> L’Éditorial du Père Danziec
« Tous les hommes meurent un jour, mais peu parmi eux vivent vraiment. » Cette sentence ne provient ni d’un père de l’Église ni d’un maître spirituel. Et elle a beau claquer comme un apophtegme de croisé ou de chevalier, elle sort pourtant tout droit d’Hollywood. Ces mots, en effet, sont ceux prononcés par William Wallace, interprété par Mel Gibson dans le film iconique Braveheart.
Héros écossais, chef charismatique, figure de la rébellion des clans contre l’occupation anglaise et les vexations qui l’accompagnent, stratège hors pair, Wallace finit par être arrêté par le truchement d’une trahison. Au moment de la visite de l’attrayante Sophie Marceau – tenant le rôle d’Isabelle de France – au fond de sa geôle, avant sa mise à mort, notre héros rassure la princesse éplorée : « Tous les hommes meurent un jour, mais peu parmi eux vivent vraiment. »
Chaque jour, une bénédiction
Vivre vraiment ? Oui, quel formidable privilège que de respirer à larges poumons, de parcourir l’existence à pleines enjambées et de croquer à ras bord le quotidien qui s’ouvre à nous sans relâche ! Vivre vraiment, non comme un épicurien mais comme un débiteur qui reçoit dans l’action de grâce le temps qui s’échappe et qui fuit. L’homme de foi sait qu’il tient la vie de son Créateur. Tout baptisé est appelé à voir dans chaque jour que Dieu fait une bénédiction.
Une grâce et une faveur dans la mesure où le sablier qui s’écoule, avant d’ajouter du poids aux ans, dessine d’abord des occasions supplémentaires de s’émerveiller et de découvrir, de se corriger et de se sublimer, de s’offrir et se donner. La valeur du temps se mesure à l’aune de celui qui en est le maître. Riche en bienfaits et en délicatesse, en pédagogie et en patience, en amour et en miséricorde, Dieu nous maintient dans l’existence pour que cette dernière contribue à sa gloire et à notre édification.
Et c’est justement parce que la vie terrestre a un terme que nous aurions tort de passer à côté. Que tous les hommes meurent un jour constitue une loi universelle pour l’humanité depuis la chute de nos premiers parents. Terme du vivant, notre corps physique est voué à faire, un jour, l’expérience de la décomposition sur la dalle d’un tombeau.
Cette pensée, à la fois redoutable en même temps que d’un solide bon sens, se trouve plus que jamais mise sous le tapis. La mort ne fait plus partie de nos vies. On la masque, on la grime, on ne sent plus son odeur. On ne veille que rarement les défunts dont la toilette mortuaire, et c’est heureux, dissimule les affres et les premières morsures de l’inanimation.
Méditer en vérité et en profondeur sur la mort, mieux que par La Mort et le Bûcheron de La Fontaine ou que par le chant militaire La mort chevauche à travers le pays, nécessite d’accepter de la regarder en face. À l’instar d’un saint François Borgia qui, après une éducation raffinée à la cour de Charles Quint, embrassera la vie religieuse après avoir découvert la réalité de la putréfaction d’un cadavre, celui de l’impératrice Isabelle, réputée pour sa beauté. Combien d’insouciants restent esclaves des vanités du monde et passent-ils à côté d’une vie pleine et grandement vécue, faute d’une considération aboutie de leur trépas à venir ?
Vivre vraiment revient à considérer l’horizon. La contemplation de ce dernier invite à ajuster son cap, notamment dans la perspective des comptes à rendre une fois rendu au port. Hélas, comme le rappelait déjà Bossuet : « Les mortels que nous sommes n’ont pas moins soin d’ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts eux-mêmes. »
Donner notre vie au Seigneur
La mort revêt une dimension capitale pour une double raison.
En premier lieu parce qu’au moment de la mort, la sainte doctrine de l’Église nous enseigne que se termine le temps du mérite et du démérite. Il n’est plus possible alors de changer le cours de notre destinée, nous nous trouvons fixés dans notre éternité à jamais. Mais l’importance de la mort s’explique aussi pour un motif fort bien synthétisé par Antoine de Saint-Exupéry : « Ce pour quoi tu es capable de mourir, c’est cela seul dont tu peux vivre. » Sommes-nous disposés à donner notre vie au Seigneur ? À orienter notre énergie et nos pensées, et notre argent même, pour l’amour du Ciel ?
« Je ne meurs pas, j’entre dans la vie » : quelle magnifique formule de notre carmélite nationale ! Thérèse de Lisieux avait saisi de toute son âme la douceur de Dieu. Elle nous dit, encore aujourd’hui, combien la perception de cette immense tendresse peut radicalement changer notre regard sur l’au-delà.
Vivre vraiment, c’est permettre à notre âme de puiser dans le Cœur de Jésus de quoi transfigurer l’angoisse de la fin. De voir dans le passage de la mort un principe de vie. De vie éternelle.
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