Notre quinzaine : L’enjeu de véritables vacances

Publié le 17 Juil 2024
vacances

Le repos authentique doit être un temps où l’homme peut s’exprimer dans la famille, la société, la culture, le culte. © Xavier Mouton Photographie/Unsplash

En 1962, dans un livre précurseur, Vers une civilisation du loisir ?, le sociologue Joffre Dumazedier s’interrogeait sur les fondements d’une société enfin affranchie des affres du travail et tournée vers le divertissement. Plus tard, avec son concept d’Homo festivus, Philippe Murray critiquera la « festivisation » de la société dans le sillage de Mai 68. Son analyse de cet immense bouleversement du rapport au loisir, caractéristique de notre société postmoderne, se veut précise : « La fête qui était une rupture dans le continuum de la vie quotidienne est devenue le tout de la vie quotidienne. » Dit autrement : là où autrefois l’on célébrait quelque chose – une fête religieuse, la fin des vendanges, une victoire militaire, l’aboutissement d’un chantier –, l’Homo festivus n’a d’autre ambition que de faire la fête. Toujours.

S’il suffisait de donner une image comparative de l’impasse morale – et anthropologique – de cette course aux plaisirs, il n’y aurait qu’à puiser dans la pédagogie divine du cycle liturgique que certains voudraient édulcorer. Que serait Pâques sans la période pénitentielle du Carême ? Que serait notre rédemption sans la conscience du prix de la Croix ? Et s’il s’en trouvera toujours qui, par faiblesse, font « Pâques avant les Rameaux », plus grande folie encore serait de rêver ici-bas à une octave pascale continuelle.

Bernanos, dans la bouche de Blanche de la Force, concluait la scène II du premier tableau du Dialogue des carmélites par une sentence frappée au coin du bon sens : « C’est qu’il n’y a jamais eu qu’un seul matin, Monsieur le Chevalier : celui de Pâques. Mais chaque nuit où l’on entre est celle de la Très Sainte Agonie. » Le vrai repos, les véritables vacances : ce sera le Ciel. Les loisirs d’ici-bas n’ont d’autre objet pour un chrétien que de le préparer à cette tranquillité éternelle, plutôt que de l’en détourner.

À l’heure où vous tiendrez ce magazine entre vos mains, les mois chauds et sympathiques de l’été se seront de nouveau installés. Voici venu le temps de nous délasser des labeurs et des fatigues de l’année académique ! Comment donc ne pas vous souhaiter, chers lecteurs de L’Homme Nouveau, de véritables semaines d’été reposantes ! Au cours de celles-ci, vous pourrez profiter joyeusement de retrouvailles familiales réconfortantes, vous livrer à de saines activités de détente corporelle et intellectuelle, découvrir de nouveaux coins de France ou d’ailleurs, raviver votre mémoire au contact d’endroits familiers et heureux. Nos corps et nos âmes ont résolument besoin de ces parenthèses de repos pour pouvoir repartir de plus belle à la fin de l’été.

Car oui, le repos est sacré ! À cet égard, dès ses premières pages, la Bible nous adresse une leçon fondatrice : « Dieu se reposa le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite » (Gn 2, 2-3). Le repos, vénérable et universel, vaut pour tous les êtres sans exception, de Dieu à la terre, en passant par les hommes et les animaux. Tous, nous sommes comme rythmés par l’alternance entre travail et repos. Forts de ce constat, nous saisissons mieux combien l’étiolement du sens véritable du repos participe de la décadence intellectuelle et morale ambiante.

Au sujet du repos, le vocabulaire antique établissait deux distinctions des plus pertinentes : le quies – un temps mort, inactif, une pause entre deux travaux à réaliser – et l’otium – un temps libre, permettant de se consacrer à d’autres activités, une récréation au sens propre. Les Latins opposaient d’ailleurs l’otium, temps libre de toute activité marchande, au negotium, temps consacré au commerce.

