Le constat est souvent, sinon toujours, le même. Les élections passées, l’importance de l’investissement qu’elles impliquent entraîne une sorte de dépression, voire une sorte de désespérance chez les plus généreux. Il n’est pourtant pas en soi peccamineux de mettre son espoir dans un homme, à condition, nous rappelle saint Thomas d’Aquin (IIa IIae, 17, 4), que celui-ci ou les objectifs qu’il se donne ne soient pas considérés comme la finalité ultime, qui reste la béatitude, mais comme un moyen « qui aide dans la recherche de tous les biens ordonnés » à cette dernière. Ce simple rappel devrait d’ailleurs entraîner chez nous tous un véritable examen de conscience.
L’espérance, en effet, est une vertu théologale qui porte sur le Salut et nous y conduit. Pour cette raison, elle n’est certainement pas isolée des deux autres vertus théologales, la foi et la charité. La foi, par exemple, lui donne son objet. Pensons à saint Pierre qui, tant qu’il croit à la parole du Seigneur, espère parvenir jusqu’à lui en marchant sur les eaux. Le manque d’espérance traduit souvent une baisse de la foi. Elle est également liée à la charité qui apporte la perfection. Ainsi, manquer d’espérance, c’est aussi manquer d’amour pour Dieu et ses commandements. C’est le révélateur d’un feu qui s’éteint.
Face au mal du moment présent
D’une certaine manière, évoquer l’espérance, c’est revenir à la question (et au mystère) de l’existence du mal dans le monde. Il serait illusoire, ici, en quelques lignes, de prétendre traiter ce vaste sujet. Sinon, peut-être, pour souligner, pour rappeler, pour marteler même, que Dieu est parfait et que tous ses desseins, pour insondables qu’ils soient (cf. Isaïe, 55, 8), doivent être adorés. On relira, à ce sujet le Livre de Job dont le Commentaire par saint Thomas d’Aquin vient de paraître aux éditions Sainte-Madeleine (1). Plus difficile à lire qu’un roman d’été, c’est aussi assurément une lecture plus essentielle, surtout en ces temps de déréliction et de perte de la vertu d’espérance.
À vrai dire, la Bible entière fourmille de références à ce sujet. Dieu permet le mal ? Le triomphe des méchants est passager et il vise un plus grand bien : châtier les pécheurs et éprouver les bons afin de manifester sa gloire. On se reportera à ce sujet, par exemple, au psaume 76 : « Ainsi, les desseins de l’homme inique tournent à votre gloire, et de ses derniers efforts, il restera un jour de fête en votre honneur. » Le mal n’aura qu’un temps car, comme l’affirme là encore le psaume?125 : « Le Seigneur ne laissera pas le sceptre des pécheurs peser toujours sur l’héritage des justes, de peur que les justes ne portent aussi leurs mains vers l’iniquité. » La Vierge Marie, elle-même, par son Magnificat, nous enseigne d’ailleurs que Dieu se plaît à triompher du puissant par le faible.
Abandon à Dieu et humilité
Les conséquences pratiques de ces brefs rappels s’imposent en quelque sorte à nous. Nous devons avoir confiance en Dieu, non pas d’abord en raison de notre propre vouloir, mais pour le fait que Dieu est fidèle. Saint Paul le rappelle (Rom, 4, 20-21) à propos d’Abraham : « Devant la promesse de Dieu, il n’eut ni hésitation ni défiance ; mais puisant sa force dans sa foi, il rendit gloire à Dieu, pleinement convaincu que ce qu’Il a promis, Il est puissant aussi pour l’accomplir. » Certes, Dieu s’est manifesté au saint patriarche d’une manière sensible et certaine. Pour nous, sa loi enseignée par l’Église et les circonstances du moment constituent le plus souvent la volonté signifiée de Dieu. D’où, là encore, la nécessité de s’abandonner à sa divine Providence, non pas dans un sens uniquement passif, mais en accomplissant ce qu’implique la fidélité jusque dans les petites choses, en rectifiant également notre agir par une ascèse, notamment contre les effets de l’imagination face aux difficultés et à la lassitude que celles-ci peuvent engendrer et, enfin, en voulant dans le temps ce que Dieu veut dans l’éternité.
C’est pourquoi, les circonstances actuelles, pour contraires qu’elles nous apparaissent, sont la raison même de la nécessité de nous disposer à être les instruments dociles de Dieu. Nous ne sommes rien, mais nous luttons pour celui qui est Tout et qui, malgré sa grandeur et sa majesté, n’a pas hésité à s’adresser aux aveugles et aux boiteux. L’humilité liée à cette condition – la nôtre – doit nourrir le zèle même qui doit nous dévorer (cf. Psaume 69, 10). Pour son règne. Sur la terre comme au Ciel.
1. Saint Thomas d’Aquin, Commentaire de Job, traduction par un moine du Barroux, avec le texte latin en regard, 404 p., 35 e.