« Ne nous abandonnez pas à la tentation »

Publié le 02 Juin 2019
"Ne nous abandonnez pas à la tentation" L'Homme Nouveau

Le Pape commente l’avant-dernière demande du Pater, véritable croix des traducteurs. Il use d’une traduction personnelle : « ne nous abandonne pas à la tentation », pour éviter des controverses sans fin. On se souvient de la traduction française, qui vient d’ailleurs d’être corrigée : « ne nous soumets pas à la tentation ». Mais la question n’est pas si simple que cela. Trois difficultés se présentent : d’abord, le terme signifie-t-il tentation ou épreuve ? Ensuite, la négation porte-t-elle sur le fait d’être tenté ou bien sur le fait de ne pas succomber, selon la traduction française commune jusqu’à une date récente ? La troisième difficulté réside dans le verbe lui-même qui pose un grave problème théologique, dans la mesure où il semble faire de Dieu l’auteur même de la tentation. Saint Jacques met en garde les premiers chrétiens devant une interprétation abusive des permissions divines sur le mal. L’Ancien Testament semble certes aller très loin dans ce domaine. Pensons à Job, au sacrifice d’Isaac, à maints passages où le Dieu des armées paraît être à l’origine de l’épreuve. Dans le Nouveau Testament, on trouverait également des passages délicats. Saint Matthieu précise ainsi que Jésus fut conduit par l’Esprit, pour être tenté par le démon. De plus, c’est toujours Dieu qui permet la tentation et en désigne le lieu, l’étendue et la durée. Pourtant, le Siracide, avant saint Jacques, affirme nettement : « Ne dis pas: c’est le Seigneur qui m’a fait pécher, car il ne fait pas ce qu’il a en horreur ». On ne peut donc pas accuser Dieu d’être l’auteur de la tentation. L’auteur en est toujours le diable. Mais Dieu permet la tentation pour nous faire grandir ; le diable n’est pas aussi puissant que Dieu, il ne peut pas aller au-delà de ce que Dieu lui permet. C’est bien Dieu qui garde l’initiative comme le montre sans ambiguïté le livre de Job. Le diable peut bien aboyer, dit saint Augustin, mais pas mordre. Si Dieu ne tente pas, il permet la tentation et c’est lui qui demeure le maître. On pourrait donc traduire : « Ne permettez pas que nous soyons soumis par le diable à la tentation ».

Sur quoi porte la négation ? Sur la tentation elle-même ou sur le fait de ne pas y succomber ? Le doute ici n’est pas possible : la négation porte principalement sur la tentation elle-même. Certes, Dieu est fidèle et il ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces. Mais Dieu sait aussi que nous sommes faibles et pécheurs et, dans cette demande du Pater, il nous fait lui demander de nous éloigner complètement de ce qui pourrait, par notre faiblesse, entraîner notre chute. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, se souvenant de son père, montre que Dieu ôte de lui-même les cailloux qui pourraient faire trébucher son enfant.

Faut-il employer le mot d’épreuve ou celui de tentation ? L’épreuve représente le moyen pour tester de la valeur d’un être. Lorsqu’il s’agit d’une créature libre et raisonnable, l’épreuve la plus indiquée pour tester de la fidélité et l’amour de cette créature face à sa fin dernière, son bien ultime, demeure la tentation, qui se présente à elle sous la forme classique des trois concupiscences, dont la plus vicieuse et la plus terrible dans ses conséquences demeure l’orgueil. Toutes les épreuves, au fond, deviennent tentations, car le Malin sait les exploiter pour faire tomber les hommes. Finalement, la traduction de tentation doit être conservée. Jésus lui-même a voulu être tenté. Que Marie nous fasse à la fois comprendre que Dieu permet pour notre bien la tentation et qu’il ne nous abandonne jamais, car il n’est pas un Dieu lointain mais proche qui veut notre salut.

PAPE FRANÇOIS 

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint Pierre
Mercredi 1er mai 2019

Chers frères et sœurs, bonjour!

Nous poursuivons la catéchèse sur le «Notre Père», en arrivant désormais à l’avant-dernière invocation: «Ne nous soumets pas à la tentation» (Mt 6, 13). Une autre version dit: «Ne nous laisse pas entrer en tentation». Le «Notre Père» commence de manière sereine: il nous fait souhaiter que le grand projet de Dieu puisse s’accomplir parmi nous. Ensuite, il jette un regard sur la vie, et nous fait demander ce dont nous avons besoin chaque jour: notre «pain quotidien». Puis la prière s’adresse à nos relations interpersonnelles, souvent entachées d’égoïsme: nous demandons le pardon et nous nous engageons à le donner. Mais c’est avec cette avant-dernière invocation que notre dialogue avec le Père céleste entre, pour ainsi dire, dans le vif du drame, c’est-à-dire sur le terrain de la confrontation entre notre liberté et les pièges du malin. 

