Au lendemain du 11 novembre…
Comme au temps de l’Union sacrée, les églises de France ont donc sonné, le dimanche 11 novembre dernier, pour commémorer le centenaire de l’Armistice de 1918. Par un clin d’œil de la Providence, le cessez-le-feu avait eu lieu le jour de la fête de saint Martin, le grand apôtre des Gaules, confirmant en quelque sorte ce qu’Henri Pourrat écrira en 1951 dans son avant-propos à son livre Saints de France : « L’Histoire de France aurait pu faire l’économie de beaucoup de généraux, de rois, et de ministres : elle n’aurait pas pu se passer de ses saints. » (1)
Pourquoi revenir sur ce centenaire, alors que l’actualité nous a déjà entraînés ailleurs ? Tout simplement pour nous interroger sur son sens exact. Qu’avons-nous, en effet, célébré ce 11 novembre 2018 ? La victoire de la France sur l’Allemagne ? L’Histoire, toujours aussi tragique et peu encline aux sentiments, a déjà répondu en débobinant ses effets : Seconde Guerre mondiale, extension des totalitarismes, bombe atomique, etc. La paix ? Elle n’est jamais totalement acquise et demande constamment des sacrifices. La résurrection de la France ? L’état actuel de notre pays, soumis à un délabrement moral généralisé et confronté à une forte poussée migratoire, oblige malheureusement à se demander si nos grands-pères et nos arrière-grands-pères ne sont pas morts pour rien.
Un sacrifice vain ?
Passé le moment de l’émotion, la question mérite d’être posée. Car, au fond, la commémoration de l’Armistice de 1918 n’a de sens que si nous nous souvenons du sacrifice des soldats et des vertus qu’ils durent mettre en œuvre pour obtenir la victoire. Évoquant le soldat de la Grande Guerre, Michel De Jaeghere décrivait son courage, « mot tout simple, venu du fond des âges » et remarquait très justement que « son héroïsme nous éblouit parce que nous craignons d’en être devenus incapables ». (2) Oui, ce que nous admirons dans le soldat de la Grande Guerre se situe bien dans la mise en application quotidienne de ces vertus résumées par l’esprit de sacrifice et l’honneur de servir.
Seulement, ces vertus ne naquirent pas au front, comme par enchantement. Fruit d’une civilisation, elles furent patiemment et quotidiennement exercées au sein d’une société qui les conservait comme fondements. Pour être efficaces au moment des grands évènements, les vertus du dépassement de soi, du sacrifice, du sens du bien commun ont plus que d’autres besoin d’être cultivées.
D’un anniversaire l’autre
Chaque 11 novembre, nous commémorons donc le sacrifice de nos anciens et, pour notre part, nous entendons en tirer constamment la leçon du retour nécessaire aux vertus qui ont animé leur conduite et l’énergie nécessaire pour les cultiver à notre tour.
Ne soyons pas dupes, pourtant ! Les cérémonies du 11 novembre rendent un culte aux morts, mais est-ce un vrai culte ? Jean de Viguerie s’était interrogé lui aussi à ce sujet dans son livre Les Deux Patries. « Difficile de répondre », écrivait-il tout en remarquant également : « Il arrive que le clergé soit présent et même qu’il puisse réciter des prières, mais le culte civique lui-même ne comporte aucune prière. Comment pourrait-il en comporter ? Pour la République française il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas d’âmes immortelles, ou s’il y en a, elle ne doit pas s’en occuper. »?(3)
Oui, difficile de répondre car l’Histoire nous enseigne aussi la complexité de la Première Guerre mondiale et de ses enjeux. Il y a malheureusement une ambiguïté native qui l’habite. Cette ambiguïté a conduit nos pères à exercer à un niveau héroïque jamais atteint les vertus traditionnelles, qui furent mises à leur corps défendant au service d’une modernité destructrice dont les effets politiques furent par exemple la dislocation de l’Empire austro-hongrois, la mise en place du mondialisme wilsonien et la naissance de l’hégémonie américaine, autant de maux dont nous subissons toujours les conséquences.
Si en ce mois de novembre 2018, nous honorons avec piété les vertus des soldats de la Grande Guerre, et si nous prions intensément (il est encore temps !) pour le repos de leurs âmes, il faudra en juin prochain, pour le centenaire du Traité de Versailles, tirer les leçons de la victoire de ce qu’Augustin Cochin a qualifié de « patriotisme humanitaire » et dont il décrivait ainsi le processus de transformation : « Ce patriotisme-là changea depuis d’horizon et de nom, mais pas de principes ; il s’appelle aujourd’hui humanitarisme, et travaille à dissoudre cette France qui lui servit un moment d’instrument et d’abri. »?(4) N’est-ce pas notre situation qu’il a ainsi parfaitement annoncée ?
1. Henri Pourrat, Les Saints, p. 9, rééd. DMM, 1979, 224 p., 16,50 e.
2. Éditorial du Figaro Hors-série, La Grande Guerre, 2008, 114 p., 8,90 e.
3. Jean de Viguerie, Les Deux Patries, p. 214, DMM, 276 p., 9,95 e.
4. Augustin Cochin, La Machine révolutionnaire, Œuvres, p. 213 (extrait de Les Sociétés de pensée et la démocratie), Tallandier, 688 p., 29,90 e.