Les activités de l’otium se distinguent ainsi par leur gratuité foncière. Non pas au sens où elles ne coûteraient point, mais au sens où l’homme n’a pas à reconstituer simplement ses forces physiques par le quies, mais doit aussi de préoccuper d’entretenir ses forces spirituelles. Le repos authentique ne saurait donc être seulement une parenthèse entre deux périodes de travail, une simple pause, mais un temps et un espace où l’homme peut s’exprimer dans ce qu’il a de plus élevé : la famille, la société, la culture, le culte. Déjà, dans ses Tusculanes, Cicéron constatait : « Un champ si fertile qu’il soit ne peut être productif sans culture et c’est la même chose pour l’âme sans enseignement. Or la culture de l’âme, c’est la sagesse. »

Au cœur de l’été, il peut être précieux de nous rappeler que nos vacances méritent mieux que de se transformer en période d’attiédissement spirituel ou de relâchement moral. Assurément, Dieu, qui est lui-même le repos éternel, mérite mieux. Notre âme, notre intelligence et notre cœur aussi !

 

>> à lire également : Chateaubriand ou la fidélité

 

Père Danziec

Ce contenu pourrait vous intéresser

ÉditorialAnnée du Christ-Roi

Se laisser conquérir par le Christ

Éditorial de Maitena Urbistondoy | Alors que nous achevons bientôt notre année de préparation du centenaire de l’encyclique Quas Primas, ce dimanche 26 octobre, le Missel de 1962 célèbre la fête du Christ-Roi. Cette royauté sociale que Pie XI réaffirme il y a un siècle n’a rien d’un concept théologique planant au-dessus de nos esprits ni d’un vœu pieux sans incidence sur nos vies. Refuser les droits du Christ sur la société, c’est nier qu’il existe un ordre supérieur à la volonté humaine. C’est toute la différence entre une justice fondée sur la vérité et une justice réduite à ce que les hommes décident d’appeler « juste ».

+

conquérir par le christ
Éditorial

Votre mission, si vous l’acceptez

Éditorial du Père Danziec | Dans son encyclique Redemptoris Missio, publiée en 1990, Jean-Paul II réaffirmait la valeur permanente du précepte missionnaire. En octobre 2025, le commandement vaut toujours. Un baptisé qui ne serait pas missionnaire ne pourrait se considérer comme un chrétien authentique.

+

mission
Éditorial

Notre quinzaine : cap sur notre 80e anniversaire !

Éditorial de Philippe Maxence | Cette fois la rentrée est bien faite, avec son lot de crises politiques, de manifestations et de blocages de la vie sociale. Pour L’Homme Nouveau, cette rentrée s’insère dans une perspective un peu particulière. Dans un peu plus d’un an, en effet, en décembre 2026 pour être précis, votre magazine célébrera son 80e anniversaire. C’est, en effet, en décembre 1946 que l’équipe des militants du mouvement « Pour l’unité », réunis autour du père Fillère et de l’abbé Richard, a lancé L’Homme Nouveau dans le but de servir la « seule cause de Dieu ».

+

anniversaire
Éditorial

Dieu donnera la victoire !

L’Éditorial du Père Danziec | « Dieu donnera la victoire » ? La belle affaire me répondrez-vous ! Mon Père, voyons, vivons-nous donc dans le même monde ?! Que faites-vous de la litanie de nos défaites depuis plus de deux siècles ? Et pourtant, il faut l’affirmer tout net et clairement : Dieu donnera la victoire ! Cette conviction intime qu’un jour les bons seront récompensés et les mauvais condamnés, n’est pas seulement une question de foi et de justice, elle constitue le socle même de l’espérance chrétienne.

+

dieu donnera la victoire
Éditorial

La paix du Christ, combat permanent

Éditorial de Maitena Urbistondoy du n° 1837 | Partout, sous des formes diverses, les chrétiens sont frappés. Mais quelle paix cherchons-nous réellement ? Certainement pas celle de la vengeance, ni celle de la complaisance. Les persécutions, les injustices, les insultes n'appellent pas la haine en retour. Elles sont l'occasion de manifester une autre force : celle de la charité, de la persévérance, de la fidélité.

+

paix du christ jubilé des jeunes