Comme on le sait, l’expression originale grecque contenue dans les Evangiles est difficile à rendre de manière exacte, et toutes les traductions modernes sont un peu «boiteuses». Nous pouvons cependant converger sur un élément de manière unanime: quelle que soit la manière dont on comprend le texte, nous devons exclure le fait que Dieu est le responsable des tentations qui pèsent sur le chemin de l’homme. Comme si Dieu lui-même était aux aguets pour tendre des pièges et des guets-apens à ses enfants. Une interprétation de ce genre est tout d’abord en contraste avec le texte lui-même, et elle est loin de l’image de Dieu que Jésus nous a révélée. N’oublions pas: le «Notre Père» commence par «Père». Et un père ne tend pas des pièges à ses enfants. Les chrétiens n’ont pas affaire avec un Dieu envieux, en compétition avec l’homme, ou qui s’amuse à le mettre à l’épreuve. Ce sont là les images de nombreuses divinités païennes. Nous lisons dans la lettre de Jacques apôtre: «Que nul, s’il est éprouvé, ne dise: “C’est Dieu qui m’éprouve”. Dieu en effet n’éprouve pas le mal, il n’éprouve non plus personne» (1, 13). C’est plutôt le contraire: le Père n’est pas l’auteur du mal, à aucun enfant qui demande un poisson il ne donne un serpent (cf. Lc 11, 11) — comme Jésus l’enseigne — et quand le mal se présente dans la vie de l’homme, il combat à ses côtés, pour qu’il puisse en être libéré. Un Dieu qui combat toujours pour nous, non contre nous. C’est le Père! C’est dans ce sens que nous prions le «Notre Père». 

Ces deux moments — l’épreuve et la tentation — ont été mystérieusement présents dans la vie de Jésus lui-même. Dans cette expérience, le Fils de Dieu est entièrement devenu notre frère, d’une manière qui est presque un scandale. Et ce sont précisément ces passages évangéliques qui nous démontrent que les invocations les plus difficiles du «Notre Père», celles qui terminent le texte, ont déjà été exaucées: Dieu ne nous a pas laissés seuls, mais en Jésus, il se manifeste comme le «Dieu avec nous», jusqu’aux conséquences les plus extrêmes. Il est avec nous quand il nous donne la vie, il est avec nous au cours de la vie, il est avec nous dans la joie, il est avec nous dans les épreuves, il est avec nous dans la tristesse, il est avec nous dans les défaites, quand nous péchons, mais il est toujours avec nous, parce qu’il est Père et ne peut pas nous abandonner.

Si nous sommes tentés d’accomplir le mal, en refusant la fraternité avec les autres et en désirant un pouvoir absolu sur tout et tous, Jésus a déjà combattu cette tentation pour nous: les premières pages de l’Evangile en attestent. Immédiatement après avoir reçu le baptême de Jean, au milieu de la foule des pécheurs, Jésus se retire dans le désert et est tenté par satan. C’est ainsi que commence la vie publique de Jésus, par la tentation qui vient de Satan. Satan était présent. Beaucoup de gens disent: «Mais pourquoi parler du diable qui est une chose antique? Le diable n’existe pas». Mais regarde ce que t’enseigne l’Evangile: Jésus a été confronté au diable, il a été tenté par satan. Mais Jésus repousse toute tentation et il en sort victorieux. L’Evangile de Matthieu a une note intéressante qui termine le duel entre Jésus et l’Ennemi: «Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient» (4, 11).

Mais également au temps de l’épreuve suprême, Dieu ne nous laisse pas seuls. Quand Jésus se retire pour prier au Gethsémani, son cœur est envahi par une angoisse indicible — c’est ce qu’il dit aux disciples — et Il fait l’expérience de la solitude et de l’abandon. Seul, avec la responsabilité de tous les péchés du monde sur ses épaules; seul, avec une angoisse indicible. L’épreuve est tellement déchirante qu’il se produit quelque chose d’inattendu. Jésus ne mendie jamais d’amour pour lui-même, pourtant au cours de cette nuit, il sent son âme triste à en mourir, et alors il demande la proximité de ses amis: «Demeurez ici et veillez avec moi!» (Mt 26, 38). Comme nous le savons, les disciples, alourdis par une torpeur causée par la peur, s’endorment. Au moment de l’agonie, Dieu demande à l’homme de ne pas l’abandonner, et en revanche l’homme dort. Au moment où l’homme connaît son épreuve, Dieu en revanche veille. Dans les moments les plus durs de notre vie, dans les moments de plus grande souffrance, dans les moments les plus angoissants, Dieu veille avec nous, Dieu lutte avec nous, il est toujours proche de nous. Pourquoi? Parce qu’il est Père. C’est ainsi que nous avons commencé la prière: «Notre Père». Et un père n’abandonne jamais ses enfants. Cette nuit de douleur de Jésus, de lutte, est le dernier sceau de l’Incarnation: Dieu descend pour nous rencontrer dans nos abîmes et des les tribulations qui parsèment l’histoire. 

C’est notre réconfort à l’heure de l’épreuve: savoir que cette vallée, depuis que Jésus l’a traversée, n’est plus désolée, mais qu’elle est bénie par la présence du Fils de Dieu. Lui ne nous abandonnera jamais! 

Eloigne donc de nous, ô Dieu, le temps de l’épreuve et de la tentation. Mais quand ce temps arrivera pour nous, Notre Père, montre-nous que nous ne sommes pas seuls. Tu es le Père. Montre-nous que le Christ a déjà pris sur lui également le poids de cette croix. Montre-nous que Jésus nous appelle pour la porter avec Lui, en nous abandonnant avec confiance à ton amour de Père. Merci.

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