Le grand éparpillement
En quelques semaines, nous sommes passés d’une France agitée par la peur du terrorisme à une France paralysée par les grèves. D’un pays s’unissant sous l’effet de la menace à un pays se dissolvant pris dans la nasse. D’une nation retrouvant (un peu…) l’attrait du bien commun à une nation retombant dans son égoïsme individualiste : chacun pour soi et l’État fera le reste.
Hier, le temps était à l’union nationale, à la Marseillaise et à la levée en masse contre le terrorisme. La France et plus encore la République étaient en danger. La police se découvrait acclamée, adulée et sortait de son statut de paria social, de cette image glauque qui lui collait à la peau depuis Mai 1968.
Quelques mois plus tard, les voitures de police brûlent, les forces de l’ordre sont constamment agressées et la CGT, premier syndicat minoritaire de France, bloque les raffineries d’essence, les centrales nucléaires, réduit la circulation ferroviaire et promet de continuer la lutte jusqu’au retrait de la loi Travail.
Tranquillement, comme s’il ne s’était rien passé ces derniers mois, les Français ont repris leurs habits de victimes. C’est à vrai dire le seul qui leur convienne. Victimes des attentats ; victimes de l’État. Victimes des mauvaises lois et du temps qui passe. Responsables de rien, mais surtout victimes de tout. Ayant abandonné notre destin dans d’autres mains « expertes », nous oscillons entre la peur de la mort et le défilé unitaire des manifestations. Dans le grand système démocratique de l’éparpillement individualiste, la responsabilité a disparu. Reste cette philosophie victimaire qui campe dans nos esprits.
Tu seras diaconesse, ma fille…
Les féministes ont bien compris ce qu’elles pouvaient en retirer. Elles ont commencé par détourner la notion de la lutte des classes marxiste à leur profit. À la révolution prolétarienne contre l’oppression bourgeoise, elles ont substitué la libération de la femme contre l’oppression patriarcale. La lutte des sexes plutôt que la lutte des classes. Bien vu ! Avec cette nouvelle forme de lutte, c’est toute l’histoire de l’humanité qui est revisitée et une cible éternelle qui est désignée : l’homme, au sens du masculin, que l’on recouvre par effet dialectique du terme générique de « pouvoir patriarcal ».
Ne croyons pas qu’il s’agisse d’un danger à venir. Le féminisme a déjà gagné. Pas seulement chez les tenants de la parité, du travail des femmes, de la libération sexuelle, etc. Il campe dans nos esprits, règne sur nos habitudes, contrôle nos émotions et nos désirs. Même chez les « cathos » ? Principalement chez les « cathos » qui ont toujours peur d’être en retard d’un train et qui ne voudraient surtout pas apparaître comme des ennemis du progrès.
Dernier exemple en date : la demande faite au Pape François par les supérieures majeures réunies en congrès d’étendre le diaconat aux femmes. Il est vrai que dans les premiers temps de l’Église, des diaconesses ont existé. On cite notamment l’exemple des baptêmes par immersion totale qui nécessitait d’être effectués par des femmes par respect de la pudeur. Mgr Martimort, un des tenants de la réforme liturgique, avait dans les années 1980 publié une étude historique sur le sujet (1). Il montrait que le terme diaconesses recouvrait en fait des situations très différentes et qu’il n’est pas possible de les identifier aux diacres ordonnés masculins. Il écrivait ainsi : « Jamais pour ordonner une diaconesse on n’a utilisé le même texte que pour le diacre, mais un texte différent (…) Enfin, il faut rappeler qu’à la diaconesse on ne laisse pas espérer, à la différence du diacre, la possibilité d’accéder à un degré supérieur ».
Encore la théorie du cliquet
C’est bien l’enjeu qui est sous-jacent dans la demande faite par les supérieures majeures au Pape François et qui illustre la théorie du cliquet dont nous parlions dans un numéro précédent. Ce qui semble en vue ce n’est pas tant le diaconat féminin que celui-ci vu comme une étape en vue de l’ordination sacerdotale des femmes.
Il n’est jamais inutile de se poser des questions, à condition que ce soit pour repartir du bon pied. À trop vouloir l’identification systématique de l’homme et de la femme, on risque de les transformer l’un et l’autre en victimes véritables de la modernité dont le féminisme n’est au fond qu’un des derniers avatars, même s’il s’agit d’un avatar d’une puissance redoutable. Plutôt qu’à son discours victimaire, en forme d’opposition s’appuyant sur la notion de pouvoir, il serait préférable de recourir à la notion chrétienne de vocation. À s’y refuser, le monde s’enfonce de plus en plus dans le chaos et la destruction. On peut espérer – d’une espérance vraiment surnaturelle – que l’Église ne prenne pas le même chemin.
1. Aimé-Georges Martimort, Les diaconesses. Essai historique, CLV Edizioni Liturgiche, Roma, 1982, 277 p.