La charité de la vérité
Beaucoup d’interrogations, d’échanges, de débats, mais aussi, hélas, de suspicions et d’invectives se font jour actuellement au sein de l’Église à propos de la juste interprétation de l’exhortation post-synodale du Pape François, Amoris Laetitia. Quatre cardinaux ont récemment rendu public le texte des questions (dubia) qu’ils avaient adressé au Saint-Père pour lui demander d’éclaircir certains points, sujets à interprétation.
Le Pape François n’ayant pas répondu, et s’étant prévalu depuis toujours de sa volonté de débat et de discussion au sein de l’Église, ces cardinaux ont pris sur eux de rendre public ces questions. Ont-ils bien fait ? On peut toujours se poser la question en raison des conséquences que peut entraîner justement le débat au sein de l’Église qui n’est pas un cénacle démocratique où les vérités enseignées par Jésus-Christ pourraient être soupesées par la majorité du moment.
Mais, sans aucun doute, ils l’ont fait en conscience. Bien sûr, ils ne sont que quatre sur les plus de 200 cardinaux constituant actuellement le collège cardinalice. Mais Jésus-Christ était seul face à ses juges. Jeanne d’Arc était abandonnée de tous face à Cauchon. Saint John Fisher fut le seul évêque anglais à ne pas accepter le remariage d’Henri VIII et il en perdit la vie. Nous sommes tous tellement atteints par les effets de la modernité qu’à un moment ou un autre, quand cela nous arrange, nous avons tendance à nous rassurer à bon compte en recourant au poids démocratique du nombre. Et quand celui-ci n’est pas requis à la rescousse, c’est le bal des étiquettes faciles qui commencent. Il équivaut le plus souvent à une disqualification morale sans appel.
Qui sont les cardinaux en question ? Créé cardinal par Benoît XVI, Mgr Caffara est un grand spécialiste des questions familiales et un héritier sur ce sujet de Jean-Paul II. Celui-ci l’avait placé à la tête de l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille. Le cardinal Burke, élevé lui aussi à cette dignité par Benoît XVI, est un juriste, ancien préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique où il avait été nommé dès 1989 par Jean-Paul II. Historien, ancien président du Comité pontifical des sciences historiques, Walter Brandmüller a été créé cardinal par Benoît XVI. Cardinal sous Jean-Paul II, le cardinal Meisner est, lui, un pasteur, qui a notamment montré ses talents en organisant les Journées mondiales de la Jeunesse en 2005.
Sont-ils des intégristes ? Des traditionalistes ? Des hommes en révolte contre le Pape ? Pire, des pharisiens, des hommes rigides et froids, crispés sur les principes au détriment de la plus élémentaire charité envers les personnes ? Avouons-le : c’est un faux et mauvais procès ! Ces hommes en conscience ont demandé au Pape des éclaircissements, reconnaissant bien qu’il était le seul – c’est la doctrine catholique ! – à pouvoir éclairer et donner la juste interprétation. Il n’y a là aucune raison de leur enlever leur titre de cardinal comme l’a proposé un peu rapidement Mgr Pio Vito Pinto, doyen du Tribunal de la Rote romaine. Il ne nous appartient pas de juger pourquoi le Pape François ne répond pas à ces demandes. La Providence agit à sa manière et selon ses desseins, dans un « agenda », pour reprendre une expression très à la mode, qui n’appartient qu’à elle. Que nous ne le comprenions pas est une chose et une occasion de renouveler notre foi. Que nous portions des jugements disqualifiant sur les intentions réelles des uns et des autres ne peut faire que le jeu du démon.
Quand il y a une éclipse…
En 1988, face aux sacres épiscopaux sans mandat pontifical effectués par Mgr Lefebvre, Jean Madiran avait très justement rappelé cette forte parole de Charles Péguy : « Quand il y a une éclipse, tout le monde est à l’ombre. » À l’ombre, nous y sommes donc encore ! C’est notre condition de chrétiens en ce début du XXIe siècle et il nous faut l’accepter comme un fait. Encore une fois, sur les questions doctrinales, il ne nous appartient pas d’apporter cette lumière qui manque à notre regard. Elle ne peut venir que du haut, que de celui que le Christ a institué pour nous l’apporter et dont c’est d’ailleurs le premier rôle : conforter ses frères dans la foi et non dans le trouble. Mais quand l’éclipse est là, nous devons tout tenir, même si c’est une crucifixion. Et, peut-être, parce que c’est une crucifixion ! Demander la lumière au Pape et rester fidèle à l’enseignement immémorial de l’Église. Et vivre de la vraie charité qui cherche la vérité sans excommunier (au nom de quel pouvoir ?) son prochain.
Dans une belle conférence, prononcée lors de la Fête du livre de Renaissance Catholique, le 4 décembre dernier, Mgr Schneider, évêque auxiliaire d’Astana au Kazakhstan, a rappelé que l’enseignement sur le mariage était de droit divin et non simplement ecclésial. On ne peut changer l’enseignement du Christ, même si nous pouvons toujours progresser dans notre charité envers le prochain. En ce temps d’éclipse, et en attendant la pleine lumière, nous ne pouvons que nous ancrer sur l’enseignement traditionnel de l’Église et le modèle des saints.
La lumière de la crèche
Sans oublier, bien sûr, que la lumière est déjà venue dans le monde. Elle est venue la nuit de Noël, que nous allons justement célébrer dans quelques jours. Dans le magnifique prologue à son Évangile, saint Jean souligne le combat de la lumière et des ténèbres (« La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. »). Mais il rappelle aussi que la véritable Lumière, en venant dans le monde, éclaire tout homme, offrant la possibilité à ceux qui croient en elle de devenir enfants de Dieu. Aux pieds de la crèche, en adorant l’Enfant-Dieu, prions instamment les uns pour les autres, pour que nous recevions pleinement la seule vraie Lumière qui éclaire et qui sauve.