanchent dans la joie à travers le chant qui est l’expression privilégiée de son amour pour les grandes œuvres que le Seigneur a réalisées en son sein. L’Église est mariale puisque Marie est la première artiste qui ait composé une hymne à l’occasion du mariage de l’humanité avec la divinité qui s’est consommé dans la chambre nuptiale de son sein tout pur. Comme Marie, l’Église porte en elle le Verbe époux, elle le célèbre avec les accents que lui souffle le Saint Esprit, véritable inspirateur de la beauté créée. Magnificat ! La première mission de l’Église c’est d’annoncer le message du salut qui est le Christ et le Concile Vatican II nous précise que c’est dans la liturgie que s’exerce l’œuvre de notre Rédemption. Voilà pourquoi la liturgie et spécialement l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie de l’Église. Nous sommes chez nous, en famille, lorsque nous faisons nôtres les saintes formules qui ont traversé les siècles et qui constituent comme un immense fleuve auquel se sont abreuvées toutes les générations. Le chant grégorien est le répertoire privilégié du chant de l’Église.

Un cachet d’authenticité

Jubilate Deo. Là encore, beaucoup de grands compositeurs se sont emparés de ce beau verset du psaume 65. mais l’inspiration grégorienne donne à ces paroles, à ce texte de la Parole de Dieu, son cachet d’authenticité assurée. Le psalmiste invite toute la terre à louer Dieu. Si tout le monde s’y mettait, la vie sociale irait beaucoup mieux et très vite, nous serions en face de la réalité la plus essentielle, comme des créatures devant leur Créateur, tout serait dans l’ordre et l’ordre se rétablirait très vite entre nous et en nous. Mais cette invitation du psalmiste est un défi que doit relever l’Église missionnaire car l’humanité s’enfonce au contraire dans les ténèbres d’un relativisme qui n’est absolu que sur un point : évacuer Dieu de la pensée de l’homme. Il y a donc encore du travail pour que le monde entier se mette à jubiler pour Dieu. Mais confiance, le Seigneur fait toujours de grandes choses, il fait germer le témoignage de la louange là même où on n’ose pas l’espérer.

Jubilate Deo Partition

Ce chant a bien quelque chose de triomphal. D’abord il est universel, il s’adresse à tout le monde, pas seulement à l’Église, pas seulement aux chrétiens, mais à tous les croyants et même à tous les hommes de bonne volonté. Ensuite il invite à chanter et à chanter rien de moins que la gloire éclatante de Dieu. Le tout ponctué de ces alléluia qui trouvent là toute leur expression. Le verset de l’introït renchérit en mentionnant le côté terrible, redoutable, de l’action divine dans l’humanité. Notre Dieu est un feu dévorant, un Dieu jaloux dont l’amour est capable de merveilles comme le passage de la mer rouge. Ce verset est donc typique de la spiritualité de l’Ancien Testament qui nous montre un visage de Dieu impressionnant voir même terrifiant. Mais il y a aussi dans l’Ancien Testament, un autre visage de Dieu, un visage de tendresse. Eh bien ces deux visages de Dieu dans l’Ancien Testament, l’un terrifiant et l’autre intime, on les retrouve en Jésus. Le visage terrible de Jésus, on le trouve dans son pouvoir absolument surhumain et multiforme. Il commande à la mer, ce qui jette les apôtres et Pierre en particulier dans un effroi sacré. Il maîtrise les éléments naturels, il guérit les malades, il résout le problème de la faim, il ressuscite les morts, il expulse les démons, il remet les péchés. Et puis il y a un autre visage de Jésus qui constitue vraiment ce qu’on peut appeler le mystère de Jésus et que l’on voit notamment dans les trente années de vie cachées à Nazareth ou dans le fait qu’on est en présence d’un Dieu qui ne se défend pas et qui meurt sur la croix de façon scandaleuse. Voilà le mystère de Jésus. Alors je dirais que notre introït évoque les deux aspects que l’on vient de relever : il a quelque chose de triomphal, mais il suppose toute l’œuvre rédemptrice que vient d’opérer Jésus sous nos yeux. Le mystère pascal est une œuvre grandiose mais accomplie par un homme doux et humble de cœur. Pour les ennemis du Seigneur, les soldats romains ou les Juifs, la résurrection du Christ est une réalité terrifiante ; pour les apôtres, les saintes femmes, pour Marie, quelle douceur ! Et c’est cette douceur qui imprègne toutes les mélodies grégoriennes du temps Pascal.

