Nouvel épisode d’un vieux débat
Un débat fait actuellement rage dans le petit monde catholique français autour du livre d’Erwan Le Morhedec, Identitaire, le mauvais génie du christianisme (Le Cerf, 176 p., 14 €). Plus connu sous son nom de blogueur, Koz, l’auteur, à quelques mois des élections présidentielles, tire un signal d’alarme contre un danger qui toucherait la foi catholique et qui se manifesterait par la place qu’occupe les identitaires au sein du catholicisme français. Thibault Collin analyse très bien en dernière page de ce numéro le propos de l’auteur et les questions qu’il soulève. Je voudrais pour ma part m’en tenir à quelques remarques.
Identitaire ? Si le mot est simple en lui-même, le concept est beaucoup plus flou et recouvre souvent des réalités beaucoup plus disparates qu’il n’y paraît. Pour Erwan Le Morhedec, ces distinctions existent peut-être, mais elles reposent finalement sur un fonds commun qui réduit la foi catholique à une posture politique, subvertit l’universalité du message chrétien au profit d’un particularisme nationaliste et met finalement en danger l’identité chrétienne elle-même. À bien y regarder, son analyse n’a strictement rien de nouveau. Elle rebondit sur des débats anciens qui ont traversé le catholicisme français au moins depuis le Ralliement prôné par Léon XIII. Son recours à plusieurs reprises à Emmanuel Mounier illustre de manière exemplaire cette insertion dans une histoire beaucoup plus longue et beaucoup moins claire que ne semble le croire l’auteur. Alors pourquoi une telle polémique ? Tout simplement parce que la situation actuelle est avivée par deux problèmes qui frappent les vieilles nations européennes : la perte de la foi associée à la baisse importante de la pratique religieuse et, d’autre part, la crise migratoire qui s’est accrue après l’explosion du Proche-Orient. Sur ces deux problèmes, Erwan Le Morhedec n’apporte pas grand-chose.
Ils ont les mains pures…
Je suis donc très loin de partager l’ensemble de son analyse. Celle-ci me semble trop rapide, pas suffisamment étayée par des exemples ou par une enquête historique qui aurait mérité de ne pas se satisfaire de sources allant toujours dans le même sens. L’auteur a visiblement voulu pousser un « coup de gueule » et avertir ses frères catholiques contre un danger qui lui semble important. Au lecteur, de partager, en tout ou en partie, cette alarme ! En revanche, un point m’a profondément choqué. Dans ses jugements, l’auteur passe facilement du for externe au for interne. S’il peut estimer que les postures identitaires représentent finalement un danger pour le catholicisme, je ne vois pas au nom de quoi il peut se permettre de mettre en cause la réalité même de la foi des personnes. Seul Dieu peut sonder les reins et les cœurs. Nous ne savons pas ce qui se passe à l’intérieur d’une âme, ni ce qui se dit dans le secret d’un confessionnal. Paradoxalement, sa défense de l’universalité du catholicisme conduirait à une religion de purs. Et là, je ne peux m’empêcher d’entendre résonner l’avertissement de Péguy dans Victor-Marie, comte Hugo, à propos du kantisme : « il a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »
Pour une intelligence catholique
À côté de cet aspect de son propos, il y a cependant un élément du discours d’Erwan Le Morhedec que je rejoins, au risque d’étonner ou de choquer malgré moi nombre de mes amis. L’opposition à la « loi » Taubira a représenté un moment révélateur de la nouvelle réalité du catholicisme français, notamment dans sa partie la plus jeune. Cependant, les catholiques n’ont pas été les seuls à s’opposer au projet Taubira, même s’ils ont constitué les gros bataillons de cette mobilisation. À côté d’eux, plus minoritaires en nombre, mais plus déterminés au plan intellectuel, certains non chrétiens, à l’instar d’Alain de Benoist, ont continué cette lutte en lui donnant une assise doctrinale et philosophique.
Erwan Le Morhedec se scandalise du magistère intellectuel que semble occuper aujourd’hui Alain de Benoist auprès d’une jeune génération de catholiques. Il a raison ! Le problème n’est pas Alain de Benoist, cohérent avec lui-même et avec la philosophie qui est la sienne, personne, qui plus est, ouverte à la discussion. Ne confondons donc pas l’origine de la maladie avec le thermomètre qui la révèle ! Le problème tient au manque de cohérence des milieux catholiques, incapables aujourd’hui face aux défis posés par la remise en cause de la loi naturelle et par l’extension du mondialisme, de s’appuyer sur l’équilibre catholique qui a su résoudre l’antique question métaphysique des justes liens entre le particulier et l’universel. Nous récoltons donc les fruits amers de décennies de mise en avant de la seule posture du témoignage et de l’expression spontanée d’une foi désarticulée, sans que l’on ait pris le temps de poser et de développer les fondements philosophiques et théologiques d’un catholicisme cohérent, capable de donner les raisons de sa foi et de se confronter aux conséquences de cette modernité que l’on n’a pas cessé d’adorer par ailleurs.
Les catholiques identitaires ont peut-être une vision réductrice du catholicisme comme d’autres ont tendance à déformer son universalité. Paradoxe et équilibre – je renvoie à ce sujet aux pages de Chesterton dans Orthodoxie –, le catholicisme dépasse de beaucoup ce que nous voyons de lui tout en assumant les misères qui sont les nôtres. Plutôt que de distribuer les bons et les mauvais points, de s’enfoncer dans un spontanéisme catholique anti-intellectualiste, remettons-nous au travail. Il est urgent de faire émerger une intelligence chrétienne. Entièrement et intégralement chrétienne !
Voir sur ce sujet l’analyse de Thibault Collin.