C’est mentir aux hommes de leur laisser entendre que, passés le repos de l’été et ses apéritifs ensoleillés, la rentrée scolaire et la reprise du travail menacent la tranquillité de leur existence. Il peut hélas arriver à tout moment que notre âme s’essouffle et que la fatigue de la vie se fasse sentir. Dans ce type de situation, pour donner le change autant que pour redonner de l’élan à notre quotidien, il est toujours précieux de revenir à la source de notre état de vie. À l’origine de notre raison d’être et de durer. À ces premières fois qui eurent valeur de première pierre. Au premier regard qui dit tout. À l’amour déclaré et offert. À la première lettre qui veut y répondre et au premier baiser reçu. Au premier enfant que l’on sent dans son sein ou que l’on tient dans ses bras. À la réception de sa vocation ou à sa première messe. À son premier travail et à son premier échec. À la blessure du premier proche qui part ou à la morsure de la première trahison vécue. Chaque pas compte aux yeux de Dieu et contient en lui-même son mérite propre.
Mais le regard des hommes est plus fragile, sa mémoire plus courte. Les premières fois, à l’image du charmant ouvrage de Philippe Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (Gallimard), nous ramènent sinon à l’essentiel, au moins constituent-elles des curseurs qui permettent de mesurer où nous en sommes sur le fleuve du temps qui passe et qui fait, nous dit Pagnol, « tourner la roue de la vie, comme l’eau celle des moulins ».
Ainsi, lorsque nous traînons davantage notre vie que cette dernière nous porte, il devient primordial, et même vital, de tordre le cou à toute forme de lassitude. Nous aurions l’âme en peine ? Allons puiser dans un petit livre, sûr et pratique, de quoi dynamiter notre hébétude et éperonner notre esprit. Les « premières » nous ramènent à l’essentiel, disions-nous. Le Compendium du catéchisme de l’Église catholique n’échappe pas à cette règle. Précisément, on lit à la première question, « Quel est le dessein de Dieu sur l’homme ? », la réponse suivante : « Infiniment parfait et bienheureux en lui-même, Dieu, dans un dessein de pure bonté, a librement créé l’homme pour le rendre participant de sa vie bienheureuse. » Nous apprenons là que nous sommes une créature, et dès lors une dépendance absolue. Nous ne sommes pas des êtres de droit, mais seulement des êtres de fait. Si nous avions été des êtres de droit, nous aurions toujours été, nous serions nécessaires. Mais un jour nous sommes nés, un jour nous avons commencé. Ce qui nous permet de constater, à la réflexion, que pendant longtemps le monde s’est passé de nous… La place que nous occupons, à l’échelle des siècles, s’avère infime et réduite. Demain nous cesserons d’être et la terre continuera à tourner. Le peu que nous sommes, nous ne nous le sommes pas donné. Nous ne l’avons pas choisi. Nous n’avons pas été consultés pour l’obtenir. Notre corps, notre âme, les caractéristiques de notre famille, nos racines, notre tempérament, notre santé : nous n’avons rien choisi du tout. Beaucoup nous a été donné au départ. Ce constat limpide ne laisse pas de place aux tergiversations : Dieu n’avait aucun besoin de nous et ce n’est donc pas pour cette raison, si agréable à notre amour-propre, qu’il nous a créés.
« Seigneur, pourquoi m’avez-vous créé ? », le voilà le grand cri de l’homme. À l’aube de cette nouvelle année académique, cette question intérieure a tout lieu de devenir boussole. Sa réponse indiquera notre nord et guidera notre nature blessée. Oui, c’est pour nous communiquer son Ciel, nous faire entrer dans son Paradis que Dieu nous a créés. Il nous a appelés à l’existence parce qu’il aspire, dans un dessein de pure bonté, à exercer en nous sa libéralité. Ce qu’enseigne le catéchisme tient de la tape derrière l’épaule, celle qui soutient, encourage et console. À nous de la recevoir comme telle.
Alors que l’Évangile du Christ se trouve caricaturé ou ignoré et que la transmission des repères et des principes solides se trouvent menacée, chaque baptisé a un rôle inestimable à tenir. Pour répondre aux défis de l’existence et de son état de vie, il pourra être précieux de recourir aux cinq sens. Non pas ceux qui nous permettent de ressentir le perceptible et le fugace, mais ceux qui nous donnent de percevoir l’éternel et l’indistinct. Le sens de l’honneur pour tenir ses engagements contre la culture du zapping. Le sens des priorités pour aller à l’essentiel contre la culture du divertissement. Le sens de l’Église pour défendre son enseignement constant contre la culture du bouleversement. Le sens de l’humour pour rire de nos ennemis contre la culture de l’oukaze. Le sens, enfin, de l’éternité pour donner à la vie son poids de gravité contre la culture de la désinvolture.
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