Le mode de la plénitude

Alors on peut se pencher sur cette mélodie justement. Elle est très ferme, très enthousiaste aussi. C’est un huitième mode, mode très souvent employé dans la liturgie pascale. C’est le mode de la plénitude, de la solennité et ici le message est bien solennel, comme on l’a remarqué. La plupart des cadences sont en Sol, la tonique du 8ème mode. La mélodie évolue le plus souvent entre le Sol et le Do qui est la dominante. C’est le cas de la première phrase qui ne descend qu’une seule fois en passant, sur le Fa grave, mais ce Fa est précisément la sous-tonique, ce qui donne une assise encore plus forte à ce 8ème mode. Le La joue bien son rôle pour conduire au Do à l’aigu ou au Sol au grave. L’intervalle Sol-Do revient assez souvent. Je note d’ailleurs ce petit trait plus anecdotique qu’autre chose, mais sur omnis terra, on a exactement la même mélodie que le début de l’alléluia du Messie de Haendel. C’est probablement fortuit mais c’est amusant et j’y pense à chaque fois qu’on chante cet introït, et après tout, on ne sait jamais, Haendel a pu baigner dans un contexte musical, une culture musicale d’où le chant grégorien n’était pas exclu.

La pièce se compose de quatre phrases. Les deux premières sont ponctuées par l’alléluia, l’un attiré simplement vers la tonique et l’autre davantage mis en lumière avec sa longue sur la dominante. Il y a donc un renchérissement de la deuxième phrase sur la première. Cette deuxième phrase commence comme elle se termine, psalmum faisant écho à alléluia. C’est le centre de la pièce, c’est la phrase la plus ferme. Elle est encadrée par la première phrase qui est vive et très légère, et la troisième qui retrouve ce tempo léger du début. Quant à la dernière phrase, elle est magnifique avec ses trois alléluia très bien monnayés. Le premier est plutôt grave et un peu large, avec une montée progressive de l’intensité sur la syllabe finale avec la belle alternance entre Ré et Fa (Fa-Ré-Fa-Ré-Fa). Le second alléluia monte à partir du Do grave jusqu’au La qui est une note de conduit, ce qui laisse présager l’explosion à l’aigu du troisième alléluia. On sent venir le Do aigu, on y monte avec tout l’enthousiasme possible et on finit dans la puissance, sans trop ralentir sur la cadence finale qui doit être très nette, très ferme, et doit bien lancer le verset.

Une certaine gratuité

Tout au long de la pièce on ne descend au-dessous du Fa que dans cette dernière série d’alléluia, sur les deux premiers. Le reste est situé vraiment dans la lumière du mode de sol, avec des intervalles très clairs. Par ailleurs la mélodie ne monte pas au-dessus du Do, la dominante du mode. Il y a donc en même temps une certaine sobriété dans l’enthousiasme. Fermeté et sonorité claire, légèreté du tempo, tout respire la joie, mais une joie saine, maîtrisée et non débridée. Un chant de louange très sûr, dans lequel l’âme ne se regarde pas. C’est une invitation lancée par l’Église, là encore il n’y a pas de prière de demande. La seule demande qui est exprimée s’adresse à tous les hommes : qu’ils louent le Seigneur, qu’ils s’oublient eux-mêmes dans cette louange et que par là ils accèdent à la vraie joie qui est dépossession de soi-même en vue du don plénier. Jubilate, comme souvent, le premier mot de l’introït donne le ton de toute la pièce et même de toute la messe. Jubilate, c’est tout un programme et cela suppose une disposition de l’être envers le Seigneur. Pour Jubiler il faut être libre, détaché de son égoïsme, de son amour propre, qui rapporte toujours tout à lui. La jubilation est une notion très proche de celle de don. Au fond des deux notions, il y a une certaine gratuité. Jubilate, Alléluia, tout le temps pascal est là dans cette joie de la louange. L’Église, par son chant, nous apprend à aimer Dieu, à lui faire de la place, la meilleure place. Dieu premier servi. Ce chant d’entrée est facile à apprendre, facile à retenir en totalité ou en partie. La première phrase est toute simple et la mélodie des trois derniers alléluia chante si bien la légèreté de l’âme heureuse de la résurrection du Christ. Quand le chant liturgique nous accompagne ainsi toute la journée et pourquoi pas toute la semaine, il se produit quelque chose en nous, à notre insu. La ressemblance du Christ se façonne dans notre âme. Marie préside à ce renouvellement des enfants de Dieu. Magnificat, Jubilate, Alléluia !

Pour écouter cet introit :

Jubilate Deo intro

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